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Inaccessible Espagne
Voilà déjà plusieurs semaines que je chemine sur le GR65, la voie
du Puy. Bientôt, je vais rejoindre la multitude des marcheurs qui partent
de Saint-Jean-Pied-de-Port. L’Espagne se profile.
L'après-midi avance. Dans le village de Bussunarits, il n'y a pas
de gîte, sinon des chambres d'hôtes au-delà de mon budget. Un
géomètre prend des mesures sur le bord de la route. Nous bavardons
quelques minutes. Il m'invite à venir dormir chez lui, mais m'explique-
t-il, sa maison est assez éloignée du GR65. Malgré la douleur d'un
escarre sur le moignon que je traîne depuis de nombreuses journées, et
malgré plus de dix-sept kilomètres dans les jambes, je remercie le
technicien et décline son invitation. Je vise le village de Saint-Jean-le-
Vieux, trois kilomètres plus loin, où il y a un camping et un gîte. Le
camping m'intéresse. La route est asphaltée. Le ciel se couvre.
Voici Saint-Jean-le-Vieux. Je ne repère pas le camping malgré une
pancarte sur le bord du chemin. En réalité, je suis trop fatigué pour
chercher. Il est passé dix-huit heures. Dans un plaisant hôtel-restaurant
à la belle façade locale, je m'écroule sur une table. Je commande une
bonne bière du Pays basque. L'heure avancée et la fatigue me poussent
à demander s'il est possible de dormir ici. L'hôtelière, très sympathique
et étonnée de me voir avec une jambe démontable, propose un « prix
adapté », dit-elle : soixante euros la chambre avec dîner et petit-
déjeuner. Non, trop cher pour moi. Depuis le départ de Condom, je
surveille chaque dépense et je suis parvenu à une moyenne de vingt-
deux euros de dépense par jour, en comptant le déplacement depuis
l'Isère et les covoiturages. L'hôtelière comprend et m'indique la
direction du « Gîte romain » qui porte ce nom en raison de ruines
romaines découvertes non loin d'ici. Il commence à pleuvoir.
Une route escarpée descend vers le « Gîte romain ». Pas de
chance : la totalité du gîte est louée toute la semaine par un groupe de
touristes. Je ne me décourage pas. La bonne bière basque m'a
13
ragaillardi. Il faut repartir. Que faire ? Il pleut, mais la douleur du
moignon est stable. Tant mieux, l’escarre est en train de guérir.
Pourquoi ne pas tenter l'aventure : Saint-Jean-Pied-de-Port n'est qu'à
quelques kilomètres. La pluie est fine, de ces pluies que j'apprécie
pendant la marche parce qu'elle ne pénètre pas, mouille et apaise le pied
dans la sandale, caresse le visage. Le son amorti des gouttelettes qui
frappent la pèlerine et l'atmosphère humide créent une ambiance
musicale, tendance Debussy. J'observe toutefois la couleur du ciel, car
on entend des grondements de tonnerre. Allez, à Dieu vat, on y va.
Je marche sans trop de difficulté. La direction du GR65 m'a été
mollement indiquée au « Gîte romain ». Je fais confiance à ma sagacité,
mais je ne le retrouve pas. Il y a une route départementale, passante, qui
se dirige tout droit vers Saint-Jean-Pied-de-Port, sorte de dernière étape
française. Je m'y engage. Le bord de la départementale offre un
dégagement herbeux facile, puis des trottoirs. Je chemine allègrement
sous la pluie qui ne s'amplifie pas. Il est vingt heures trente quand je
parviens à l'entrée de la ville. Je suis si heureux que je prends de
nombreuses photos, en « selfie », devant le panneau « Saint-Jean-Pied-
de-Port ». Puis je me dirige vers la vieille ville, dans l'espoir d'un bon
grand gîte communal comme il est annoncé sur les guides.
Saint-Jean-Pied-de-Port est une très belle cité médiévale qui
rappelle d'autres villes du même style : Vézelay, Ramatuelle, les Baux-
de-Provence ou cette magnifique bourgade de Conques où je me suis
arrêté quelques mois auparavant. L'éclairage amorti sous la pluie et
quelques brumes fugitives gâchent l'arrivée, mais on devine la
silhouette de la vieille ville. Une forteresse domine la cité et une rue
piétonne monte en colimaçon – très exactement en amorce de
colimaçon – vers le fort. J'en profiterai le lendemain. Le nom « Saint-
Jean-Pied-de-Port » fera rire mes enfants : il faudra leur expliquer qu'il
s'agit de « port », c'est-à-dire « col » dans le parler pyrénéen et non de
« porc », au sens de « cochon ». Lors d'années d'études à Toulouse, j'ai
franchi le port d'Envalira vers l'Andorre ou le port de Lers dans
l'Ariège. De nombreux bars et restaurants sont ouverts et illuminent
l'entrée de la ville médiévale. Je respire, on se sent bien ici.
