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* Les médias : « Un empire sans empereur ».
De Beyrouth à Port-Bouët, en passant par Djedda, Bangui, N’Djamena, Moussoro et Abéché,
Cayenne, Fort de France et Pointe à Pitre, Cotonou, Niamey et Lomé, Versailles, la Place
Saint-Thomas d’Aquin, le Ministère de la Défense rue Saint Dominique et jusqu’à…
Orsonnette, je me suis frotté de façon récurrente aux médias et à leurs sbires, les journalistes.
L’urticaire chronique qui en résulte sera-t-il exorcisé par l’exercice de réflexion que je
m’impose à l’intention de Mallory, Clovis, Gabin, Maëlys, Antonin, Lucie, Constance ?
Ainsi que le notent, respectueusement (?), mes jeunes camarades actuellement aux manettes
de la maison Défense, ma génération a perçu la communication comme une fonction
cosmétique et non comme une fonction noble. La préférence culturelle pour la coercition
faisait que dans mon esprit, l’« opérationnel » primait. Autrement dit, que tout ce qui ne
participe pas directement à la conduite de l’action est secondaire. Communiquer par des actes
suffisait donc. Je reconnais, sur le tard, que cette attitude mentale reléguait la fonction
communication à un rôle secondaire. Et que la tentation fut grande de se tourner vers elle, une
fois qu’on est « dans le mur ». Il est patent que l’Armée française se distingue par une
« communication à retardement ».
Et pourtant l’information est le nerf de la guerre ! Rien de nouveau sous le soleil. Au VI°
siècle avant JC, le général chinois Sun Tsu en avait fait un ouvrage. Napoléon, dit-on,
craignait davantage trois journaux que dix mille baïonnettes. Censure pendant la première
guerre mondiale, celles d’ Indochine et d’Algérie, propagande de masse à la radio et au
cinéma pendant la Seconde guerre mondiale, accès aux troupes et au théâtre des opérations
pendant la guerre du Vietnam, limite des accès au front à des groupes restreints de journalistes
pendant la Guerre du Golfe avec discours sur « les frappes chirurgicales », la guerre « zéro
mort» et les « dégâts collatéraux » : les opérations d’information appuient la stratégie
d’influence et contribuent, dans le cadre des opérations, à l’atteinte de l’état final recherché en
respectant les valeurs défendues. Mais quels sont les journalistes qui n’enfourchent pas, au
nom du droit et de la morale, la cause des victimes, oubliant la distanciation critique
indispensable à l’information ? La Syrie en 2013 restera à ce titre un cas d’école. La presse
française donne souvent une vision caricaturale du conflit, avec d’un côté les bons, les
manifestants, les blogueurs, l’opposition en général et, de l’autre, les méchants au pouvoir.
La multiplication des médias, l’interaction des journalistes « militants » ou « citoyens », des
Syriens qui transmettent des vidéos via Internet, entretiennent la confusion. Les médias sont
une arme de guerre et de propagande.
Cela étant, quel mauvais rapport aux médias ai-je manifesté et…entretenu !
La vocation originelle d’un journaliste ou d’un correspondant de guerre : enquêter, décrypter
la complexité à partir du réel et non du dernier fantasme en vogue, m’apparaît trahie. Pour
avoir redouté puis craint, le sourire ambigu caché derrière l’épaisse moustache d’un Edwy
Plenel émergeant de la cohorte des pisseurs d’encre qui débarquent du DC 8 de la République
au bout d’un monde perturbé par les rafales de kalachnikov, pour avoir fraternisé avec tel
autre « correspondant défense » d’un grand quotidien ou d’un journaliste « embedded »
(intégré dans nos unités), j’ai cru distinguer deux types journalistiques dans la corporation.
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Il y a ceux qui « sentent » les sujets et ceux qui « savent » à l’avance, par prédestination. La
structure mentale, idéologique, de ces derniers, est une matrice qui forme l’actualité. Leur
capacité à comprendre d’emblée une question avant de l’avoir examinée est fascinante. Pour
le journaliste militant, un évènement vaut moins par ce qu’il révèle que par ce qu’il confirme.
Le relâchement nauséabond de leurs sphincters sous l’effet d’une bordée de missiles Grad
tirés par les Syriens sur nos positions, ne changea rien à leur façon de voir - après qu’ils
eussent la fesse propre -.
Je souhaite également faire une petite place à BHL, Bernard-Henri Lévy, philosophe glamour
de l’establishment politico médiatique contemporain. Je m’astreins à lire ce jeune ancien
combattant, chaque semaine dans Le Point. Ses clichés, ses poncifs et autres slogans sur le
vaste monde et ce qu’il devrait être, me rappellent notre soirée commune à Bangui.
L’évacuation urgente des ressortissants y primait alors sur les droits de l’homme et le goulag.
Intellectuel médiatique, « scotché à l’audimat et aux incessants défis de la mode », il venait
sacrifier à la société du spectacle dont il était et demeure l’archétype. Quelle indécence !
Et tous ceux, griots de l’opposition politique, pigistes de province, éditorialistes encensés,
tous ceux du « Quatrième pouvoir » dont la communication est fondée sur l’émotion et les
bons sentiments, que j’ai du supporter l’espace d’une rencontre sur le terrain. Frédéric Pons,
Thierry Desjardins, Georges Darcourt, Mireille Duteil, Jane Atwood, Yves Mourousi et
Charles Villeneuve… Des dinosaures pour vous, mais remplacés par autant de clones !
Recueilli à Salal, no man’s land tchadien, et réconforté du désagrément de l’heure
d’hélicoptère en rase-mottes par une bière locale Galla (« Le goût du bonheur ») sauvée de la
fournaise, Jacques Isnard, ténor du Monde le plus grand quotidien du soir de l’époque,
m’appelle par mon prénom. Nous nous connaissons depuis Fréjus et le Liban. « Dévoilez-lui,
(les lieux ne s’y prêtent pas) et en confiance, le fond de votre âme de soldat de la paix en
situation » qu’ils disaient à l’état-major de l’opération Manta ! L’humilité des lieux, la
limpidité du regard des acteurs en treillis, leur expérience diversifiée des interventions, leur
foi en la mission et les ordres du commandement, nous font alors considérer que le journaliste
doit être informé sans détour.
Les articles et autres éditoriaux en retour, ne retiendront que ce qui, paraît-il, plaît au public.
Le message n’a pas été transmis. On a brodé sur des thèmes douteux mais avec de très bonnes
intentions. Nous nous voyons trahis, c’est irritant. Il paraît que c’est la marque d’une
sympathie, d’une surprise ravie. Possible. Mais on reste perplexe. La traduction de la réalité
vécue n’est pas à la mesure de l’inspiration et de l’objectif fixé. Celle-là tourne court. Celui-ci
n’est pas atteint. On comprend mieux alors l’entretien des mythes. J’ai cédé à cet
« éditorialiste citoyen » dont je m’aperçus que ce prétendu capteur d’informations ne faisait
que dégorger des opinions. Quels ravages au total. Ce fabuleux mélange de faits et de
commentaires n’a eu d’autres effets que d’enivrer l’artiste et les fans de sa famille de pensée.
