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Institut d’Etudes Politiques de Lille
             Master communication institutionnelle




           La preuve :
nouvel impératif de communication
            corporate
    Mémoire préparé sous la direction de Mme Véronique Drecq
              Présenté et soutenu par Basile Segalen




                       Année 2009 - 2010
                                1
Paris, le 18 juin 2010




« Ce texte est original, il est le résultat d’un travail personnel. Les références des sources
et des emprunts (citations, graphiques, schémas…) sont clairement indiquées en note de
bas de page ou en bibliographie ».


                                                                               Basile Segalen




                                              2
Remerciements




          Je tiens à remercier tout particulièrement Véronique Drecq, pour m’avoir fait

découvrir et aimé le monde de la communication, et les enjeux qui y sont rattachés.

          Un grand merci bien sûr à Mathilde Cristiani et Renaud Edouard-Baraud, qui m’ont

intégré dans l’équipe de l’Atelier, et fait comprendre tout l’intérêt de la veille, en particulier

dans le domaine des nouvelles technologies.

          Je souhaite également exprimer toute ma gratitude à Nicolas d’Anglejan,

responsable adjoint de l’e-communication de BNP Paribas, pour m’avoir accordé un

entretien, et m’avoir éclairé sur la singularité des rapports entre le groupe et sa cellule de

veille.

          Merci enfin à Adrien et Corentin, pour m’avoir relu et conseillé, tout au long de ce

mémoire.

          Et à Julie, bien entendu, pour son soutien précieux et ses remarques pertinentes.




                                                3
Sommaire
Introduction                                                                                5

I. Le public en quête de vérité                                                           10
A. Quand la publicité se faisait « propagande »                                            11

a. Raconter des histoires ? (le storytelling en communication)                             11

b. Le greenwashing                                                                         16

c. Les limites de la répétition publicitaire                                               23

B. La communication à l’épreuve des faits                                                 24

a. Les Français et la pub : le trop-plein ?                                                24

b. La dissonance cognitive des consommateurs                                               27

C. Le scepticisme de la foule - quand le public doute de la véracité des
campagnes                                                                                 28

a. De l’ère du vide à l’ère du soupçon                                                     29

b. Les mouvements publiphobes                                                              30

II. Preuves à l’appui                                                                     33
A. De la nécessité de fonder la communication sur une action                              34

a. Le sens de la communication corporate                                                   34

b. Les logiques de partenariats                                                            38

B. De nouvelles cellules hybrides, autonomes                                              42

a. Etude de cas : la Fondation Bonduelle et la Fondation Total                             42

b. Quels objectifs pour quelle autonomie ?                                                 46

C. Etude de cas - L’Atelier BNP Paribas                                                    47

a. Un lien avec les professionnels                                                         48

b. Trois piliers de communication : l’événementiel, la veille et le conseil aux entreprises 50

Conclusion                                                                                 54

Bibliographie                                                                              56

Webographie                                                                                57

Annexes                                                                                    58
                                               4
Introduction



       Le lundi 23 novembre 2009, 800 professionnels de la communication sont

rassemblés au théâtre de Paris pour le Grand prix Effie de l’efficacité publicitaire. Ils sont

venus pour présenter leur campagne de communication, et juger de celle des autres.

Plusieurs prix sont attribués tour à tour, dans chacune des catégories (Automobile, Biens

durables, Communication publique et d’intérêt général, ou encore Petits budgets et

opérations spéciales…). À chaque fois, le couple lauréat - c’est-à-dire l’annonceur et

l’agence qui s’est occupée de la campagne - se lève, rejoint la scène, et adresse les

remerciements de rigueur. Toute la salle attend patiemment la remise du prix de l’année -

qui vient consacrer la marque dont l’opération publicitaire s’est avérée la plus efficace -

ainsi peut-être que les petits fours qui suivent la cérémonie. Enfin, l’heure sonne,

l’enveloppe s’ouvre, et le gagnant est proclamé.



       Il s’agit de Nespresso et de l’agence Mc Cann, dont la troisième vague

publicitaire, avec le fameux « What else ? » de George Clooney, commence à véritablement

porter ses fruits et à marquer les esprits.




                                              5
Nespresso : le fer de lance du groupe Nestlé, qui va connaître un début d’année

difficile en 2010, avec la gestion approximative d’une crise de communication sur les

médias sociaux, face aux offensives de Greenpeace1.

          Nespresso que l’on retrouve au printemps de cette même année, avec une campagne

dans la presse magazine qui entend affirmer haut et fort les valeurs de la marque, et

redorer son blason, en soulignant l’exigence dont elle fait preuve en matière de

développement durable. Le message est sans ambages : « Quand boire un café d’exception

devient un acte responsable ». Mais la réclame ne se limite pas à cela. Sur une pleine page,

elle poursuit en mettant en avant les actions concrètes entreprises en ce sens : « Avec son

programme Ecolaboration, Nespresso s’engage en faveur de la qualité durable ». Trois

« certificats » viennent ensuite assurer le consommateur du bien fondé de ce programme2,

et de sa vérité. En d’autres termes, annoncer que l’entreprise est soucieuse de

l’environnement ne suffit plus. Il faut non seulement affirmer haut et fort les principes

fondateurs de l’action de l’entreprise, mais aussi et surtout confirmer cette déclaration en

relatant des faits et des projets entrepris.



          Nous parlons ici de communication corporate, et non de marketing. La

communication corporate, ou institutionnelle, vise à renforcer l’image de

marque de l’entreprise. Elle a pour principal objectif de lui indiquer une direction, de

la doter d’une identité. Bien plus : elle fait le lien entre l’entreprise et la société. Bernard

Arnault, dans La passion créatrice3, précise le sens de cette communication : l’identité

profonde de l’entreprise, doit, selon lui, « se construire par une image institutionnelle,

globale, valorisante, affective ». Et de poursuivre : « Une entreprise, pour réussir, doit



1 à ce sujet, lire le blog :
http://thebrandbuilder.wordpress.com/2010/03/22/greenpeace-vs-nestle-how-to-make-sure-your-
facebook-page-doesnt-become-a-pr-trojan-horse-part-1/
En ligne. Consulté le 23 avril 2010.