Pour l'instant, c'est le soir. Une mauvaise surprise m'attend : on ne
peut se rendre directement dans un gîte communal, et même plus
généralement dans presque tous les gîtes, sans passer par « l'Accueil
14
des pèlerins ». Aïe ! À cette heure-là ? Je grimpe la rue principale
piétonne, la rue de la Citadelle, qui mène à l'Accueil. Pas de chance :
quelques instants avant moi, un car de touristes allemands vient
d'arriver. Ils sont près d'une quarantaine à faire la queue ! Bon tant pis,
je dormirai dehors. Il doit bien exister, quelque part sous les remparts
de la citadelle, un petit coin tranquille et abrité où il est possible de se
glisser dans son sac de couchage. Je continue la rue de la Citadelle
jusqu'aux premières fortifications.
En haut de la rue, se trouve un donativo. Je m'y risque. Rappelons,
pour ceux qui l’ignorent, qu’un donativo est un hébergement où chacun
participe financièrement comme il l’entend et comme il le ressent.
Celui-ci est tenu par une dame âgée, Janine (je conserve le prénom), au
caractère bien trempé, et pleine de tendresse. Elle rappelle Thérèse,
rencontrée à Miradoux juste après la traversée de la Garonne, en
Gascogne. Quand Janine me voit, elle se désole : « Il n'y a plus de
place ». À cet instant, un marcheur, Hervé, se lève de la table de la salle
à manger. Il se propose d'aller directement s'adresser à des gîtes privés
de la rue, plus bas, et de demander s'il y a de la place pour moi. Janine
sort quelques boissons et je m'assieds près d'elle. Dix minutes plus tard,
Hervé revient, triomphant : il reste une place libre, une seule, dans une
chambre d'hôtes, en bas de la rue, pas loin d'ici. Elle n'est pas trop
chère, adaptée au budget des pèlerins, explique-t-il. Je ne peux refuser
l'offre après une telle spontanéité. Je remercie Hervé. Je ne le reverrai
plus. Janine, en revanche, explique que si je veux rester une nuit de plus
à Saint-Jean-Pied-de-Port, pas de problème : il suffit de passer de bonne
heure demain matin, juste après neuf heures, et de prendre un ticket à
l'Accueil des pèlerins.
L'hébergement déniché par Hervé est confortable, mais la dame
qui en est responsable est dans un mauvais jour. Elle me reçoit en
gémissant, elle se plaint des pèlerins, des touristes, des résidents, des
hôteliers, de l'Accueil, des politiques, des Français, des étrangers, du
Monde entier et si elle en avait connu, des extra-terrestres, voire des
êtres surnaturels ou sous-naturels. Mais elle m'indique un bon
restaurant, « Chez Dédé », où je vais vite aller manger pour me
réconforter de la longue et belle journée et plus encore de la fin de la
voie du Puy. On mange très bien et pas cher chez Dédé. La cuisine est
locale : le menu est entièrement basque et le petit vin
d'accompagnement aussi.
15
Dans la chambre d'hôtes, il y a deux lits. L'autre lit est occupé par
un Japonais-Chinois-Coréen-Vietnamien, je ne sais. Il n'est pas très
content de me voir arriver. La douche est quasiment inaccessible pour
un unijambiste. Je dois encore une fois faire des acrobaties et des
exercices de contorsion pour y accéder, au risque de déraper sur l'eau
stagnante et de me briser les os. La nuit est la bienvenue : aujourd'hui,
j'ai marché plus de vingt-deux kilomètres, de neuf heures du matin à
vingt et une heures. Un repos d'une journée entière à Saint-Jean-Pied-
de-Port est nécessaire.
*
Le matin, l'hôtesse m'accueille froidement. Il n'est pourtant que
huit heures. « C'est un peu tard, aboie-t-elle, pour le petit-déjeuner.
Tous les autres marcheurs sont déjà partis ! » C'est vrai. Il me faut un
peu de patience pour la voir s'adoucir et servir un copieux petit-
déjeuner. Puis elle commence à se confier. Je comprends son humeur
massacrante : elle s'occupe d'un vieux monsieur handicapé en fauteuil
roulant, qu'elle est allée chercher la veille dans un hospice et qu'elle
doit garder quelques jours. Ce service semble pomper son énergie, vu
qu'elle doit aussi s'occuper des touristes et des pèlerins. L'homme en
question est là, enfoncé dans son siège. J'essaie de communiquer avec
lui, mais il ne répond pas. Je quitte le gîte sans trop de regrets, mais
avec un brin de tendresse pour cette femme dévouée qui se consacre
non seulement à l'accueil des pèlerins et des touristes, mais aussi au
soutien des personnes seules ou exclues.