Le soldat et la presse, deux partenaires sur deux planètes.
La tragique embuscade d’Afghanistan de l’été 2008 nous a fait revivre des séquences hélas
connues. Aux côtés de mes jeunes compagnons d’armes par la pensée, j’observe à cette
occasion que le faux prétexte, la nécessité d’informer s’assortit d’un détestable voyeurisme.
Certes les conflits d’aujourd’hui et la couverture médiatique qu’on en fait, paraissent d’une
autre nature.
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D’abord, l’opinion fut surprise. Surprise quelque peu surprenante : quand un pays envoie des
soldats sur un théâtre d’opérations, on peut s’attendre à ce qu’ils courent des risques. Ensuite,
notre société est de plus en plus compassionnelle. Compassion qui se teinte volontiers de
voyeurisme : ne photographie-t-on impunément, tout et son contraire avec son téléphone
portable ! Nos compatriotes enfin, sont méfiants.
A peine avaient-ils eu connaissance de cette triste péripétie du combat qu’ils ont mis en doute
la version officielle de l’un de mes anciens officier-élève de Montpellier, le général
Stolsteiner commandant de l’opération. Les journaux y ont contribué en allant quêter les
témoignages des survivants, oubliant que les acteurs de la confrontation n’en voient, et n’en
retiennent, qu’une partie. Sans compter que la compagnie qui a accroché est, en opération
extérieure tout particulièrement, un milieu encore plus clos que dans sa garnison de Castres ou
de Fréjus. Chacun sait dans le métier, que toutes les armées du monde qui subissent un revers
tactique, tentent d’en préserver les circonstances et les conséquences.
Depuis la guerre du Golfe, le reporter de guerre n’est plus seulement un témoin distancé, mais
lui-même un acteur de la guerre. La médiatisation s’est substituée au journalisme proprement
dit. Une visibilité instantanée est rendue possible par l’évolution technologique. La guerre
suscite une sorte de chronique planétaire permanente, réactive et émotive. D’où, l’horreur du
micro tendu comme seule source d’objectivité. L’abominable invective, l’indicible douleur,
recherchées pour des effets d’antenne, le blog exutoire des vraies colères instantanées ou
celles savamment installées, sans compter « l’expert » télévisuel que l’on force à entrer dans
cette logique vaine. Régis Debray, après un parcours de bâton de chaise de révolutionnaire
d’écrivain/ journaliste / philosophe, le reconnaît aujourd’hui : « Le cri l’emporte sur l’écrit ».
Les journalistes chassent en meute, plus excités, les uns par les autres, que par la traque de la
vie quotidienne et de ses ressorts cachés. Ils nous servent un fast-food informatif qui laisse de
plus en plus le client sur sa faim. A coup de chocs émotionnels et de visions binaires
« bourreaux / victimes », ils donnent de l’actualité une vision massifiée : une info et une seule
occupe tout le champ visuel. Un thème chasse l’autre et ne laisse dans l’estomac du lecteur
qu’une sensation douloureuse de gavage. Le discours dominant est fait de conformisme,
d’indignation facile et d’idéologie proprette. Ajoutons que lorsque les médias sont libres mais
que le commentaire l’emporte sur le recueil des faits et s’accommode de l’approximation, les
discours idéologiques s’infiltrent, propagandes molles. La rumeur s’installe alors elle aussi,
avec une étonnante facilité.
Bien sûr, cela ne saurait être sans le public. Quand les vents balaient les sommets et que les
grands perdent l’équilibre, le public est toujours là, haletant. Il a faim de chair fraîche. Les
médias savent y pourvoir. En toute bonne conscience. Comme les étourneaux, ils fonctionnent
en groupe. Quand ils ont fini de dévaster leur potager ou leur arbre fruitier, ils passent au
suivant en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Ils sont voraces, grégaires et
moutonniers.
Le secret peut-il s’avérer dangereux pour la démocratie ? « Il n’y a pas de vie dans la lumière
permanente ». La vie publique a besoin d’ombre, comme d’ailleurs l’espèce humaine, comme
l’espèce animale. Nous ménageons des zones d’obscurité, celle du sommeil, celle de la
chambre à coucher, du confessionnal…Nous ne sommes pas (plus) nus sur terre. Ainsi
s’exprime Jean Lacouture, grand reporter et journaliste chevronné, identifié et responsable
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dans un livre qu’il a intitulé : « L’Eloge du secret ». Il affirme que son métier est certes
d’écrire la vie telle qu’elle est mais qu’il existe des limites, des conventions des lois.
Le grand public ne doit pas pénétrer dans certains domaines. Celui de la vie privée bien
entendu, y compris pour les personnalités publiques. Dans la vie publique, des secrets d’Etat
ont toujours existé et continuent d’exister malgré le développement prodigieux des moyens
informatiques. La pudeur, ce mot est employé à dessein, la pudeur qui s’impose dans la vie
privée s’impose aussi dans la vie publique. Or, exclure le grand public de certaines
informations n’est pas dans l’air du temps.
La mode voudrait que tout soit mis sur la table. Mais tout le monde n’est pas armé pour tout
recevoir ! La vie publique, qui est par certains égards plus brutale que la vie privée, implique
constamment des conflits, de l’espionnage, parfois une dose de cynisme. Ainsi si l’on veut
qu’une guerre se poursuive à l’infini, publions tout ce qui se dit derrière le rideau, dévoilons
tous les contacts qui se font dans la discrétion, et la Palestine ne connaîtra jamais la paix !
Certes il existe une demande sociale permanente. On a naturellement envie de tout savoir.
Mais cette exigence se heurte à l’intérieur de nous-même au refus de tout dévoiler. La vie
sociale est le terrain d’une dialectique permanente entre l’envie de tout savoir et le réflexe
humain de se préserver.
Nous vivons aujourd’hui une période d’emballements successifs de l’actualité et partant d’un
« matraquage » à l’ampleur exceptionnelle. Cet emballement crée une forte tension dans
l’information, dans le commentaire. Il y a ainsi une espèce d’hystérie qui gagne ceux qui sont
mis en compétition sur le sens à donner aux événements. Ce qui génère des concurrences
médiatiques exaspérantes. Ensuite, nous sommes de plus en plus dans le « sacre de
l’amateur », avec des citoyens-consommateurs qui ont le sentiment qu’il faut se méfier de tout
ce qu’on leur dit. Avec la généralisation d’Internet, la multiplication des réseaux sociaux,
chacun se pose désormais en entité autonome, capable d’émettre ses propres jugements, avec
le même degré de légitimité que les médias. Et dans l’instantanéité des communications
électroniques. Ceci accroît la multiplicité des points de vue, la vitesse vertigineuse de leur
expression et, finalement, l’aplatissement des informations et du sens des événements plutôt
qu’une compréhension élargie et plus aiguë. La circulation de l’information de moins en
moins bien maîtrisée peut être porteuse d’effets pervers. D’où le rôle irremplaçable des
journalistes comme médiateurs entre l’actualité et le lecteur, l’auditeur, le téléspectateur,
l’internaute.