2 Voir annexes : programme ecolaboration de Nespresso.
3   Bernard ARNAULT, La Passion Créatrice, Paris, Plon, 2000.
                                                     6
marquer sa responsabilité face à certaines problématiques majeures de son environnement

humain et naturel. Le sens de l’intérêt général n’est pas un vain mot, il est un fait

fondamental. Le Bien public ne doit pas être laissé à la seule responsabilité des Etats et des

gouvernements ». Cette question est au cœur de toute réflexion autour de la

communication d’entreprise. Quelle place doit-elle prendre ? Comment se situer dans les

grands débats sociétaux ? Quelle position adopter ? Autant de questions incontournables.

           Le rôle de la communication corporate est de « formaliser et de promouvoir la

culture (…) de l’entreprise en éclairant ses engagements et ses valeurs auprès de tous ceux

qui contribuent à faire ou à défaire une réputation. Elle s’adresse à l’ensemble des parties

prenantes (actionnaires, salariés, leaders d’opinion, institutionnels, consommateurs…) ». 4

La communication corporate donne un sens, et du sens, à l’action de l’entreprise. Mais elle

perd tout son sens, justement, dès lors qu’elle se libère des projets, des programmes

d’actions, des politiques mises en place. En d’autres termes, la communication corporate

doit s’ancrer dans le réel.



           Aujourd’hui, plus que jamais peut-être, cet impératif est de circonstance. La

communication corporate doit s’inscrire dans la continuité d’une action concrète car elle

ne convainc plus autrement. A l’ère du vide - où les publicitaires se contentaient de clamer

les valeurs supposées de l’entreprise en matière environnementale (communication

aujourd’hui décriée sous le terme de « greenwashing »), sociale, ou humaine - succède l’ère

du soupçon : le public se lasse, devient de plus en plus méfiant. Selon une enquête de

l’institut TNS Sofres5, les marques communiquent de plus en plus et « c’est plutôt une

mauvaise chose pour 56% des Français ». Ce qui fait dire à Olivier Mongeau, rédacteur en

chef de l’hebdomadaire Stratégies : « la publicité n’a pas la cote ; pis, son image se

dégrade. (…) Pour une partie croissante des Français, la publicité est vécue comme une

gêne. C’est gênant ». Et de rappeler le sentiment de trop-plein « qu’expriment à leur


4 Lu sur le blog Les échos : http://www.lesechos-formation.fr/fo/catalogue/formations/communication/
communication-corporate/presentation.html?PHPSESSID=nblle9hl0cj1im92d9qh7jd8f2
En ligne. Consulté le 12 mai 2010.
5   « Les Français et la pub : le trop-plein », Stratégies, n°1581 - 18 mars 2010. pp.8-10.
                                                            7
manière les membres du collectif des Déboulonneurs », jugés par le tribunal correctionnel

de Paris pour avoir barbouillé des panneaux publicitaires sur les Champs-Elysées en 2008.

           La publicité n’a pas la cote, donc. Le seul fait de communiquer positivement ne

suffit plus à gagner la confiance des consommateurs. Ceux-ci ne sont plus dupes, d’une

certaine manière. Ou le sont beaucoup moins. Ils ont intégré les codes de la publicité,

compris les leviers qu’elle actionne, et sont devenus méfiants. La défiance pour la

communication ne traduit pas forcément d’une publiphobie généralisée. Mais elle impose

en tout cas aux publicitaires de se montrer rigoureux, et de changer leur fusil d’épaule.

Pour être pleinement acceptée, la communication doit retrouver son sens initial : celui de

créer une relation de confiance, entre la marque et son public.



           Le discours est inutile - voire contre-productif - s’il ne s’accompagne d’une

démonstration par la preuve. Les professionnels de la communication corporate ne s’y

trompent pas : il n’est plus possible de vanter les vertus d’une marque sans en démontrer

la teneur dans les faits. « On est au bout d’un système », clame Éric Zajdermann, PDG de

Stratéus (Lowe), « arrêtons de faire croire aux gens qu’on est là pour faire leur bonheur ! ».

Selon lui, il faut se passer de la communication corporate si celle-ci ne correspond pas à

une politique entrepreneuriale plus globale. Le discours de l’entreprise ne doit pas être

assimilé à un discours de propagande, qui chercherait à flouer le consommateur, mais à un

discours de communication, qui s’appuie sur un résultat. Élisabeth Reiss, PDG d’Éthicity,

va également en ce sens, lorsqu’elle aborde la question de la responsabilité

environnementale : « le discours de proclamation consistant à dire que l’on se préoccupe

de l’environnement dans son activité n’a que peu d’impact. On va vers plus de

communication intégrée sur le développement durable. Il faut des preuves ».



           Cette problématique de la preuve est fondamentale. Il ne suffit plus de prôner ;

désormais, il faut prouver. Prendre les consommateurs pour témoins. 6 Démonter que les

valeurs s’inscrivent dans une activité réelle. C’est l’objet de ce mémoire : comprendre


6   C’est d’ailleurs le sens originel de « preuve », selon le Petit Robert - Prueve : témoin (Le Petit Robert 1967).
                                                             8
l’émergence de cet impératif, souligner son emprise sur le secteur de la communication, et

analyser l’impact qu’il a sur les campagnes mises en place aujourd’hui.

      Dans quelle mesure toute opération de communication corporate doit

aujourd’hui faire ses preuves ?