À neuf heures, je me rends à l'Accueil des pèlerins. Surprise, on
m'attendait. Un pèlerin rencontré quelques jours auparavant, Jean-Paul,
a prévenu, la veille, de mon arrivée. « Vous auriez dû passer devant les
Allemands hier soir, me déclare-t-on, on vous aurait pris en priorité ».
J'avoue que j'ai horreur de profiter de mon handicap pour imposer ma
place : orgueil mal placé ? Peut-être, mais aussi souci de ne pas trop se
faire remarquer et de ne pas se servir de mon infirmité comme passe-
droit. Tout le monde est aux petits soins pour moi. On se propose de
garder mes affaires pour la journée, on m'offre le café, des biscuits et
des bonbons, on me donne le ticket pour aller dormir le soir chez
Janine. On m'informe que les deux gîtes intermédiaires qui accèdent au
col de Roncevaux sont tous bloqués jusqu'au week-end. Nous sommes
un jeudi ! De plus, il est interdit de camper ! Aïe, aïe, aïe, je suis coincé
16
ici, à Saint-Jean-Pied-de-Port pour au moins deux ou trois jours ! Les
responsables de l'Accueil constatent, à leur grand désappointement, que
nombre de touristes se font passer pour des pèlerins et prennent leur
place dans les gîtes réservés. Il faut ajouter à ce fait que vers Saint-
Jean-Pied-de-Port, convergent deux chemins différents, celui qui arrive
de Vézelay et celui du Puy. Enfin, de nombreux pèlerins commencent
le pèlerinage de Compostelle ici. Bon, apparemment, la logistique n'est
pas au point et il n'est pas dans notre intérêt de sortir des clous si on
veut être accueilli correctement. Un marcheur handicapé qui aime la
liberté, l'improvisation et l'aventure est un peu marginal dans cette
organisation.
Je retourne chez Janine. Elle doit s'absenter et elle me confie la
garde du gîte pendant son absence. C'est la deuxième fois que j'inspire
cette confiance. Le maire d'Aroue, sur la voie du Puy, me l’avait déjà
proposée il y a quelques jours. L'après-midi, les premiers marcheurs
arrivent. Ils s'installent. J'explique les règles du donativo et je les laisse.
Janine revient. J'en profite pour partir visiter la ville. J'y vais sans jambe
artificielle, uniquement avec les béquilles, histoire de faire cicatriser
l'escarre définitivement. Je ne monte pas à la forteresse. De nombreux
touristes parcourent la cité. Les habituelles boutiques de souvenirs et de
gadgets kitsch et inutiles ne désemplissent pas. Des artilleurs de photos,
dont je suis, cherchent les cadrages et les perspectives de lumière
adaptés à leur œuvre future. Avec les appareils numériques, on a
directement l'état de la prise de photo. Circuler, seul, incognito, au
milieu d'une foule colorée, peuplée d'étrangers et d'étranges autres
personnages, est un plaisir différent de celui des heures de marche sur
le Chemin. J'apprécie, mais sans doute je m'en lasserai plus vite. Le
soleil est là et ses rayons éclairent les vieilles maisons, en révélant les
ombres et les reliefs. Je repère par hasard l'ancienne maison de famille
d’ancêtres de François Xavier, le compagnon d'Ignace de Loyola, qui
partit en Chine au seizième siècle. François Xavier est un de ces grands
spirituels que j'admire.
Régulièrement, je passe à l'Accueil des pèlerins pour vérifier si
une place ne se libère pas, par hasard, dans un gîte vers le col de
Roncevaux. Non. Rien.