Et que dire de la bien-pensance « de gauche » de la presse, de ceux qui font la littérature de
notre pays, des soi-disant philosophes ? Il y a unanimisme de gauche (en 2012, seuls 6 % des
journalistes se disaient de droite). Car il y a bien derrière tous les journalistes un prêt-à-penser
dominant. Héritée de Mai 68, l’idéologie libéro-libertaire y a part belle : jeunisme,
antiracisme, voire antichristianisme. Position angélique et inexpugnable derrière laquelle se
donnent libre cours bien des complaisances. Dans tous les moments difficiles, tous ces gens se
prennent pour des petits Robespierre. Le résultat, c’est que la vérité est complètement
radicalisée. Que dire de l’« esprit Canal » qui raille et corrode tout ce qu’il touche. Une
machine à laver le cerveau. Impossible d’y aligner plus de deux mots. L’interviewé ne doit
pas trop réfléchir avant de s’exprimer sinon quelqu’un parle avant lui. On y promeut des
ouvrages que l’on n’a jamais lus. Ironie de rigueur, survol des sujets, suffisance d’une équipe
aux méthodes de cancres avec prompteur et oreillette. Trop de mélange des genres entre
information et divertissement.
5
L’indépendance n’est pas un statut, c’est un état d’esprit. Celui qui consiste à repérer ses
…dépendances. Le journaliste est bien évidemment dépendant de son public : on n’écrit pas
dans La Croix comme dans Charlie Hebdo. Mais le savoir, c’est être responsable. Et la
liberté de la plume s’arrête où commence celle du lecteur de ne plus la lire. A l’intérieur d’un
cadre imposé par le réel, le journaliste doit ménager des espaces de liberté et de
responsabilité.
Depuis qu’à la télévision, les nouvelles tombent comme à Gravelotte, tout le monde croit en
effet tout savoir. C’est l’effet « démocratisation de l’information ». On finit par ne plus rien
entendre dans ce vacarme. La surinformation mène à la désinformation. Naguère le lecteur
allait à l’information. Aujourd’hui, c’est elle qui va au téléspectateur. Il ne peut y échapper. Il
semble falloir que la société soit choquée ou se sente en danger, comme lors d’attentats, de
grandes grèves ou encore d’émeutes dans les quartiers, pour se mobiliser. De la médiatisation
des événements découle le véritable agenda de nos gouvernants.
Le menu d’un journal télévisé, à 20 heures par exemple, est souvent une longue litanie de
catastrophes, de drames, de scandales d’où n’émerge aucune lueur d’espoir. Certes, « …la
base de notre métier, c’est l’indignation » proclame le président du Forum des sociétés de
journalistes ! Le mal journalistique ne vient pas de son impuissance à dire ce qui va mal mais
plutôt à montrer ce qui réussit. Les médias ont beaucoup de mal à mettre en valeur les
hommes et les femmes en responsabilité qui honorent leur fonction.
La situation des médias est elle-même très préoccupante. Alors que le nombre et le type de
médias n’ont jamais été aussi grands, l’information véhiculée n’a jamais été aussi
uniformisée, perdant le combat de la diversité et de la créativité. Aujourd’hui, l’information
naît d’un tissu informe, dans lequel le pourvoyeur d’information est assez peu visible. Par
ailleurs, avec les nouvelles technologies, chacun s’invente journaliste. Or c’est un métier qui
s’apprend : - savoir où trouver les sources d’information mais aussi, et c’est presque aussi
important, où les vérifier – savoir aussi situer un événement dans son contexte.
La différence ne se fait pas aujourd’hui par la collecte de l’information, le choix. Le
comportement moutonnier l’emporte. Or, il est bien établi que l’information se mesure à partir
de la variété. Lorsque la variété diminue, l’information disparaît.
Nous assistons depuis plusieurs années à une certaine détérioration de la qualité de
l’information. Plusieurs exemples pour s’en convaincre. Les sources d’information sont de
plus en plus nombreuses. On pourrait s’en réjouir, car elles offrent plus de choix. Toutefois, il
est difficile de sélectionner les meilleures, les plus fiables, celles qui ne sont pas manipulées
par des « institutions » respectables. Celles qui font référence sont parfois reprises en boucle,
sans discernement par la plupart des médias, alors qu’il serait nécessaire de s’obliger à un
regard critique pour en accréditer la pertinence. Qui traite et évalue aujourd’hui
l’information ?
Même des médias parmi les plus importants de peur d’être à la traîne, se précipitent et
diffusent sans recul, alors qu’il s’agit parfois de rumeurs ou de manipulations. Les
informations délivrées sur les marchés donnent lieu à des réflexes moutonniers de la part
d’opérateurs qui amplifient les mouvements. La volatilité des marchés est renforcée par la
similitude des comportements des différents acteurs qui traitent les informations avec les
mêmes schémas de pensée et prennent le plus souvent des positions similaires.
6
L’amplification, voire l’orchestration, de la diffusion d’une information influe sur son degré
supposé de pertinence, alors qu’il n’est pas du tout certain qu’une information non vérifiée
reprise à grande échelle soit en quoi que ce soit pertinente. Le « buzz » autour de
l’information a tendance prendre le pas sur le qualitatif. Ensuite la multitude d’infos
disponibles sur la Toile, parfois contradictoires empêche toute possibilité de synthèse, et peut
donc aboutir à de l’immobilisme. Le flux continu d’informations empêche ainsi la prise de
décision, car elle place le récepteur dans une position d’attente perpétuelle face à une
information à venir toujours à découvrir, comme si le temps de la réflexion, du recul
nécessaire n’était jamais atteint mais toujours différé dans l’attente d’une nouvelle pièce du
puzzle de la compréhension parfaite. Aussi, certaines informations reprises en boucle finissent
parfois par faire office de but à atteindre pour le plus grand nombre.
Que dire des effets de l’information publicitaire, proche de la manipulation, qui entretient
parfois bien peu de rapport avec la réalité et pousse les individus vers des choix de
consommation discutables…
Je pense que « l’information tue l’information » lorsque celle-ci n’est plus de qualité, n’est
plus vérifiée et que les récepteurs que nous sommes n’ont plus le sens critique ou le recul
nécessaire pour la traiter correctement.
Et puis, des mots, encore des mots. L’époque justifie-t-elle les débordements que nous
subissons et que les journalistes imposent en devanture ? Le fameux « Casse-toi, riche con »
du journal Libération suite à la décision de Bernard Arnault, à la tête de l’empire financier
LVHM de demander la nationalité belge est un coup éditorial. Mais ceux qui s’offusquèrent
du précédent présidentiel du « Casse-toi pauvre con » ont le droit de faire remarquer que la
vulgarité est constante, s’appliquât-elle cette fois, à un « riche ». Méfions-nous de la dose de
violence mise dans les mots comme devraient se méfier de ce qu’ils écrivent, les romanciers
et les essayistes. A augmenter sans cesse la charge des ces bombes à fragmentation, nous
allons finir par rendre impossible toute nuance et surtout, par interdire tout débat, toute
pensée, toute intelligence. L’indignité menace le langage et l’incivilité la civilisation.