      La réflexion se fait en deux temps :



1. Nous partons tout d’abord d’un constat : le public est désormais en quête de vérité.

  Raconter des histoires (la question du storytelling est ici abordée) ne permet plus

  toujours de convaincre. Et l’une des données à prendre en considération est cette

  méfiance des consommateurs, initiés à la publicité.

2. Dans un second temps, nous nous intéressons aux solutions qui s’offrent aux

  annonceurs, et nous analysons en particulier les cellules mises en place pour mener des

  activités concrètes - comme les fondations, dont le nom-même traduit bien le nouvel

  impératif de la communication corporate.

  Cette partie est conclue par un cas d’étude : l’Atelier BNP Paribas, cellule singulière

  et révélatrice où la veille, l’événementiel et le conseil sont les trois piliers d’un même

  édifice de communication fondé sur la relation avec les professionnels.




                                             9
I. Le public en quête de vérité

        Pour comprendre ce qui pousse aujourd’hui certains grands groupes à lancer des
programmes consistants, et à détailler dans leur communication les points concrets de leur
action, il faut s’intéresser aux récentes évolutions, notamment celles de l’opinion publique.
Les années 1990 et 2000 ont d’une certaine manière signé la fin d’une forme de
« communication creuse », révélée en particulier par le phénomène de « greenwashing »7.
        Les exemples ne manquent d’ailleurs pas à cette période pour illustrer la tendance à
l’auto-proclamation, ou, pour citer Pascal Tanchoux 8 , à l’« incantation ». L’opération de
communication corporate lancée par Castorama durant l’été 1999 en est un. Une nouvelle
signature : « Castorama, partenaire du bonheur », est diffusée sur les ondes radio et sur
près de 17 000 panneaux publicitaires. « Partenaire du bonheur ». L’affirmation est pour le
moins vague. Pascal Bruckner s’en amuse d’ailleurs dans son ouvrage L’Euphorie
perpétuelle, où il dénonce l’injonction au bonheur dans les sociétés contemporaines 9 .
L’une des causes du rejet de la publicité, constaté par plusieurs instituts de sondages, est
peut-être à chercher ici.
L’affirmation sans fondement ne convainc plus. Non que ces formules « creuses » ne
trouvent aucun écho auprès du public - l’affirmer serait excessif - , mais la profusion de
proclamations de ce type finit par lasser, et de fait, le public apparaît de plus en plus en
quête de vérité.
        Le trop-plein de publicité, la méfiance croissante des consommateurs, les
mouvements publiphobes, les groupes menant des actions dans les métros des grandes
agglomérations pour dénoncer les dérives publicitaires et la société de consommation, tout
cela contribue à ouvrir un nouveau paradigme pour les professionnels de la
communication. Nous cherchons à tracer les grandes lignes de ce paradigme dans la
première partie de ce mémoire. En commençant par nous intéresser à la question de la
« propagande publicitaire ».


7C’est-à-dire l’appropriation injustifiée par une marque de valeurs environnementales, ou « durables », afin
de créer une image écologique, sans qu’une action environnementale n’ait été entreprise.
Voir chapitre 1.b de ce mémoire, intitulé : le « greenwashing ». p.16.
8 Directeur de la communication de Kraft Foods, et président de la commission RSE de l’Union des
Annonceurs (« De l’incantation à la preuve », Stratégies, numéro 1592 - 3/6/2010, p.34).
9 Pascal BRUCKNER, L’Euphorie perpétuelle, essai sur le devoir de bonheur, Grasset & Fasquelle, Paris,
2000, p.57.
                                                10
A. Quand la publicité se faisait « propagande »

           La propagande est un terme connoté. D’un point de vue strictement
étymologique, il désigne pourtant simplement l’action de propager, propager au travers de
la foule une idée, des valeurs, « pour recueillir une adhésion, un soutien »10 . Selon le
politologue américain Lasswell, connu pour ses théories dans le domaine de la
communication 11, « la propagande             est l’expression d’opinions ou d’actions effectuées
délibérément par des individus ou des groupes en vue d’influencer l’opinion ou l’action
d’autres individus ou groupes »12. Si l’on s’y tient, la propagande est ainsi synonyme de
publicité.
           C’est du moins son sens premier. En le dénaturant par des méthodes proprement
manipulatrices, on a fait de ce terme un synonyme de publicité mensongère. En particulier
lorsqu’elle a servi les intérêts d’idéologies politiques, en période de guerre notamment.
           La propagande donc. Au sens second. C’est ce qui nous intéresse dans cette partie.
Comment la publicité s’est-elle dénaturée ? Par quels procédés les marques en sont-elles
venues à raconter des histoires, en ne se contentant pas de créer une mythologie autour de
l’entreprise pour véhiculer ses valeurs centrales, mais en se laissant aller à délaisser
totalement la valeur probante de leur parole, en se satisfaisant de quelques formules
impactantes.


            a. Raconter des histoires ? (le storytelling en communication)


           En 2007, Christian Salmon, écrivain et chercheur au CNRS, publie un ouvrage
remarqué dans le monde des annonceurs, et de la politique : Storytelling, la machine à
raconter des histoires et à formater les esprits. Il s’intéresse de près à cette technique
alors très en vogue en communication, qui consiste à construire son discours sous la forme
d’un récit - une personnalité politique plaçant par exemple dans un débat qu’elle a le
matin-même rencontré un groupe de salariés, et qu’elle a su entendre ses revendications.
           En communication corporate, ce procédé est également grandement utilisé. Il
permet de transmettre une certaine image de la marque, en l’ancrant - par le discours, et
par le discours seulement - dans la réalité.