En fin d'après-midi, je découvre qu'un jeune Allemand a dégommé
mes affaires du lit que j'avais décidé d'occuper dans le gîte de Janine. Il
17
s'y est installé. Il faut le comprendre : le lit est situé face à une fenêtre
qui s'ouvre sur de splendides paysages basques. Je proteste. Il se moque
et rit. Il n'a pas vu ma prothèse électronique en train de se recharger sur
une prise électrique, et ne tient pas compte de mon handicap. Mais il
appartient à un groupe et ne veut pas perdre la face devant ses
collègues. Bon tant pis. Je retourne à l'Accueil des pèlerins pour
demander un autre ticket qui me permet d'obtenir un autre lit tranquille
que j’ai repéré près d'une autre fenêtre. Au moment où j'arrive, le ticket
adéquat vient d'être remis à une dame. Je demande à la dame si elle
peut échanger et si je peux récupérer ce lit. Elle refuse avec mauvaise
humeur, presque comme si elle était agressée. OK. C'est la fin d'après-
midi, les esprits sont fourbus. Finalement, j'hérite d'un lit près de la
porte d'entrée du dortoir. Toute la soirée et une partie de la nuit, les
allées et venues des marcheurs qui vont aux toilettes, fouiller le frigo ou
boire un pot, bousculent ou raclent le lit, me réveillent. Un vieux
monsieur étranger – anglais ou irlandais – qui occupe le lit superposé,
fait des tours et des sauts la moitié de la nuit. Je vais finir par regretter
les dortoirs vides des gîtes communaux de France.
Malgré ces incidents et des douleurs aux mains dues à la marche
excessive avec les béquilles de la veille, j'ai bien dormi. Mais je suis
toujours hésitant sur la suite du Camino. Vais-je tenter, contre toute
législation, de franchir le col en me cachant sous la tente quelque part
en cours de route, derrière un rocher, puis continuer sur le Camino
Francés, via Pampelune et Burgos, qu'on appelle aussi « l'autoroute des
pèlerins » ? Vais-je plutôt quitter Saint-Jean-Pied-de-Port, gagner
Bayonne et Saint-Jean-de-Luz pour rejoindre le Camino Primitivo qui
longe la côte du golfe de Gascogne ? Le second chemin est plus long et
plus cher, m'a-t-on signalé à plusieurs reprises, mais plus tranquille et
plus beau. Je dis au revoir à Janine et à quelques jeunes, à qui j'offre un
paquet de chocolats Mars, en leur souhaitant une bonne marche vers
Roncevaux.
Au fond, je n'ai pas trop le moral. Apprendre que toutes les places
intermédiaires vers le col sont squattées par des touristes m'a plombé
les ailes. Par prudence, je passe de nouveau par l'Accueil des pèlerins :
« Une petite place ? Une petite place ? S'il vous plaît ? ». Non. Rien de
libre. Je n'ai pas le courage de tenter le col illégalement, en plantant la
tente en un lieu interdit, et je me dirige pesamment vers la gare de
Saint-Jean-Pied-de-Port avec l'intention de me rendre à Bayonne, puis
18
de rentrer en Isère. Je reviendrai sur le Chemin une autre fois. Ou
éventuellement à Bayonne, pensai-je, je recueillerai la liste des
hébergements du Camino Primitivo, le long de la côte de l'Atlantique.
Cette seconde perspective me console.
J'avoue être un peu triste. Il serait idiot de renoncer sur un échec.
Ne jamais prendre de décision dans un temps de désolation, écrit Ignace
de Loyola dans les Exercices Spirituels. Sauf si on se sent menacé et
que la santé est en jeu, a rajouté un de mes amis jésuites. Bon, ce n'est
pas le cas. À la gare, le car SNCF arrive dans une heure et demie.
Survient alors un groupe de pèlerins qui doivent prendre le même car.
La conversation s'engage et je leur explique ma situation. Tous sont
alors unanimes : tu dois repartir sur le Chemin. Un autocar espagnol
monte tous les jours à Roncevaux par la route. Il serait stupide de
renoncer maintenant à cause de l'occupation des gîtes. Vu ton état de
handicapé, il n'y a rien de honteux à franchir le col en autocar. D'autres,
valides, ne s'en privent pas. Au fond de moi, j'attendais une telle
énergie positive. Ils ont raison, ai-je estimé en fin d'analyse. Le col de
Roncevaux sera escaladé lors d'un autre voyage. Je vais prendre le car
espagnol ! Après salutations et quelques rires, je repars résolument en
sens inverse vers l'office du tourisme de la ville, où m'est indiqué
l'emplacement de l'arrêt du fameux car espagnol. En cours de route, je
croise une dame qui désire prendre le même autocar que moi.
Nous buvons un pot ensemble, partageons quelques sandwichs...
et nous nous retrouvons dans le car, en fin de matinée. Uniquement tous
les deux ! Personne d'autre ne l'utilise !
En début d'après-midi, la frontière entre la France et l'Espagne est
franchie. Le car dépose la dame et moi-même à Roncesvalles, nom
espagnol de Roncevaux. L'accueil du gîte de Roncevaux est tenu par
des Néerlandais. Ils tamponnent la credencial, le passeport qui prouve
notre passage.
Immédiatement après la paperasserie, je m'enfuis sur le Camino.