Faut-il ensuite revenir sur ce sacro-saint principe de la liberté d’expression conçue comme la
plus éminente des libertés ? Plus importante que le respect des croyances, que le rempart de la
vie privée, que la vérité même et que la paix ? Deux considérations méritent que l’on s’y
attarde. La première est que les effets de cette liberté sans entraves se constatent chaque jour,
avec leurs bons côtés et leurs effets néfastes, voire mortels. La seconde est que la nouveauté
de l’Internet nécessite une réflexion renouvelée. Désormais, n’importe quelle bêtise imaginée
par un fêlé ou un fanatique tapi dans un coin peut se trouver illico répercutée dans le monde
entier. Et amplifiée. Le maniement de la rumeur diffusée sur Internet est difficile. Si elle est
diffamatoire, il faudrait ne pas la reprendre. Mais si elle était fondée, et que d’autres s’en
emparent ? De toutes façons, il va falloir tenir compte du fait que, même reconnue
mensongère, l’affirmation diffamatoire ne s’effacera pas, malgré les démentis.
La merveilleuse et terrible invention du Web fait de tout événement un phénomène mondial.
Action, réaction : le couple fonctionne à une vitesse désormais électronique. Comme
l’information-choc est privilégiée, l’action positive, située dans la durée, n’a guère droit de
cité.
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Le simple bon sens voudrait que l’on s’interroge sur la nécessité d’actualiser notre réflexion
sur la validité de la primauté de cette liberté tant vantée par les journalistes dans leurs
colonnes (et par les politiques dans leurs discours). Nous en connaissons la valeur quand nous
en bénéficions et nous connaissons la détresse des pays qui n’en connaissent ni la couleur ni
le goût. La diffusion d’une « idée », d’une brève de comptoir, de tout ordre, à la vitesse de la
lumière, fait de cet objet un ovni dont le destin et les conséquences nous échappent.
Je prends pour exemple la provocation du journal satirique français « Charlie Hebdo », une de
plus, à propos du non moins inconséquent film américain islamophobe qui déclencha des
manifestations mondiales en septembre 2012. Qui connaît Charlie Hebdo en Orient ?
Personne. Qui sait, désormais, qu’il a publié quelques dessins pouvant heurter des
musulmans ? Tout le monde. Et qui peut ignorer que des fanatiques vont utiliser ce cadeau
éditorial tombé du ciel pour cogner à bras raccourcis sur tout ce qui pourra leur évoquer la
France et ses représentants. Certes, dès la parution de Charlie Hebdo, les exemplaires du
journal se sont arrachés ! Un énorme coup de pub. (Mais les lecteurs se sont-ils précipités
pour défendre la liberté d’expression et le droit à la caricature ou, moins noblement, pour se
délecter de dessins grossiers tournant en dérision les musulmans ?).
Enfin, n’est-ce pas faire beaucoup d’honneur aux fondamentalistes qui y trouvent un aliment à
leur petite notoriété et à leur propagande ? C’est renforcer, dans les esprits qui n’en ont pas
besoin, la haine de l’autre, non musulman notamment. On rêverait qu’à la provocation,
réponde une sage indifférence. L’initiative de cet hebdomadaire s’apparente à de la
pyromanie.
L’éthique de conviction, c’est d’écrire et de dessiner ce qu’on veut. L’éthique de
responsabilité, c’est de mesurer les conséquences de ce que l’on publie. Et, parfois, en
fonction du climat, du contexte, de s’interdire de le faire. L’avantage de l’autocensure, n’est-
ce pas de nous protéger contre la perspective de la censure tout court ?
Pour finir, je réagis, outré de l’absence de déontologie de la profession. Bien sûr, quand on
évoque la déontologie du journaliste on oublie qu’elle n’est qu’un niveau de la réflexion. Il y
en a d’autres : la déontologie d’une équipe de rédaction, la déontologie d’une hiérarchie, d’un
journal, d’un éditeur de presse, d’un groupe de presse. Mais ici et là l’on salit, calomnie en
toute impunité. Les médias jouent volontiers aux fléchettes sur tout le monde, du vulgus
pecum à l’homme important. Le politique lui, soucieux plus que jamais de son image dans
l’opinion, et de façon continue, n’a certes pas une approche purement vertueuse de sa relation
avec les médias ! Mais observons-le, à part en Grande Bretagne, notre presse n’est jamais
sanctionnée.
Quand il se trompe, l’homme politique est battu, l’entrepreneur dépose son bilan. Il leur faut
ensuite traverser des déserts. Le journaliste, lui, peut écrire n’importe quoi et se tromper sur
tout, cela ne change rien. Ses journaux se vendent toujours aussi bien – ou aussi mal -. Il est
intouchable. « C’est pourquoi, sur le tard, il devient presque toujours pompeux et mégalo »
(François Mitterrand). Cette impunité permet à la presse d’assurer sa pérennité. Se tromper
dans son cas, n’est jamais un grand tort. Mais il est interdit de la critiquer sous peine d’être
accusé de vouloir attenter aux libertés. Charles Péguy s’en déjà était ému en 1901 qui
écrivait : « Le journaliste ne peut cumuler tous les privilèges de l’autorité avec tous les droits
de la liberté ».
8
Notons que l’autorité de la presse n’est plus grand chose en ce début de XXI° siècle. De
même que le journaliste sans peur et sans reproche, le Zola de « J’accuse » qui manie le stylo
comme une épée et fait béer d’admiration les masses, ce journaliste a vécu.
Mais que demandons-nous au quatrième pouvoir qui depuis maintenant de nombreuses années
a pris l’habitude de condamner, voire de lyncher ceux qui deviennent sous leur plume, ou leur
déclaration, des présumés coupables avant même la tenue de leur procès (affaire Alègre
contre Dominique Baudis, affaire d’Outreau…). Que risquent-ils protégés derrière le dogme
de la liberté de la presse ?
Il serait temps que la profession s’interroge sur la pratique de son métier, sur sa toute
puissance, sur la question de savoir si aujourd’hui la dynamique médiatique enfonce la
démocratie ou la sert. Que chacun des journalistes s’interroge en permanence sur sa
production et particulièrement censure l’amalgame, l’accusation au conditionnel, la mise en
cause de la vie privée, les sous-entendus qui ne tombent pas sous le coup des lois mais
peuvent porter atteinte à la dignité, à l’honneur. Que la profession se dote d’un ordre
d’autorégulation. Qu’elle accepte une charte d’éthique.
Comme se l’applique à lui-même, Pierre Sergent, un jeune, talentueux et libre confrère de la
presse : « Le journaliste a le droit de savoir et de faire savoir. Mais tout le monde a le droit
de juger ».