10   Définition du Petit Robert 1967.
11Harold Lasswell, spécialiste américain de la communication de masse, qui a proposé une grille d’analyse de
célèbre des processus de communication : qui ? dit quoi ? par quels canaux ? à qui ? avec quels effets ?
12   Cité par Jacques ELLUL, Propagandes, Economica, Paris, 1990.
                                                   11
Apple fait partie de ces marques qui ont construit, par le storytelling, un mythe
fondateur. Steve Jobs et Steve Wozniack, encore étudiants, dans leur garage californien,
construisant le premier ordinateur personnel. Voilà une histoire qui trouve un écho auprès
de tous ceux qui, à la fin des années 1970, ne se reconnaissent pas dans l’informatique telle
qu’elle est présentée par le géant IBM.




      Une histoire qui va être racontée de nombreuses fois, sous différentes formes. Steve
Jobs lui-même la reprend, en 2005, dans son célèbre discours de Stanford - par ailleurs
entièrement construit sur les principes du storytelling, et enseigné à cet égard dans
certaines écoles de communication. Voici ce qu’il raconte :


     “My second story is about love and loss. I was lucky - I found what I loved to do early in life. Woz
     and I started Apple in my parents garage when I was 20. We worked hard, and in 10 years Apple
     had grown from just the two of us in a garage into a $2 billion company with over 4000
     employees”



      Tout est là. Deux étudiants construisant de façon à la fois artisanale et géniale des
produits qui engendreront une révolution de la société. Deux étudiants réinventant l’avenir
de l’informatique. Inventant l’informatique personnelle. Il s’agit en fin de compte d’une
success story, sans cesse racontée. Reprise, par exemple, de manière sous-jacente cette
fois, dans le spot publicitaire qu’Apple choisit de diffuser au SuperBowl, lors du lancement
du premier Macintosh en 1984.




                                                     12
Comme le raconte Nicolas Bordas, président de TBWA / France, dans son dernier
ouvrage13:


                    “ Sur un écran géant, devant un public lobotomisé, Big Brother, d’une voie glaciale,
         parle : « Nous avons créé, pour la première fois dans l’histoire, le jardin de l’idéologie pure où
         chacun pourra s’épanouir à l’abri de la peste des vérités contradictoires et confuses. Notre
         unification de la pensée constitue une arme plus puissante que n’importe quelle flotte ou armée
         sur terre…». Arrive en courant une jeune sportive qui lance son marteau au cœur de l’écran. Au
         cri d’une foule libérée, Big Brother s’évanouit et apparaît une phrase : « On January 24th, Apple
         Computer will introduce Macintosh. And you’ll see why 1984 won’t be like ‘1984’ » (Le 24
         janvier Apple Computer lancera le Macintosh. Et vous verrez pourquoi 1984 ne ressemblera pas

         à ‘1984’) ”. 14



           Cette publicité, connue de tous les « fans » d’Apple et de tous les publicitaires, sans
doute, vise à rappeler la position de la marque, ses valeurs, mais aussi son engagement.
Jean-Marie Dru, dans son ouvrage de référence Beyond disruption, changing the rules in
the marketplace, analyse la stratégie de communication d’Apple, au cours des dernières
décennies. Il aborde notamment les campagnes « Think different », ayant servi selon lui
non seulement à créer des plates-formes créatives pour chacun des pays, pouvant associer
à cette phrase l’un de ses grands hommes, c’est-à-dire l’un de ses héros, mais aussi bien sûr
à consolider les fondations affectives de la marque elle-même. Il s’agit selon lui d’une
véritable disruption, un changement profond de mentalités : Steve Jobs parvenant à créer
un nouvel espace pour l’informatique - “Apple is not about bytes and boxes, it is about
values” -, au service de la créativité et de l’inventivité.


           Quittons un peu Apple, et soulignons cette question de l’engagement d’une marque.
Dans le Publicitor, Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast donnent une définition de la
communication corporate, en ce sens :


         “Au-delà des produits, la demande de sens se porte sur les entreprises. Les individus les
         attendent sur le sens qu'elles donnent à leur métier, sur la vision qu'elles en ont, sur leur
         philosophie de ce métier, les valeurs qui sont au cœur et la façon dont elles comptent
         l'exercer. De plus en plus, les entreprises vont devoir énoncer leur utilité pour l'humanité, dire la



13   Nicolas BORDAS, L’idée qui tue, Eyrolles, Paris, 2010, p.7.
14   Film conçu par l’agence Chiat/Day et réalisé par Ridley Scott.
                                                        13
vertu civilisatrice et sociale de leur métier : qu'est-ce qui peut, dans ce métier et la façon dont
         l'entreprise l'envisage, faire progresser l'humanité, rendre service à l'homme et à la planète ?
         Toutes questions auxquelles les entreprises n'avaient pas, pour la plupart, l'habitude de
         répondre, tout simplement parce qu'on ne les leur avait jamais posées, du moins avec cette
         force. Au mieux, on attendait d'elles qu'elles apportent leur contribution à la production de
         richesses, qu'elles créent ou maintiennent l'emploi, qu'elles se comportent normalement en
         nuisant le moins possible à l'homme et à l'environnement. Le questionnement d'aujourd'hui va
         bien plus loin. Il est de l'ordre de l'éthique. Il est de l'ordre d'une justification morale du métier
         et des pratiques. Il est de l'ordre de l'engagement”.


