Démocratisation des médias : Source : POULAIN Sebastien,« L’audiovisuel public est-il vraiment public ? », The Conversation, 17 mars 2021, https://theconversation.com/debat-laudiovisuel-public-est-il-vraiment-public-156794
1. Débat : L’audiovisuel public est-
il vraiment public ?
17 mars 2021, 20:16 CET
Exposition « Silence radio, Mai 68 à l’ORTF », 2018, Maison de la radio, Paris 16e. Author provided
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Source : « L’audiovisuel public est-il vraiment public? », The Conversation, 17 mars 2021,
https://theconversation.com/debat-laudiovisuel-public-est-il-vraiment-public-156794
Nous allons fêter les 100 ans de la radio en France et les 40 ans de la fin du
monopole d’État. L’heure est aux grands projets concernant l’audiovisuel
public, dont les fusions CSA/Hadopi et Radio France/France
Télévisions/France Médias Monde/Ina. Ces dernières années, l’audiovisuel
public a prouvé qu’il était capable d’innovations via des métamorphoses
numériques (podcasts, applications…) et des nouvelles plates-formes à
destination des jeunes (Okoo, Slash, Lumni, Salto…).
2. Il dispose d’une grande diversité de médias avec une qualité et un
professionnalisme souvent comparés à ceux de la BBC. Enfin, les audiences
de la radio publique et de la télévision publique ont résisté à la concurrence
et à la pandémie…
Dans ce contexte, comment penser une véritable démocratisation de
l’audiovisuel en France, comment le rendre vraiment public ?
Démocratisation de la gouvernance
L’une des critiques récurrentes adressée à l’audiovisuel public concerne sa
gouvernance, selon Gaël Villeneuve. Au-delà de leur élitisme, les PDG de
l’audiovisuel public sont systématiquement proches de la tête de l’exécutif.
Cette pratique aboutit à des risques de censures visibles et invisibles. C’était
le cas à l’époque de l’ORTF, et c’est toujours vrai aujourd’hui.
affiche ortf. Exposition « Silence radio, Mai 68 à l’ORTF», jusqu’au 29 juin 2018, Maison de la radio, Paris16e
L’exécutif – pour qui les médias publics représentent un enjeu important à
contrôler – a toujours refusé d’aller jusqu’au bout du processus
d’autonomie et de couper le « cordon ombilical ».
Pourtant, plusieurs possibilités existent pour désigner ses
dirigeant·e·s autrement que par l’intermédiaire du CSA dont le collège est
désigné majoritairement par le parti au pouvoir. La désignation pourrait
être faite par des représentants du Conseil d’administration, du personnel,
des auditeur·ice·s, des partis politiques d’opposition… Dans cette procédure
sans doute inédite, les candidat·e·s pourraient faire campagne (projet,
3. équipe, interviews…) puis rendre des comptes régulièrement lors d’un
mandat unique.
Démocratisation de la gestion
Aujourd’hui, les citoyen·ne·s ont la possibilité de critiquer ce qui est diffusé
à l’antenne grâce aux courriers, courriels, sur les réseaux sociaux, ou par
l’intermédiaire de la presse. Mais pourrait-on leur donner un véritable droit
de regard sur le mode d’organisation de l’audiovisuel public ?
Pourquoi ne pas les impliquer dans la gestion des médias ? Pourquoi tel
recrutement, licenciement, partenariat, invité·e, budget (la suppression de
la publicité), fusion (France Info/TV, les rédactions France 2/France
3/RFO, France Bleu/France 3), fermeture (Soir 3, France ô, France 4,
le direct la nuit à la radio) ?
Chacun de ces choix devrait pouvoir faire l’objet d’explications publiques,
claires et précises, car ils ont des conséquences programmatiques et socio-
économiques, à l’image du publirédactionnel traditionnel et nouveau. Ces
choix pourraient être questionnés par une audience « désinfantilisée » de
médias publics « déverticalisés ».
Les médias représentant une forme de pouvoir – ils ont du pouvoir, en tout
cas, sans doute doivent-ils accepter davantage de transparence et des
« contre-pouvoirs » en leur sein (c’est-à-dire aussi à l’antenne via des
intervenants qui critiquent ce qui s’y fait) et à l’extérieur.
Les pouvoirs juridiques (exécutifs, judiciaires, législatifs), eux, offrent des
possibilités de contestations suivant la logique de la séparation et l’équilibre
des pouvoirs promue par Montesquieu dans L’Esprit des lois. Inspirons-
nous des travaux de Christophe Pébarthe sur la démocratie grecque sous
Périclès où « tout discours de citoyen peut légitimement prétendre contenir
une vérité » et où chaque décision et vote peut être remise en question.
Démocratisation de l’antenne
Dans la « consultation citoyenne » « Ma Télé Ma Radio Demain » menée
par l’Institut Ipsos, Radio France et France Télévisions dans l’objectif de
préparer l’avenir des médias publics, les 127 109 répondants ont souligné
plusieurs faiblesses en termes de proximité avec le public, de diversité, de
parole citoyenne, de débat d’opinion et de diversité d’opinion en ce qui
concerne Radio France.