Et, cerise sur le gâteau, que le journaliste soit un écrivain. « Une plume alerte pour réagir,
nuancée pour peser, sèche pour trancher, riche pour décrire, incisive pour dénoncer mais
aussi encline à se réjouir et à jouer avec les mots. Surtout une plume patiente et prudente
pour échapper aux pièges de l’actualité »
Journaliste ? Un métier à réinventer !
En avant Mallory, que les sirènes des commentateurs sportifs séduisent !
Général (2S) Jean Nichon

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Les médias, la presse

  • 1. 1 * Les médias : « Un empire sans empereur ». De Beyrouth à Port-Bouët, en passant par Djedda, Bangui, N’Djamena, Moussoro et Abéché, Cayenne, Fort de France et Pointe à Pitre, Cotonou, Niamey et Lomé, Versailles, la Place Saint-Thomas d’Aquin, le Ministère de la Défense rue Saint Dominique et jusqu’à… Orsonnette, je me suis frotté de façon récurrente aux médias et à leurs sbires, les journalistes. L’urticaire chronique qui en résulte sera-t-il exorcisé par l’exercice de réflexion que je m’impose à l’intention de Mallory, Clovis, Gabin, Maëlys, Antonin, Lucie, Constance ? Ainsi que le notent, respectueusement (?), mes jeunes camarades actuellement aux manettes de la maison Défense, ma génération a perçu la communication comme une fonction cosmétique et non comme une fonction noble. La préférence culturelle pour la coercition faisait que dans mon esprit, l’« opérationnel » primait. Autrement dit, que tout ce qui ne participe pas directement à la conduite de l’action est secondaire. Communiquer par des actes suffisait donc. Je reconnais, sur le tard, que cette attitude mentale reléguait la fonction communication à un rôle secondaire. Et que la tentation fut grande de se tourner vers elle, une fois qu’on est « dans le mur ». Il est patent que l’Armée française se distingue par une « communication à retardement ». Et pourtant l’information est le nerf de la guerre ! Rien de nouveau sous le soleil. Au VI° siècle avant JC, le général chinois Sun Tsu en avait fait un ouvrage. Napoléon, dit-on, craignait davantage trois journaux que dix mille baïonnettes. Censure pendant la première guerre mondiale, celles d’ Indochine et d’Algérie, propagande de masse à la radio et au cinéma pendant la Seconde guerre mondiale, accès aux troupes et au théâtre des opérations pendant la guerre du Vietnam, limite des accès au front à des groupes restreints de journalistes pendant la Guerre du Golfe avec discours sur « les frappes chirurgicales », la guerre « zéro mort» et les « dégâts collatéraux » : les opérations d’information appuient la stratégie d’influence et contribuent, dans le cadre des opérations, à l’atteinte de l’état final recherché en respectant les valeurs défendues. Mais quels sont les journalistes qui n’enfourchent pas, au nom du droit et de la morale, la cause des victimes, oubliant la distanciation critique indispensable à l’information ? La Syrie en 2013 restera à ce titre un cas d’école. La presse française donne souvent une vision caricaturale du conflit, avec d’un côté les bons, les manifestants, les blogueurs, l’opposition en général et, de l’autre, les méchants au pouvoir. La multiplication des médias, l’interaction des journalistes « militants » ou « citoyens », des Syriens qui transmettent des vidéos via Internet, entretiennent la confusion. Les médias sont une arme de guerre et de propagande. Cela étant, quel mauvais rapport aux médias ai-je manifesté et…entretenu ! La vocation originelle d’un journaliste ou d’un correspondant de guerre : enquêter, décrypter la complexité à partir du réel et non du dernier fantasme en vogue, m’apparaît trahie. Pour avoir redouté puis craint, le sourire ambigu caché derrière l’épaisse moustache d’un Edwy Plenel émergeant de la cohorte des pisseurs d’encre qui débarquent du DC 8 de la République au bout d’un monde perturbé par les rafales de kalachnikov, pour avoir fraternisé avec tel autre « correspondant défense » d’un grand quotidien ou d’un journaliste « embedded » (intégré dans nos unités), j’ai cru distinguer deux types journalistiques dans la corporation.
  • 2. 2 Il y a ceux qui « sentent » les sujets et ceux qui « savent » à l’avance, par prédestination. La structure mentale, idéologique, de ces derniers, est une matrice qui forme l’actualité. Leur capacité à comprendre d’emblée une question avant de l’avoir examinée est fascinante. Pour le journaliste militant, un évènement vaut moins par ce qu’il révèle que par ce qu’il confirme. Le relâchement nauséabond de leurs sphincters sous l’effet d’une bordée de missiles Grad tirés par les Syriens sur nos positions, ne changea rien à leur façon de voir - après qu’ils eussent la fesse propre -. Je souhaite également faire une petite place à BHL, Bernard-Henri Lévy, philosophe glamour de l’establishment politico médiatique contemporain. Je m’astreins à lire ce jeune ancien combattant, chaque semaine dans Le Point. Ses clichés, ses poncifs et autres slogans sur le vaste monde et ce qu’il devrait être, me rappellent notre soirée commune à Bangui. L’évacuation urgente des ressortissants y primait alors sur les droits de l’homme et le goulag. Intellectuel médiatique, « scotché à l’audimat et aux incessants défis de la mode », il venait sacrifier à la société du spectacle dont il était et demeure l’archétype. Quelle indécence ! Et tous ceux, griots de l’opposition politique, pigistes de province, éditorialistes encensés, tous ceux du « Quatrième pouvoir » dont la communication est fondée sur l’émotion et les bons sentiments, que j’ai du supporter l’espace d’une rencontre sur le terrain. Frédéric Pons, Thierry Desjardins, Georges Darcourt, Mireille Duteil, Jane Atwood, Yves Mourousi et Charles Villeneuve… Des dinosaures pour vous, mais remplacés par autant de clones ! Recueilli à Salal, no man’s land tchadien, et réconforté du désagrément de l’heure d’hélicoptère en rase-mottes par une bière locale Galla (« Le goût du bonheur ») sauvée de la fournaise, Jacques Isnard, ténor du Monde le plus grand quotidien du soir de l’époque, m’appelle par mon prénom. Nous nous connaissons depuis Fréjus et le Liban. « Dévoilez-lui, (les lieux ne s’y prêtent pas) et en confiance, le fond de votre âme de soldat de la paix en situation » qu’ils disaient à l’état-major de l’opération Manta ! L’humilité des lieux, la limpidité du regard des acteurs en treillis, leur expérience diversifiée des interventions, leur foi en la mission et les ordres du commandement, nous font alors considérer que le journaliste doit être informé sans détour. Les articles et autres éditoriaux en retour, ne retiendront que ce qui, paraît-il, plaît au public. Le message n’a pas été transmis. On a brodé sur des thèmes douteux mais avec de très bonnes intentions. Nous nous voyons trahis, c’est irritant. Il paraît que c’est la marque d’une sympathie, d’une surprise ravie. Possible. Mais on reste perplexe. La traduction de la réalité vécue n’est pas à la mesure de l’inspiration et de l’objectif fixé. Celle-là tourne court. Celui-ci n’est pas atteint. On comprend mieux alors l’entretien des mythes. J’ai cédé à cet « éditorialiste citoyen » dont je m’aperçus que ce prétendu capteur d’informations ne faisait que dégorger des opinions. Quels ravages au total. Ce fabuleux mélange de faits et de commentaires n’a eu d’autres effets que d’enivrer l’artiste et les fans de sa famille de pensée. Le soldat et la presse, deux partenaires sur deux planètes. La tragique embuscade d’Afghanistan de l’été 2008 nous a fait revivre des séquences hélas connues. Aux côtés de mes jeunes compagnons d’armes par la pensée, j’observe à cette occasion que le faux prétexte, la nécessité d’informer s’assortit d’un détestable voyeurisme. Certes les conflits d’aujourd’hui et la couverture médiatique qu’on en fait, paraissent d’une autre nature.