           Les spécialistes ne s’y trompent pas : aujourd’hui, les consommateurs attendent des
marques qu’elles s’engagent. Celles-ci sont par conséquent amenées à construire un récit
de leur engagement. La communication corporate impose donc, d’une certaine façon, de
raconter des histoires. Si les entreprises se sont mises à parler d’environnement, de
responsabilité sociale, d’éthique, ce n’est pas par hasard.
           Seul problème : dans un premier temps, ces histoires n’étaient pas des histoires,
mais des fables. Christian Salmon le démontre dans son ouvrage sur le storytelling, en
prenant l’exemple d’Enron, dont le PDG, en 2001, concluait un spot de publicité consacré à
sa société par les mots : “It’s a fabulous, fabulous story…”. Et en relevant qu’Enro, alors
septième entreprise des Etats-Unis, évaluée à presque 70 milliards de dollars, classée
« première entreprise innovante » par le magazine Fortune, allait s’effondrer peu après,
avec l’éclatement de la bulle Internet. L’auteur de storytelling reprend les mots de la
journaliste Bethany McLean, commentant l’entreprise américaine : « un château de cartes,
un mirage construit par une politique de la poudre aux yeux ». Et Christian Salmon de
conclure, sur ce point : « la fabuleuse histoire de l’entreprise Enron fournit sans doute
l’exemple le plus éclairant de cette transmutation de l’entreprise capitaliste en phénomène
de croyance partagée. Elle met en évidence les paradoxes et les dangers du corporate
storytelling, qui a connu avec Enron l’un de ses succès les plus phénoménaux, suivi d’un
désastre financier sans précédent. Enron a mis seize ans pour voir ses actifs passer de 10
millions à 65 milliards de dollars, et vingt-quatre jours pour faire faillite »15.
           Ainsi, « l’empire de la propagande »16 , qui est aussi celui de la manipulation, peut
avoir ses contre-coups. Les désillusions qu’il engendre peuvent s’avérer catastrophiques.




 Christian SALMON, Storytelling, la machine à raconter des histoires et à formater les esprits, éditions La
15

Découverte, Paris, 2007-2008, p.104.
16   Ibid. chapitre : « L’empire de la propagande », p.171.
                                                         14
Cela amène à s’interroger sur les mythes publicitaires. Avec une nuance toutefois.
Comme nous l’avons vu, par essence, la publicité se doit de raconter des histoires.
      Jean Baudrillard, dans son ouvrage sur La société de consommation, paru en 1970,
souligne ce point important : il ne faut pas reprocher à la publicité de raconter des
histoires. Ces dernières sont intrinsèquement liées au message publicitaire. Et plutôt que
de parler de « l’empire de la propagande », il choisit de décrire « le règne du pseudo-
événement » :


     “La publicité est (…) le règne du pseudo-événement par excellence. Elle fait de l’objet un
     événement. En fait, elle le construit comme tel sur la base de l’élimination de ses
     caractéristiques objectives. Elle le construit comme modèle, comme fait divers spectaculaire. (…)
     Les publicitaires sont des opérateurs mythiques : ils mettent en scène, affabulent l’objet ou
     l’événement. Ils le « livrent réinterprété » - à la limite, ils le construisent délibérément. Il faut
     donc, si l’on veut en juger objectivement, leur appliquer les catégories du mythe : celui-ci n’est ni
     vrai, ni faux, et la question n’est pas d’y croire ou de n’y pas croire. D’où les faux problèmes sans
     cesse débattus. (…) Boorstin émet ainsi l’idée qu’il faut disculper les publicitaires, la persuasion
     et la mystification venant bien moins du manque de scrupules de ceux-ci que de notre plaisir à
     être trompés : elles procèdent moins de leur désir de séduire que de notre désir d’être séduits.
     (…) Le problème de la « véracité » de la publicité est à poser ainsi : si les publicitaires
     « mentaient » vraiment, ils seraient faciles à démasquer - mais ils ne le font pas - et s’ils ne le
     font pas, ce n’est pas qu’ils soient trop intelligents pour cela - c’est que l’« art publicitaire
     consiste surtout en l’invention d’exposés persuasifs qui ne soient ni vrais ni faux » (Boorstin).
     Pour la bonne raison qu’il n’y a plus d’original ni de référentiel réel, et que, comme tous les
     mythes et paroles magiques, la publicité se fonde sur un autre type de vérification - celui de la
     selffulfilling prophecy (la parole qui se réalise de par sa profération même)”.



      Certes. Mais justement, le mythe ne convainc plus. Ces prophéties auto-réalisatrices
semblent avoir fait leur temps. Une entreprise ne peut aujourd’hui se contenter d’affirmer
qu’elle défend l’environnement. La parole manipulée n’a pas le même impact, en
particulier depuis le phénomène de greenwashing.




                                                      15
b. Le greenwashing


          Commençons par en donner une définition : le greenwashing en communication
corporate désigne la propension d’une marque à afficher une image écologique, pro-
environnementale, sans engager une réelle politique en ce sens. « C’est un terme
américain, que l’on traduit en français par écoblanchiment », rappelle Jacques-Olivier
Barthes, dircom de WWF et porte-parole de l’observatoire indépendant de la publicité
(OIP) 17 . Selon lui, faire du greenwashing, au sens large - et en dépassant le simple cadre
de la communication corporate - c’est « valoriser les propriétés écologiques d’un produit
ou d’un service qui ne sont pas réellement en rapport avec la qualité du produit ou du
service. (…) C’est [donc] une forme de publicité mensongère, où l’on grossit la réalité
écologique d’une entreprise », précise-t-il.
          En ce sens, c’est au cœur de notre sujet. Le greenwashing désigne de façon
proprement phénoménale la communication dénuée de démonstration probante. Il
incarne une certaine forme de propagande verte. Il se trouve à la croisée des chemins entre
l’impératif d’implication sociétale d’une entreprise et son inconsistance dans les faits, son
incapacité à faire ce qu’elle dit et dire ce qu’elle fait.
          Dans le rapport gouvernemental sur l’évaluation du greenwashing en France,
publié en septembre 2009 18, les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur les 15 698 visuels
étudiés sur le premier semestre de cette année avec l’Agence de l’environnement et de la
maîtrise de l’énergie (Ademe), 988 utilisent l’argument environnemental. Cinq fois plus
que trois ans auparavant. Une explosion dans les opérations de communication de cette
préoccupation écologique, qui s’explique aisément, avec la prise de conscience générale des
enjeux climatiques.
          Après une première vague, en effet, dans les années 1990, du marketing vert - “Le
Chat machine, sans phosphate” - c’est bien dans la première décennies des années 2000
que ressurgit dans l’univers publicitaire le thème du « plus vert que vert ». Et cette fois,
c’est bien sur la communication des entreprises, sur la conscience supposée de celle-ci, que
les messages vont porter. Comme le rappelle Aude Charon, de l’autorité de régulation
professionnelle de la publicité (ARPP) 19 :