Chemin en français, Camino en espagnol. Saint-Jacques-de-
Compostelle en français, Santiago de Compostela en espagnol. Oui,
voici l'Espagne tant espérée.
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Guide LEPERE du Chemin de Stevenson (extrait)
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Guide LEPERE Camino del Norte (extrait)
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Récit d'un pèlerin unijambiste sur le Chemin de Compostelle (extrait)

  • 1. 1 Inaccessible Espagne Voilà déjà plusieurs semaines que je chemine sur le GR65, la voie du Puy. Bientôt, je vais rejoindre la multitude des marcheurs qui partent de Saint-Jean-Pied-de-Port. L’Espagne se profile. L'après-midi avance. Dans le village de Bussunarits, il n'y a pas de gîte, sinon des chambres d'hôtes au-delà de mon budget. Un géomètre prend des mesures sur le bord de la route. Nous bavardons quelques minutes. Il m'invite à venir dormir chez lui, mais m'explique- t-il, sa maison est assez éloignée du GR65. Malgré la douleur d'un escarre sur le moignon que je traîne depuis de nombreuses journées, et malgré plus de dix-sept kilomètres dans les jambes, je remercie le technicien et décline son invitation. Je vise le village de Saint-Jean-le- Vieux, trois kilomètres plus loin, où il y a un camping et un gîte. Le camping m'intéresse. La route est asphaltée. Le ciel se couvre. Voici Saint-Jean-le-Vieux. Je ne repère pas le camping malgré une pancarte sur le bord du chemin. En réalité, je suis trop fatigué pour chercher. Il est passé dix-huit heures. Dans un plaisant hôtel-restaurant à la belle façade locale, je m'écroule sur une table. Je commande une bonne bière du Pays basque. L'heure avancée et la fatigue me poussent à demander s'il est possible de dormir ici. L'hôtelière, très sympathique et étonnée de me voir avec une jambe démontable, propose un « prix adapté », dit-elle : soixante euros la chambre avec dîner et petit- déjeuner. Non, trop cher pour moi. Depuis le départ de Condom, je surveille chaque dépense et je suis parvenu à une moyenne de vingt- deux euros de dépense par jour, en comptant le déplacement depuis l'Isère et les covoiturages. L'hôtelière comprend et m'indique la direction du « Gîte romain » qui porte ce nom en raison de ruines romaines découvertes non loin d'ici. Il commence à pleuvoir. Une route escarpée descend vers le « Gîte romain ». Pas de chance : la totalité du gîte est louée toute la semaine par un groupe de touristes. Je ne me décourage pas. La bonne bière basque m'a 13
  • 2. ragaillardi. Il faut repartir. Que faire ? Il pleut, mais la douleur du moignon est stable. Tant mieux, l’escarre est en train de guérir. Pourquoi ne pas tenter l'aventure : Saint-Jean-Pied-de-Port n'est qu'à quelques kilomètres. La pluie est fine, de ces pluies que j'apprécie pendant la marche parce qu'elle ne pénètre pas, mouille et apaise le pied dans la sandale, caresse le visage. Le son amorti des gouttelettes qui frappent la pèlerine et l'atmosphère humide créent une ambiance musicale, tendance Debussy. J'observe toutefois la couleur du ciel, car on entend des grondements de tonnerre. Allez, à Dieu vat, on y va. Je marche sans trop de difficulté. La direction du GR65 m'a été mollement indiquée au « Gîte romain ». Je fais confiance à ma sagacité, mais je ne le retrouve pas. Il y a une route départementale, passante, qui se dirige tout droit vers Saint-Jean-Pied-de-Port, sorte de dernière étape française. Je m'y engage. Le bord de la départementale offre un dégagement herbeux facile, puis des trottoirs. Je chemine allègrement sous la pluie qui ne s'amplifie pas. Il est vingt heures trente quand je parviens à l'entrée de la ville. Je suis si heureux que je prends de nombreuses photos, en « selfie », devant le panneau « Saint-Jean-Pied- de-Port ». Puis je me dirige vers la vieille ville, dans l'espoir d'un bon grand gîte communal comme il est annoncé sur les guides. Saint-Jean-Pied-de-Port est une très belle cité médiévale qui rappelle d'autres villes du même style : Vézelay, Ramatuelle, les Baux- de-Provence ou cette magnifique bourgade de Conques où je me suis arrêté quelques mois auparavant. L'éclairage amorti sous la pluie et quelques brumes fugitives gâchent l'arrivée, mais on devine la silhouette de la vieille ville. Une forteresse domine la cité et une rue piétonne monte en colimaçon – très