  • 3. 3 D’abord, l’opinion fut surprise. Surprise quelque peu surprenante : quand un pays envoie des soldats sur un théâtre d’opérations, on peut s’attendre à ce qu’ils courent des risques. Ensuite, notre société est de plus en plus compassionnelle. Compassion qui se teinte volontiers de voyeurisme : ne photographie-t-on impunément, tout et son contraire avec son téléphone portable ! Nos compatriotes enfin, sont méfiants. A peine avaient-ils eu connaissance de cette triste péripétie du combat qu’ils ont mis en doute la version officielle de l’un de mes anciens officier-élève de Montpellier, le général Stolsteiner commandant de l’opération. Les journaux y ont contribué en allant quêter les témoignages des survivants, oubliant que les acteurs de la confrontation n’en voient, et n’en retiennent, qu’une partie. Sans compter que la compagnie qui a accroché est, en opération extérieure tout particulièrement, un milieu encore plus clos que dans sa garnison de Castres ou de Fréjus. Chacun sait dans le métier, que toutes les armées du monde qui subissent un revers tactique, tentent d’en préserver les circonstances et les conséquences. Depuis la guerre du Golfe, le reporter de guerre n’est plus seulement un témoin distancé, mais lui-même un acteur de la guerre. La médiatisation s’est substituée au journalisme proprement dit. Une visibilité instantanée est rendue possible par l’évolution technologique. La guerre suscite une sorte de chronique planétaire permanente, réactive et émotive. D’où, l’horreur du micro tendu comme seule source d’objectivité. L’abominable invective, l’indicible douleur, recherchées pour des effets d’antenne, le blog exutoire des vraies colères instantanées ou celles savamment installées, sans compter « l’expert » télévisuel que l’on force à entrer dans cette logique vaine. Régis Debray, après un parcours de bâton de chaise de révolutionnaire d’écrivain/ journaliste / philosophe, le reconnaît aujourd’hui : « Le cri l’emporte sur l’écrit ». Les journalistes chassent en meute, plus excités, les uns par les autres, que par la traque de la vie quotidienne et de ses ressorts cachés. Ils nous servent un fast-food informatif qui laisse de plus en plus le client sur sa faim. A coup de chocs émotionnels et de visions binaires « bourreaux / victimes », ils donnent de l’actualité une vision massifiée : une info et une seule occupe tout le champ visuel. Un thème chasse l’autre et ne laisse dans l’estomac du lecteur qu’une sensation douloureuse de gavage. Le discours dominant est fait de conformisme, d’indignation facile et d’idéologie proprette. Ajoutons que lorsque les médias sont libres mais que le commentaire l’emporte sur le recueil des faits et s’accommode de l’approximation, les discours idéologiques s’infiltrent, propagandes molles. La rumeur s’installe alors elle aussi, avec une étonnante facilité. Bien sûr, cela ne saurait être sans le public. Quand les vents balaient les sommets et que les grands perdent l’équilibre, le public est toujours là, haletant. Il a faim de chair fraîche. Les médias savent y pourvoir. En toute bonne conscience. Comme les étourneaux, ils fonctionnent en groupe. Quand ils ont fini de dévaster leur potager ou leur arbre fruitier, ils passent au suivant en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Ils sont voraces, grégaires et moutonniers. Le secret peut-il s’avérer dangereux pour la démocratie ? « Il n’y a pas de vie dans la lumière permanente ». La vie publique a besoin d’ombre, comme d’ailleurs l’espèce humaine, comme l’espèce animale. Nous ménageons des zones d’obscurité, celle du sommeil, celle de la chambre à coucher, du confessionnal…Nous ne sommes pas (plus) nus sur terre. Ainsi s’exprime Jean Lacouture, grand reporter et journaliste chevronné, identifié et responsable
  • 4. 4 dans un livre qu’il a intitulé : « L’Eloge du secret ». Il affirme que son métier est certes d’écrire la vie telle qu’elle est mais qu’il existe des limites, des conventions des lois. Le grand public ne doit pas pénétrer dans certains domaines. Celui de la vie privée bien entendu, y compris pour les personnalités publiques. Dans la vie publique, des secrets d’Etat ont toujours existé et continuent d’exister malgré le développement prodigieux des moyens informatiques. La pudeur, ce mot est employé à dessein, la pudeur qui s’impose dans la vie privée s’impose aussi dans la vie publique. Or, exclure le grand public de certaines informations n’est pas dans l’air du temps. La mode voudrait que tout soit mis sur la table. Mais tout le monde n’est pas armé pour tout recevoir ! La vie publique, qui est par certains égards plus brutale que la vie privée, implique constamment des conflits, de l’espionnage, parfois une dose de cynisme. Ainsi si l’on veut qu’une guerre se poursuive à l’infini, publions tout ce qui se dit derrière le rideau, dévoilons tous les contacts qui se font dans la discrétion, et la Palestine ne connaîtra jamais la paix ! Certes il existe une demande sociale permanente. On a naturellement envie de tout savoir. Mais cette exigence se heurte à l’intérieur de nous-même au refus de tout dévoiler. La vie sociale est le terrain d’une dialectique permanente entre l’envie de tout savoir et le réflexe humain de se préserver. Nous vivons aujourd’hui une période d’emballements successifs de l’actualité et partant d’un « matraquage » à l’ampleur exceptionnelle. Cet emballement crée une forte tension dans l’information, dans le commentaire. Il y a ainsi une espèce d’hystérie qui gagne ceux qui sont mis en compétition sur le sens à donner aux événements. Ce qui génère des concurrences médiatiques exaspérantes. Ensuite, nous sommes de plus en plus dans le « sacre de l’amateur », avec des citoyens-consommateurs qui ont le sentiment qu’il faut se méfier de tout ce qu’on leur dit. Avec la généralisation d’Internet, la multiplication des réseaux sociaux, chacun se pose désormais en entité autonome, capable d’émettre ses propres jugements, avec le même degré de légitimité que les médias. Et dans l’instantanéité des communications électroniques. Ceci accroît la multiplicité des points de vue, la vitesse vertigineuse de leur expression et, finalement, l’aplatissement des informations et du sens des événements plutôt qu’une compréhension élargie et plus aiguë. La circulation de l’information de moins en moins bien maîtrisée peut être porteuse d’effets pervers. D’où le rôle irremplaçable des journalistes comme médiateurs entre l’actualité et le lecteur, l’auditeur, le téléspectateur, l’internaute. Et que dire de la bien-pensance « de gauche » de la presse, de ceux qui font la littérature de notre pays, des soi-disant philosophes ? Il y a unanimisme de gauche (en 2012, seuls 6 % des journalistes se disaient de droite). Car il y a bien derrière tous les journalistes un prêt-à-penser dominant. Héritée de Mai 68, l’idéologie libéro-libertaire y a part belle : jeunisme, antiracisme, voire antichristianisme. Position angélique et inexpugnable derrière laquelle se donnent libre cours bien des complaisances. Dans tous les moments difficiles, tous ces gens se prennent pour des petits Robespierre. Le résultat, c’est que la vérité est complètement radicalisée. Que dire de l’« esprit Canal » qui raille et corrode tout ce qu’il touche. Une machine à laver le cerveau. Impossible d’y aligner plus de deux mots. L’interviewé ne doit pas trop réfléchir avant de s’exprimer sinon quelqu’un parle avant lui. On y promeut des ouvrages que l’on n’a jamais lus. Ironie de rigueur, survol des sujets, suffisance d’une équipe aux méthodes de cancres avec prompteur et oreillette. Trop de mélange des genres entre information et divertissement.