17  Interview vidéo dans « culture pub », en ligne : http://www.dailymotion.com/video/x8uwwi_le-
greenwashing-vue-par-culture-pub_tech - consulté le 6 juin 2010.
18   Et évoqué dans le n°1026 du magazine CB News, publié le 22 septembre 2009, p.10.
19   Même lien que ci-dessus.
                                                      16
« La deuxième vague a explosé à la fin 2006/début 2007, où l’on a vraiment vu les
agences et les annonceurs se positionner de façon importante ». Avec une multiplication
par trois des messages utilisant l’argument environnemental, entre les deux rapports de
l’ARPP publié en 2006 puis 2007.
          L’ARPP - anciennement, le bureau de vérification de la publicité (BVP) - épingle
dans plusieurs rapports20 les entreprises les plus critiquables en matière d’écoblanchiment.
L’industrie automobile est ainsi souvent montrée du doigt, comme le souligne Emmanuelle
Grossir et Valéry Pothain, journalistes de CB News21 :


         “Une fois encore, bilan à l’appui, les constructeurs automobiles restent les professionnels de
         l’enfumage. « La plupart des manquements venus plomber le bilan de l’ARPP sont le fait des
         marques automobiles », regrette Pierre Siquier, président du groupe Ligaris et de la commission
         Société de l’AACC. « De nombreux dérapages ont été enregistrés au niveau des concessionnaires
         locaux, généralement conseillés par des agences locales, elles-mêmes filiales de grands groupes
         (ce qui n’est pas une bonne nouvelle) (…)».



          Les journalistes poursuivent en citant plusieurs exemples : à commencer par
Renault et son agence Publicis, dans sa campagne Renault Eco2 de septembre 2008, « qui
nous expliquaient que rouler en Renault serait bientôt aussi propre et aussi rapide que le
bateau d’Helen McArthur, et pourrait même transformer une route en prairie ». On se
souvient en effet de cette campagne de communication. Sur l’image, le voilier parcourant
l’océan. En voix off, celle d’Helen McArthur : « Naviguer, c’est ne faire qu’un avec la
nature. C’est la parcourir sans laisser de traces ». Reprise par une autre voix, cette fois
masculine : « Laisser moins de traces, c’est l’engagement de Renault Eco2 ».




20   Voir sur le site de l’ARPP les rapports de recommandations 2006, 2007 et 2008.
21   Dans le n°1026 du magazine CB News, publié le 22 septembre 2009, p.10.
                                                      17
« En juillet dernier, Audi et son agence DDB (…) ont fait aussi bien, voire mieux, en
tentant de nous faire admettre qu’acheter son 4x4, l’Audi Q7, pouvait devenir un geste de
santé publique. Sachez-le, donc, rien ne vaut 326 g de CO2/km “fraîchement” sortis du pot
d’un Q7 - troquant sa couleur noire statutaire pour un blanc clinique - pour soigner une
bronchiolite ou une hyperactivité des bronches », s’amusent les journalistes.
       Les entreprises les moins environnementales sont celles qui - en toute logique -
cherchent par tous les moyens à redorer leur blason, en passant un coup de pinceau pour
colorer d’un vert pimpant leur façade peu écologique. Quelques visuels permettent de s’en
rendre compte, assez vite 22 :




 Analyse détaillée sur le site « marketing-étudiant ». En ligne. Consulté le 29 mai 2010.
22

http://www.marketing-etudiant.fr/actualites/communication-entreprise-environnement.php
                                                      18
19
Comme si acheter une voiture constituait un acte pour « protéger la planète » -
comme le laisse entendre ce dernier slogan (campagne dénoncée par l’ARPP dans un
rapport de manquements).


          Ces exemples montrent à quel point la preuve n’a pas toujours été un impératif de
communication corporate. Les annonceurs et leurs agences s’en sont souvent passé.
D’autant qu’il a fallu plusieurs années pour que la confiance du public s’effrite, et que les
messages sans fondement soient critiqués. En mai 2007, une étude conjointement menée
par IPSOS et par l’autorité de régulation professionnelle de la publicité (alors BVP),
baptisée « Publicité et protection de l’environnement : les perceptions et les attentes des
Français », indiquait que plus d’un Français sur deux, lorsqu’il voyait une publicité
utilisant l’argument environnemental, considérait que le message qui lui était présenté
devait être “probablement vrai” - contre 9% “probablement faux” et 3% “certainement
faux”. Aussi peu probantes qu’elles étaient, les opérations de communication portaient
leurs fruits.
          La situation s’est néanmoins inversée, progressivement. Une enquête d’Ethicity, de
février 2009, montre que la confiance du public envers les entreprises sur la question du
développement durable s’est effondrée, passant de plus de 60% en 2004 à 35% en 2009 23.
Une preuve, pour le coup, que le public est en quête de vérité, mais aussi de
responsabilité et de sincérité. Les enjeux du développement durable étant tels qu’il devient
impardonnable d’en jouer.