exactement en amorce de colimaçon – vers le fort. J'en profiterai le lendemain. Le nom « Saint- Jean-Pied-de-Port » fera rire mes enfants : il faudra leur expliquer qu'il s'agit de « port », c'est-à-dire « col » dans le parler pyrénéen et non de « porc », au sens de « cochon ». Lors d'années d'études à Toulouse, j'ai franchi le port d'Envalira vers l'Andorre ou le port de Lers dans l'Ariège. De nombreux bars et restaurants sont ouverts et illuminent l'entrée de la ville médiévale. Je respire, on se sent bien ici. Pour l'instant, c'est le soir. Une mauvaise surprise m'attend : on ne peut se rendre directement dans un gîte communal, et même plus généralement dans presque tous les gîtes, sans passer par « l'Accueil 14
  • 3. des pèlerins ». Aïe ! À cette heure-là ? Je grimpe la rue principale piétonne, la rue de la Citadelle, qui mène à l'Accueil. Pas de chance : quelques instants avant moi, un car de touristes allemands vient d'arriver. Ils sont près d'une quarantaine à faire la queue ! Bon tant pis, je dormirai dehors. Il doit bien exister, quelque part sous les remparts de la citadelle, un petit coin tranquille et abrité où il est possible de se glisser dans son sac de couchage. Je continue la rue de la Citadelle jusqu'aux premières fortifications. En haut de la rue, se trouve un donativo. Je m'y risque. Rappelons, pour ceux qui l’ignorent, qu’un donativo est un hébergement où chacun participe financièrement comme il l’entend et comme il le ressent. Celui-ci est tenu par une dame âgée, Janine (je conserve le prénom), au caractère bien trempé, et pleine de tendresse. Elle rappelle Thérèse, rencontrée à Miradoux juste après la traversée de la Garonne, en Gascogne. Quand Janine me voit, elle se désole : « Il n'y a plus de place ». À cet instant, un marcheur, Hervé, se lève de la table de la salle à manger. Il se propose d'aller directement s'adresser à des gîtes privés de la rue, plus bas, et de demander s'il y a de la place pour moi. Janine sort quelques boissons et je m'assieds près d'elle. Dix minutes plus tard, Hervé revient, triomphant : il reste une place libre, une seule, dans une chambre d'hôtes, en bas de la rue, pas loin d'ici. Elle n'est pas trop chère, adaptée au budget des pèlerins, explique-t-il. Je ne peux refuser l'offre après une telle spontanéité. Je remercie Hervé. Je ne le reverrai plus. Janine, en revanche, explique que si je veux rester une nuit de plus à Saint-Jean-Pied-de-Port, pas de problème : il suffit de passer de bonne heure demain matin, juste après neuf heures, et de prendre un ticket à l'Accueil des pèlerins. L'hébergement déniché par Hervé est confortable, mais la dame qui en est responsable est dans un mauvais jour. Elle me reçoit en gémissant, elle se plaint des pèlerins, des touristes, des résidents, des hôteliers, de l'Accueil, des politiques, des Français, des étrangers, du Monde entier et si elle en avait connu, des extra-terrestres, voire des êtres surnaturels ou sous-naturels. Mais elle m'indique un bon restaurant, « Chez Dédé », où je vais vite aller manger pour me réconforter de la longue et belle journée et plus encore de la fin de la voie du Puy. On mange très bien et pas cher chez Dédé. La cuisine est locale : le menu est entièrement basque et le petit vin d'accompagnement aussi. 15
  • 4. Dans la chambre d'hôtes, il y a deux lits. L'autre lit est occupé par un Japonais-Chinois-Coréen-Vietnamien, je ne sais. Il n'est pas très content de me voir arriver. La douche est quasiment inaccessible pour un unijambiste. Je dois encore une fois faire des acrobaties et des exercices de contorsion pour y accéder, au risque de déraper sur l'eau stagnante et de me briser les os. La nuit est la bienvenue : aujourd'hui, j'ai marché plus de vingt-deux kilomètres, de neuf heures du matin à vingt et une heures. Un repos d'une journée entière à Saint-Jean-Pied- de-Port est nécessaire. * Le matin, l'hôtesse m'accueille froidement. Il n'est pourtant que huit heures. « C'est un peu tard, aboie-t-elle, pour le petit-déjeuner. Tous les autres marcheurs sont déjà partis ! » C'est vrai. Il me faut un peu de patience pour la voir s'adoucir et servir un copieux petit- déjeuner. Puis elle commence à se confier. Je comprends son humeur massacrante : elle s'occupe d'un vieux monsieur handicapé en fauteuil roulant, qu'elle est allée chercher la veille dans un hospice et