4. Présence des femmes dans les médias audiovisuels : Le CSA relève des progrès dans son rapport 2019 Publié le 05 mars
2 020. csa
C’est pourtant en donnant plus de place aux différentes composantes de la
société que l’audiovisuel public pourrait devenir davantage « la voix des
Français.es », voire « les voix des habitant·e·s de la France » au lieu de
« la voix de la France », c’est-à-dire, trop souvent, la voix de l’exécutif. Ainsi
du référendum de 1969 où France Inter est « mobilisée en faveurdu
oui » comme le rappelle Denis Maréchal (p177) ou de celui de 2005 sur
le Traité Constitutionnel Européen où la « couverture des affaires
européennes s’est homogénéisée depuis 2004 sur une ligne favorable au
OUI » au 20h de France 2 selon Jacques Gerstlé.
Les médias publics auraient sans doute à gagner à créer des espaces pour
des tendances politiques, mais aussi culturelles et sociétales plus diverses.
Pourquoi faut-il attendre la campagne politique officielle pour écouter
davantage de diversité (équilibre puis équité puis égalité) pour entendre
les « petits candidats » ?
Les réseaux sociaux numériques sont aujourd’hui critiqués, car ils donnent
la possibilité de créer des « bulles informationnelles », mais
historiquement, ce sont bien les médias traditionnels qui ont laissé trop peu
de place au pluralisme et à la contradiction en leur sein.
De même, les femmes disposent toujours de bien moins de temps d’antenne
que les hommes selon les études de l’INA. La question se pose aussi pour les
« minorités visibles » à la télévision. Les médias publics gagneraient à se
rapprocher des citoyennes et des citoyens pour qu’ils « rentrent » dans la
fabrique des médias (à l’instar de France Info junior) plutôt qu’en tant que
simples « faire-valoir ».
5. Le pluralisme – personnes recrutées, sujets traités, traitement des sujets,
invité·e·s, langues employées – est sans aucun doute une condition sine qua
non de la crédibilité des médias et de la confiance qui leur est accordée. À ce
stade, la crédibilité du média radio est plutôt meilleure que pour les autres
médias. La télévision publique doit donc travailler à augmenter la sienne.
Démocratisation de l’information
À l’heure de l’expansion des fake news, de la polarisation des opinions, de
la concentration des médias privés et du vieillissement de l’audience,
l’audiovisuel public pourrait jouer un rôle de réflexion sur l’ensemble des
productions médiatiques (l’« éducation aux médias ») en donnant
davantage de place à des émissions métamédiatiques (du média qui
réfléchit sur le média). Ce type d’émission permet de décrypter
le politiquement correct, les censures, les rumeurs, les théories
complotistes, le storytelling… qui semblent jouer des rôles toujours plus
importants dans nos vies et suscitent un réel intérêt des citoyens.
L’émission « Arrêt sur image » a trouvé un modèle économique autonome
sur Internet ; le médiateur de FTV reçoit entre 15 et 25 000 courriels de
téléspectateurs par an ; celui de Radio France reçoit environ 2000 messages
par mois.
« Votre télé et vous » est diffusé le dimanche à 7h25 surFrance 2. FTV
Il s’agirait donc d’accroître la place de ces émissions (médiateur·ice, fact-
checking…), de leur donner de bons horaires (le 148e numéro de « Votre télé
et vous » a été diffusé mardi 26 janvier 2021 à 00h15 sur France 3 et
dimanche 31 janvier à 7h25 sur France 2), plus de temps, plus
d’indépendance – ils dépendent de leur direction –, de diversifier les
intervenants (représentants de l’audience, d’écoles de journalisme,
universitaires, syndicats, membre des sociétés de journalistes, d’organismes
de critique et d’éducation aux médias) pour éviter d’en faire des outils de
communication et des « défenseur[s] des médias et des journalistes ».
6. Démocratisation de la production, de la
programmation et de la diffusion
Au-delà de la simple interrogation/interpellation verticale qu’on peut
trouver dans certaines émissions politiques, il s’agirait même de donner la
possibilité de produire des contenus, à l’image des doctorant·e·s qui
résument leurs thèses dans la rubrique « La Recherche montre en main ».
David Christoffel promeut des « hétérotopies » dans les « audiovisuels
publics » qui consiste à « organiser une préemption citoyenne des ondes en
confiant la direction des chaînes à des jurys citoyens. »
Arte radio. Arte radio
FTV, Radio France et leurs antennes locales pourraient devenir
des pépinières à podcasts citoyens à l’image des Audioblogs d’Arte radio.
Des concours INA ou France Culture sont déjà lancés. Il y a 80 millions de
téléchargements des podcasts produits par Radio France par mois
actuellement.
La démocratisation ne doit pas nuire à la créativité et à la liberté des
personnels des médias publics ; l’idée n’est pas de modeler les programmes
en fonction des audiences et des « bad buzz » numériques. Mais les médias
– et a fortiori ceux de l’audiovisuel public – n’ont-ils pas des comptes à
rendre à leur audience comme ils le font devant la Cour des comptes ?
Au-delà de l’enrichissement culturel personnel via l’écoute de ses
programmes, les médias publics ne peuvent-ils pas aider davantage à
l’« empouvoirement » (empowerment) des citoyens ? À l’heure des réseaux
sociaux et de l’expression libre sur le web, mais aussi de la démocratie
7. participative, il est temps de démocratiser l’audiovisuel pour le rendre
vraiment « public ».
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Fabrice Rousselot
Directeur de la rédaction
Auteur
1. Sebastien Poulain
Docteur en science de l'information et la communication, laboratoire Mica, Université Bordeaux
Montaigne, enseignant dans plusieurs universités, spécialiste de médias, ESS, contre culture,
Université Bordeaux Montaigne
Déclaration d’intérêts
Sebastien Poulain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation
qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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