23   Cité dans le magazine CB news n°1026, du 22 septembre 2009, p.11.
                                                      20
“Un annonceur sait bien que sur ce sujet là encore plus que sur d’autres, s’il se met à raconter
     n’importe quoi, très vite il va être rattrapé par la société civile. Ce n’est pas un sujet anodin. (…)
     Il y a une vraie maturité qui commence à émerger, il y a vraiment une prise de conscience du fait
     que l’on ne peut pas utiliser aussi fortement l’emphase ou se cacher derrière la créativité
     publicitaire pour dire tout et n’importe quoi”. 24



       Nombreuses sont d’ailleurs les organisations citoyennes et institutionnelles qui ont
mis en place des structures de surveillance, et qui n’ont pas hésité à dénoncer les
campagnes les plus cyniques des acteurs professionnels les moins responsables. On peut
citer par exemple le site Internet greenwashingindex.com, qui propose aux citoyens de
voter pour les opérations de communication les plus « authentiques » et celles, au
contraire, les plus « offensantes ». Apple est passé de la seconde à la première catégorie en
engageant une politique de restructuration, en produisant des appareils plus respectueux
de l’environnement, et en démontrant par la preuve cette implication :




       A noter justement : en effectuant un survol rapide des campagnes les plus
favorablement évaluées, il est possible de constater que la plupart d’entre elles produisent
un discours probant, fondé sur une démonstration argumentée. Quand les moins bien
notées demeurent au contraire dans le domaine de l’incantation.



24 Aude Charon, de l’ARPP : dans l’interview vidéo de « culture pub », en ligne : http://
www.dailymotion.com/video/x8uwwi_le-greenwashing-vue-par-culture-pub_tech - consulté le 6 juin 2010.
                                              21
D’autres initiatives, sur Internet, ont dénoncé les procédés de greenwashing. Une
vidéo virale met ainsi en scène deux représentants, l’un d’un grand groupe pétrolier, l’autre
d’une industrie de plastique. Sous la forme d’une parodie d’un spot publicitaire. Le premier
s’adresse aux spectateurs, tout sourire, au beau milieu d’une forêt :
“- Alors que le réchauffement climatique devient une réelle cause d’inquiétude, nous tous,
dans l’industrie pétrolière, faisons notre possible pour montrer à quel point nous tenons à
préserver l’environnement. Nombreux parmi nous ont changé leur logo (…).
- Et nous, reprend une femme représentant l’industrie du plastique, nous jouons un rôle
     primordial en ajoutant les mots « entièrement recyclables » sur chacun de nos produits.
     Où recyclons-nous ? comment recyclons-nous ? que recyclons-nous concrètement ?
     Nous n’y avons pas encore songé. Mais nous dépensons des millions dans la recherche
     pour déterminer l’endroit sur nos produits où le logo « recyclable » est le plus visible.
- Je porte un pull-over et non un costume, reprend le premier, donc forcément, j’aime la
     nature. Et puis, regardez où nous nous trouvons (en plein milieu d’une forêt) : n’est-ce
     pas magnifique ? A présent quand vous penserez à nous, vous garderez cette image en
     tête.
- Nous faisons tout notre possible pour paraître écologiques, mais nous avons besoin de
     vous… pour croire notre soi-disante préoccupation environnementale, même lorsque nos
     lobbies s’efforcent de lutter contre les règles mises en place - celles de Kyoto par exemple.
- Alors, quand vous entendrez parler des industries pétrolières qui tuent des centaines
     d’oiseaux dans les marées noires, ou quelque autre désastre que ce soit, tentez de
     visualiser une biche sautillant gracieusement dans un pré”. 25


             Si le public se lasse, et perd confiance - comme nous le verrons plus en détail dans
une prochaine partie 26 - c’est aussi que le message publicitaire, et a fortiori lorsqu’il n’est
pas fondé sur des faits, doit s’imprimer dans les esprits par la répétition. La profusion
publicitaire est probablement l’une des causes de la défiance du public pour les campagnes
de communication.




25 Vidéo sur Youtube : http://www.youtube.com/watch?v=YLIbIdgrIaE&feature=related. En ligne. Consulté
le 8 mai 2010.
26   Voir la partie de ce mémoire : « Les Français et la pub : le trop-plein », p.24.
                                                          22
c. Les limites de la répétition publicitaire


          Dans son ouvrage On achète bien les cerveaux 27, sur la publicité et les médias,
Marie Bénilde écrit :


        “Les grandes marques ont fait de la récupération des grands courants de société une arme de
        destruction massive des griefs qui pourraient leur être opposés. Elles se contentent bien souvent
        d’appliquer un principe simple de la communication de crise : une tendance hostile cesse
        d’exister à partir du moment où elle est récupérée. Il faut donc brouiller les repères du
        consommateur en associant l’image des marques aux éléments susceptibles, précisément, de les
        fragiliser. (…) Certes, la posture ne fait pas toujours illusion. Mais, martelée à longueur de temps
        sur les multiples supports de communication, elle finit par s’imposer dans les esprits”



          Marteler, donc. Voilà l’une des recettes de la communication. Pour mesurer l’impact
d’une opération publicitaire, n’utilise-t-on pas l’indice GRP (Gross Rating Point), qui
désigne le nombre de contacts pour 100 personnes de la cible : produit de la couverture
par la répétition moyenne ?
          Or, comme le souligne Philippe Breton, dans La parole manipulée 28, « la répétition
joue un rôle considérable dans les processus de manipulation ». Celui-ci détaille cette
technique de communication :


        “La répétition crée de toutes pièces, artificiellement, du seul fait de ce mécanisme, un sentiment
        d’évidence. Ce qui nous paraît étrange et sans fondement la première fois - parce que non
        argumenté - finit par paraître acceptable, puis normal, au fil des répétitions. Cette technique
        crée l’impression que ce qui est dit et répété a quelque part, très en amont, été argumenté. La
        répétition fonctionne sur l’oubli que l’on n’a jamais expliqué ce qu’on répète”.