  • 5. 5 L’indépendance n’est pas un statut, c’est un état d’esprit. Celui qui consiste à repérer ses …dépendances. Le journaliste est bien évidemment dépendant de son public : on n’écrit pas dans La Croix comme dans Charlie Hebdo. Mais le savoir, c’est être responsable. Et la liberté de la plume s’arrête où commence celle du lecteur de ne plus la lire. A l’intérieur d’un cadre imposé par le réel, le journaliste doit ménager des espaces de liberté et de responsabilité. Depuis qu’à la télévision, les nouvelles tombent comme à Gravelotte, tout le monde croit en effet tout savoir. C’est l’effet « démocratisation de l’information ». On finit par ne plus rien entendre dans ce vacarme. La surinformation mène à la désinformation. Naguère le lecteur allait à l’information. Aujourd’hui, c’est elle qui va au téléspectateur. Il ne peut y échapper. Il semble falloir que la société soit choquée ou se sente en danger, comme lors d’attentats, de grandes grèves ou encore d’émeutes dans les quartiers, pour se mobiliser. De la médiatisation des événements découle le véritable agenda de nos gouvernants. Le menu d’un journal télévisé, à 20 heures par exemple, est souvent une longue litanie de catastrophes, de drames, de scandales d’où n’émerge aucune lueur d’espoir. Certes, « …la base de notre métier, c’est l’indignation » proclame le président du Forum des sociétés de journalistes ! Le mal journalistique ne vient pas de son impuissance à dire ce qui va mal mais plutôt à montrer ce qui réussit. Les médias ont beaucoup de mal à mettre en valeur les hommes et les femmes en responsabilité qui honorent leur fonction. La situation des médias est elle-même très préoccupante. Alors que le nombre et le type de médias n’ont jamais été aussi grands, l’information véhiculée n’a jamais été aussi uniformisée, perdant le combat de la diversité et de la créativité. Aujourd’hui, l’information naît d’un tissu informe, dans lequel le pourvoyeur d’information est assez peu visible. Par ailleurs, avec les nouvelles technologies, chacun s’invente journaliste. Or c’est un métier qui s’apprend : - savoir où trouver les sources d’information mais aussi, et c’est presque aussi important, où les vérifier – savoir aussi situer un événement dans son contexte. La différence ne se fait pas aujourd’hui par la collecte de l’information, le choix. Le comportement moutonnier l’emporte. Or, il est bien établi que l’information se mesure à partir de la variété. Lorsque la variété diminue, l’information disparaît. Nous assistons depuis plusieurs années à une certaine détérioration de la qualité de l’information. Plusieurs exemples pour s’en convaincre. Les sources d’information sont de plus en plus nombreuses. On pourrait s’en réjouir, car elles offrent plus de choix. Toutefois, il est difficile de sélectionner les meilleures, les plus fiables, celles qui ne sont pas manipulées par des « institutions » respectables. Celles qui font référence sont parfois reprises en boucle, sans discernement par la plupart des médias, alors qu’il serait nécessaire de s’obliger à un regard critique pour en accréditer la pertinence. Qui traite et évalue aujourd’hui l’information ? Même des médias parmi les plus importants de peur d’être à la traîne, se précipitent et diffusent sans recul, alors qu’il s’agit parfois de rumeurs ou de manipulations. Les informations délivrées sur les marchés donnent lieu à des réflexes moutonniers de la part d’opérateurs qui amplifient les mouvements. La volatilité des marchés est renforcée par la similitude des comportements des différents acteurs qui traitent les informations avec les mêmes schémas de pensée et prennent le plus souvent des positions similaires.
  • 6. 6 L’amplification, voire l’orchestration, de la diffusion d’une information influe sur son degré supposé de pertinence, alors qu’il n’est pas du tout certain qu’une information non vérifiée reprise à grande échelle soit en quoi que ce soit pertinente. Le « buzz » autour de l’information a tendance prendre le pas sur le qualitatif. Ensuite la multitude d’infos disponibles sur la Toile, parfois contradictoires empêche toute possibilité de synthèse, et peut donc aboutir à de l’immobilisme. Le flux continu d’informations empêche ainsi la prise de décision, car elle place le récepteur dans une position d’attente perpétuelle face à une information à venir toujours à découvrir, comme si le temps de la réflexion, du recul nécessaire n’était jamais atteint mais toujours différé dans l’attente d’une nouvelle pièce du puzzle de la compréhension parfaite. Aussi, certaines informations reprises en boucle finissent parfois par faire office de but à atteindre pour le plus grand nombre. Que dire des effets de l’information publicitaire, proche de la manipulation, qui entretient parfois bien peu de rapport avec la réalité et pousse les individus vers des choix de consommation discutables… Je pense que « l’information tue l’information » lorsque celle-ci n’est plus de qualité, n’est plus vérifiée et que les récepteurs que nous sommes n’ont plus le sens critique ou le recul nécessaire pour la traiter correctement. Et puis, des mots, encore des mots. L’époque justifie-t-elle les débordements que nous subissons et que les journalistes imposent en devanture ? Le fameux « Casse-toi, riche con » du journal Libération suite à la décision de Bernard Arnault, à la tête de l’empire financier LVHM de demander la nationalité belge est un coup éditorial. Mais ceux qui s’offusquèrent du précédent présidentiel du « Casse-toi pauvre con » ont le droit de faire remarquer que la vulgarité est constante, s’appliquât-elle cette fois, à un « riche ». Méfions-nous de la dose de violence mise dans les mots comme devraient se méfier de ce qu’ils écrivent, les romanciers et les essayistes. A augmenter sans cesse la charge des ces bombes à fragmentation, nous allons finir par rendre impossible toute nuance et surtout, par interdire tout débat, toute pensée, toute intelligence. L’indignité menace le langage et l’incivilité la civilisation. Faut-il ensuite revenir sur ce sacro-saint principe de la liberté d’expression conçue comme la plus éminente des libertés ? Plus importante que le respect des croyances, que le rempart de la vie privée, que la vérité même et que la paix ? Deux considérations méritent que l’on s’y attarde. La première est que les effets de cette liberté sans entraves se constatent chaque jour, avec leurs bons côtés et leurs effets néfastes, voire mortels. La seconde est que la nouveauté de l’Internet nécessite une réflexion renouvelée. Désormais, n’importe quelle bêtise imaginée par un fêlé ou un fanatique tapi dans un coin peut se trouver illico répercutée dans le monde entier. Et amplifiée. Le maniement de la rumeur diffusée sur Internet est difficile. Si elle est diffamatoire, il faudrait ne pas la reprendre. Mais si elle était fondée, et que d’autres s’en emparent ? De toutes façons, il va falloir tenir compte du fait que, même reconnue mensongère, l’affirmation diffamatoire ne s’effacera pas, malgré les démentis. La merveilleuse et terrible invention du Web fait de tout événement un phénomène mondial. Action, réaction : le couple fonctionne à une vitesse désormais électronique. Comme l’information-choc est privilégiée, l’action positive, située dans la durée, n’a guère droit de cité.