qu'elle doit garder quelques jours. Ce service semble pomper son énergie, vu qu'elle doit aussi s'occuper des touristes et des pèlerins. L'homme en question est là, enfoncé dans son siège. J'essaie de communiquer avec lui, mais il ne répond pas. Je quitte le gîte sans trop de regrets, mais avec un brin de tendresse pour cette femme dévouée qui se consacre non seulement à l'accueil des pèlerins et des touristes, mais aussi au soutien des personnes seules ou exclues. À neuf heures, je me rends à l'Accueil des pèlerins. Surprise, on m'attendait. Un pèlerin rencontré quelques jours auparavant, Jean-Paul, a prévenu, la veille, de mon arrivée. « Vous auriez dû passer devant les Allemands hier soir, me déclare-t-on, on vous aurait pris en priorité ». J'avoue que j'ai horreur de profiter de mon handicap pour imposer ma place : orgueil mal placé ? Peut-être, mais aussi souci de ne pas trop se faire remarquer et de ne pas se servir de mon infirmité comme passe- droit. Tout le monde est aux petits soins pour moi. On se propose de garder mes affaires pour la journée, on m'offre le café, des biscuits et des bonbons, on me donne le ticket pour aller dormir le soir chez Janine. On m'informe que les deux gîtes intermédiaires qui accèdent au col de Roncevaux sont tous bloqués jusqu'au week-end. Nous sommes un jeudi ! De plus, il est interdit de camper ! Aïe, aïe, aïe, je suis coincé 16
  • 5. ici, à Saint-Jean-Pied-de-Port pour au moins deux ou trois jours ! Les responsables de l'Accueil constatent, à leur grand désappointement, que nombre de touristes se font passer pour des pèlerins et prennent leur place dans les gîtes réservés. Il faut ajouter à ce fait que vers Saint- Jean-Pied-de-Port, convergent deux chemins différents, celui qui arrive de Vézelay et celui du Puy. Enfin, de nombreux pèlerins commencent le pèlerinage de Compostelle ici. Bon, apparemment, la logistique n'est pas au point et il n'est pas dans notre intérêt de sortir des clous si on veut être accueilli correctement. Un marcheur handicapé qui aime la liberté, l'improvisation et l'aventure est un peu marginal dans cette organisation. Je retourne chez Janine. Elle doit s'absenter et elle me confie la garde du gîte pendant son absence. C'est la deuxième fois que j'inspire cette confiance. Le maire d'Aroue, sur la voie du Puy, me l’avait déjà proposée il y a quelques jours. L'après-midi, les premiers marcheurs arrivent. Ils s'installent. J'explique les règles du donativo et je les laisse. Janine revient. J'en profite pour partir visiter la ville. J'y vais sans jambe artificielle, uniquement avec les béquilles, histoire de faire cicatriser l'escarre définitivement. Je ne monte pas à la forteresse. De nombreux touristes parcourent la cité. Les habituelles boutiques de souvenirs et de gadgets kitsch et inutiles ne désemplissent pas. Des artilleurs de photos, dont je suis, cherchent les cadrages et les perspectives de lumière adaptés à leur œuvre future. Avec les appareils numériques, on a directement l'état de la prise de photo. Circuler, seul, incognito, au milieu d'une foule colorée, peuplée d'étrangers et d'étranges autres personnages, est un plaisir différent de celui des heures de marche sur le Chemin. J'apprécie, mais sans doute je m'en lasserai plus vite. Le soleil est là et ses rayons éclairent les vieilles maisons, en révélant les ombres et les reliefs. Je repère par hasard l'ancienne maison de famille d’ancêtres de François Xavier, le compagnon d'Ignace de Loyola, qui partit en Chine au seizième siècle. François Xavier est un de ces grands spirituels que j'admire. Régulièrement, je passe à l'Accueil des pèlerins pour vérifier si une place ne se libère pas, par hasard, dans un gîte vers le col de Roncevaux. Non. Rien. En fin d'après-midi, je découvre qu'un jeune Allemand a dégommé mes affaires du lit que j'avais décidé d'occuper dans le gîte de Janine. Il 17