  • 7. 7 Le simple bon sens voudrait que l’on s’interroge sur la nécessité d’actualiser notre réflexion sur la validité de la primauté de cette liberté tant vantée par les journalistes dans leurs colonnes (et par les politiques dans leurs discours). Nous en connaissons la valeur quand nous en bénéficions et nous connaissons la détresse des pays qui n’en connaissent ni la couleur ni le goût. La diffusion d’une « idée », d’une brève de comptoir, de tout ordre, à la vitesse de la lumière, fait de cet objet un ovni dont le destin et les conséquences nous échappent. Je prends pour exemple la provocation du journal satirique français « Charlie Hebdo », une de plus, à propos du non moins inconséquent film américain islamophobe qui déclencha des manifestations mondiales en septembre 2012. Qui connaît Charlie Hebdo en Orient ? Personne. Qui sait, désormais, qu’il a publié quelques dessins pouvant heurter des musulmans ? Tout le monde. Et qui peut ignorer que des fanatiques vont utiliser ce cadeau éditorial tombé du ciel pour cogner à bras raccourcis sur tout ce qui pourra leur évoquer la France et ses représentants. Certes, dès la parution de Charlie Hebdo, les exemplaires du journal se sont arrachés ! Un énorme coup de pub. (Mais les lecteurs se sont-ils précipités pour défendre la liberté d’expression et le droit à la caricature ou, moins noblement, pour se délecter de dessins grossiers tournant en dérision les musulmans ?). Enfin, n’est-ce pas faire beaucoup d’honneur aux fondamentalistes qui y trouvent un aliment à leur petite notoriété et à leur propagande ? C’est renforcer, dans les esprits qui n’en ont pas besoin, la haine de l’autre, non musulman notamment. On rêverait qu’à la provocation, réponde une sage indifférence. L’initiative de cet hebdomadaire s’apparente à de la pyromanie. L’éthique de conviction, c’est d’écrire et de dessiner ce qu’on veut. L’éthique de responsabilité, c’est de mesurer les conséquences de ce que l’on publie. Et, parfois, en fonction du climat, du contexte, de s’interdire de le faire. L’avantage de l’autocensure, n’est- ce pas de nous protéger contre la perspective de la censure tout court ? Pour finir, je réagis, outré de l’absence de déontologie de la profession. Bien sûr, quand on évoque la déontologie du journaliste on oublie qu’elle n’est qu’un niveau de la réflexion. Il y en a d’autres : la déontologie d’une équipe de rédaction, la déontologie d’une hiérarchie, d’un journal, d’un éditeur de presse, d’un groupe de presse. Mais ici et là l’on salit, calomnie en toute impunité. Les médias jouent volontiers aux fléchettes sur tout le monde, du vulgus pecum à l’homme important. Le politique lui, soucieux plus que jamais de son image dans l’opinion, et de façon continue, n’a certes pas une approche purement vertueuse de sa relation avec les médias ! Mais observons-le, à part en Grande Bretagne, notre presse n’est jamais sanctionnée. Quand il se trompe, l’homme politique est battu, l’entrepreneur dépose son bilan. Il leur faut ensuite traverser des déserts. Le journaliste, lui, peut écrire n’importe quoi et se tromper sur tout, cela ne change rien. Ses journaux se vendent toujours aussi bien – ou aussi mal -. Il est intouchable. « C’est pourquoi, sur le tard, il devient presque toujours pompeux et mégalo » (François Mitterrand). Cette impunité permet à la presse d’assurer sa pérennité. Se tromper dans son cas, n’est jamais un grand tort. Mais il est interdit de la critiquer sous peine d’être accusé de vouloir attenter aux libertés. Charles Péguy s’en déjà était ému en 1901 qui écrivait : « Le journaliste ne peut cumuler tous les privilèges de l’autorité avec tous les droits de la liberté ».
  • 8. 8 Notons que l’autorité de la presse n’est plus grand chose en ce début de XXI° siècle. De même que le journaliste sans peur et sans reproche, le Zola de « J’accuse » qui manie le stylo comme une épée et fait béer d’admiration les masses, ce journaliste a vécu. Mais que demandons-nous au quatrième pouvoir qui depuis maintenant de nombreuses années a pris l’habitude de condamner, voire de lyncher ceux qui deviennent sous leur plume, ou leur déclaration, des présumés coupables avant même la tenue de leur procès (affaire Alègre contre Dominique Baudis, affaire d’Outreau…). Que risquent-ils protégés derrière le dogme de la liberté de la presse ? Il serait temps que la profession s’interroge sur la pratique de son métier, sur sa toute puissance, sur la question de savoir si aujourd’hui la dynamique médiatique enfonce la démocratie ou la sert. Que chacun des journalistes s’interroge en permanence sur sa production et particulièrement censure l’amalgame, l’accusation au conditionnel, la mise en cause de la vie privée, les sous-entendus qui ne tombent pas sous le coup des lois mais peuvent porter atteinte à la dignité, à l’honneur. Que la profession se dote d’un ordre d’autorégulation. Qu’elle accepte une charte d’éthique. Comme se l’applique à lui-même, Pierre Sergent, un jeune, talentueux et libre confrère de la presse : « Le journaliste a le droit de savoir et de faire savoir. Mais tout le monde a le droit de juger ». Et, cerise sur le gâteau, que le journaliste soit un écrivain. « Une plume alerte pour réagir, nuancée pour peser, sèche pour trancher, riche pour décrire, incisive pour dénoncer mais aussi encline à se réjouir et à jouer avec les mots. Surtout une plume patiente et prudente pour échapper aux pièges de l’actualité » Journaliste ? Un métier à réinventer ! En avant Mallory, que les sirènes des commentateurs sportifs séduisent ! Général (2S) Jean Nichon