  • 6. s'y est installé. Il faut le comprendre : le lit est situé face à une fenêtre qui s'ouvre sur de splendides paysages basques. Je proteste. Il se moque et rit. Il n'a pas vu ma prothèse électronique en train de se recharger sur une prise électrique, et ne tient pas compte de mon handicap. Mais il appartient à un groupe et ne veut pas perdre la face devant ses collègues. Bon tant pis. Je retourne à l'Accueil des pèlerins pour demander un autre ticket qui me permet d'obtenir un autre lit tranquille que j’ai repéré près d'une autre fenêtre. Au moment où j'arrive, le ticket adéquat vient d'être remis à une dame. Je demande à la dame si elle peut échanger et si je peux récupérer ce lit. Elle refuse avec mauvaise humeur, presque comme si elle était agressée. OK. C'est la fin d'après- midi, les esprits sont fourbus. Finalement, j'hérite d'un lit près de la porte d'entrée du dortoir. Toute la soirée et une partie de la nuit, les allées et venues des marcheurs qui vont aux toilettes, fouiller le frigo ou boire un pot, bousculent ou raclent le lit, me réveillent. Un vieux monsieur étranger – anglais ou irlandais – qui occupe le lit superposé, fait des tours et des sauts la moitié de la nuit. Je vais finir par regretter les dortoirs vides des gîtes communaux de France. Malgré ces incidents et des douleurs aux mains dues à la marche excessive avec les béquilles de la veille, j'ai bien dormi. Mais je suis toujours hésitant sur la suite du Camino. Vais-je tenter, contre toute législation, de franchir le col en me cachant sous la tente quelque part en cours de route, derrière un rocher, puis continuer sur le Camino Francés, via Pampelune et Burgos, qu'on appelle aussi « l'autoroute des pèlerins » ? Vais-je plutôt quitter Saint-Jean-Pied-de-Port, gagner Bayonne et Saint-Jean-de-Luz pour rejoindre le Camino Primitivo qui longe la côte du golfe de Gascogne ? Le second chemin est plus long et plus cher, m'a-t-on signalé à plusieurs reprises, mais plus tranquille et plus beau. Je dis au revoir à Janine et à quelques jeunes, à qui j'offre un paquet de chocolats Mars, en leur souhaitant une bonne marche vers Roncevaux. Au fond, je n'ai pas trop le moral. Apprendre que toutes les places intermédiaires vers le col sont squattées par des touristes m'a plombé les ailes. Par prudence, je passe de nouveau par l'Accueil des pèlerins : « Une petite place ? Une petite place ? S'il vous plaît ? ». Non. Rien de libre. Je n'ai pas le courage de tenter le col illégalement, en plantant la tente en un lieu interdit, et je me dirige pesamment vers la gare de Saint-Jean-Pied-de-Port avec l'intention de me rendre à Bayonne, puis 18
  • 7. de rentrer en Isère. Je reviendrai sur le Chemin une autre fois. Ou éventuellement à Bayonne, pensai-je, je recueillerai la liste des hébergements du Camino Primitivo, le long de la côte de l'Atlantique. Cette seconde perspective me console. J'avoue être un peu triste. Il serait idiot de renoncer sur un échec. Ne jamais prendre de décision dans un temps de désolation, écrit Ignace de Loyola dans les Exercices Spirituels. Sauf si on se sent menacé et que la santé est en jeu, a rajouté un de mes amis jésuites. Bon, ce n'est pas le cas. À la gare, le car SNCF arrive dans une heure et demie. Survient alors un groupe de pèlerins qui doivent prendre le même car. La conversation s'engage et je leur explique ma situation. Tous sont alors unanimes : tu dois repartir sur le Chemin. Un autocar espagnol monte tous les jours à Roncevaux par la route. Il serait stupide de renoncer maintenant à cause de l'occupation des gîtes. Vu ton état de handicapé, il n'y a rien de honteux à franchir le col en autocar. D'autres, valides, ne s'en privent pas. Au fond de moi, j'attendais une telle énergie positive. Ils ont raison, ai-je estimé en fin d'analyse. Le col de Roncevaux sera escaladé lors d'un autre voyage. Je vais prendre le car espagnol ! Après salutations et quelques rires, je repars résolument en sens inverse vers l'office du tourisme de la ville, où m'est indiqué l'emplacement de l'arrêt du fameux car espagnol. En cours de route, je croise une dame qui désire prendre le même autocar que moi. Nous buvons un pot ensemble, partageons quelques sandwichs... et nous nous retrouvons dans le car, en fin de matinée. Uniquement tous les deux ! Personne d'autre ne l'utilise ! En début d'après-midi, la frontière entre la France et l'Espagne est franchie. Le car dépose la dame et moi-même à Roncesvalles, nom espagnol de Roncevaux. L'accueil du gîte de Roncevaux est tenu par des Néerlandais. Ils tamponnent la credencial, le passeport qui prouve notre passage. Immédiatement après la paperasserie, je m'enfuis sur le Camino. Chemin en français, Camino en espagnol. Saint-Jacques-de- Compostelle en français, Santiago de Compostela en espagnol. Oui, voici l'Espagne tant espérée. 19