          La phrase d’Aldous Huxley prenant alors tout son sens : « Soixante-quatre mille
répétitions font la vérité ». Répéter ne suffit plus, cependant. Comme nous allons le voir à
présent.




27Marie BENILDE, On achète bien les cerveaux. La publicité et les médias, Raisons d’agir, Paris, mai 2008,
p.135.
28   Philippe BRETON, La parole manipulée, éditions La Découverte, Paris, 1997, 2000, p.94.
                                                     23
B. La communication à l’épreuve des faits

           La communication corporate, destinée à défendre les valeurs de l’entreprise auprès
des différentes parties prenantes, des actionnaires, mais aussi des salariés, en interne, et
bien sûr du grand public, est de plus en plus souvent mise à l’épreuve ; nous pourrions
dire également éprouvée. Chacun des interlocuteurs cherchant à savoir dans quelle
mesure le message qui lui est adressé comporte une part de vérité, comme nous avons
commencé à le voir précédemment. En particulier en ce qui concerne les questions de
responsabilité sociale et environnementale des entreprises.
           Nombreux sont désormais les professionnels qui ont pris conscience de cette réalité.
A la conférence GRI (Global Reporting Initiative)29,                       qui s’est tenue cette année à
Amsterdam, plusieurs directions ont été indiquées par les responsables : encourager les
entreprises à publier d ici à 2015 des rapports précis sur la conduite de changement
qu’elles ont lancée ; imposer des standards mondiaux, afin de connaître aussi justement
que possible les situations dans lesquelles se trouvent les organisations professionnelles ;
poursuivre la politique de mesure et de vérification menée depuis plusieurs années. Selon
Hans Wijers, PDG d’AkzoNobel, il est à présent impossible de faire marche-arrière ou de
voir se reconstruire un modèle de “business as usual”. D’autant que le public ne se laisse
plus duper sur cette question 30.
           Voilà l’objet de cette partie : comprendre dans quelle mesure la communication est
éprouvée, aujourd’hui. Et dans quelle mesure le public a fini par se lasser du flot
publicitaire.


            a. Les Français et la pub : le trop-plein ?
                   (étude de Stratégie - 18 mars 2010)


           Les chiffres sont là : une majorité de Français se dit désormais plutôt défavorable à
la publicité, selon une étude TNS Sofres publiée par le magazine Stratégies 31. Et ce chiffre
est en constante augmentation. Plus des trois-quarts des personnes interrogées ont le
sentiment que la communication des marques a fortement augmenté, et plus de la moitié
jugent que « c’est plutôt une mauvaise chose ».

29   Voir le site du GRI, en ligne. www.globalreporting.org. Consulté le 2 juin 2010.
30Voir sur le site « Les parenthèses de l’Atelier » (http://parentheses.atelier.fr) les articles « à Amsterdam, le
futur prend une agréable couleur verte » et « le reporting durable 2.0 ».
31   « Les Français et la pub : le trop-plein », Magazine Stratégies n°1581 du 18 mars 2010, p.8.
                                                          24
« L’objectif de cette enquête est d’évaluer la perception globale de la communication
des entreprises et de son évolution. Le constat est plutôt sombre. La désaffection pour
les marques gagne du terrain : 56% des Français interrogés estiment que la marque n’est
“pas du tout” ou “plutôt pas” importante lors d’un achat. Ils ont aussi moins de plaisir à
découvrir de nouvelles marques ou services et à en parler”, souligne Marie Maudieu 32.
           L’enquête a été menée du 26 février au 1er mars 2010, sur un échantillon
représentatif de la population française de 1008 personnes, âgée de 18 ans et plus. Il s’agit
donc d’un indicateur récent, pour le moins révélateur.



 Attitude globale vis-à-vis de la publicité :
 “D’une manière générale, que pensez-vous de la publicité ? Y êtes-vous…”


             plutôt opposé                très opposé               indifférent           sans opinion
             plutôt favorable             très favorable




                                                     2 %
              Sous-total                                                                 Sous-total
             « favorable »                                       28 %                    « opposé »
                 33%                    31 %                                                42%
           (-5 points vs 2007)                                                        (+5 points vs 2007)



                                          1 %                    14 %
                                                  24 %




32   « Les Français et la pub : le trop-plein », Magazine Stratégies n°1581 du 18 mars 2010, p.8.
                                                          25
Evolution de l’intensité de la communication :
 “Avez-vous le sentiment qu’au cours des dernières années, la publicité des marques,
 sous toutes ses formes, a…”


          beaucoup baissé            ni baissé ni augmenté           plutôt baissé        sans opinion
          plutôt augmenté            beaucoup augmenté




                                                      1 %                             Sous-total
                                                         15 %                        « en baisse »
                                                                                          5%
     Sous-total                         40 %                        4 %
                                                                    2 %
« en augmentation»
       78%


                                                            38 %




          Il semble que la publicité ennuie les Français. Selon un sondage Ipsos réalisé en
septembre 2009, les trois quarts d’entre eux la jugent « envahissante », 67% « ennuyeuse »
et 57% « banale »33. En cause ? L’overdose publicitaire. Le trop-plein. La répétition, en
somme. Ou, dit autrement, la communication de masse, qui a fait son temps. C’est
d’ailleurs ce que souligne Nicolas Bordas34 :


         “Que l’intensification de la communication soit considérée comme une mauvaise chose résulte,
         selon moi, d’un excès de publicité. Nous devons le combattre en diminuant le nombre de
         panneaux publicitaires et les coupures de publicité à la télévision, en évitant l’intrusion
         publicitaire inadéquate”.




          Les chances pour que ce sentiment de trop-plein généralisé soit également lié à un
déficit en terme de qualité, et de sincérité de la communication, sont grandes.


33   Information traitée dans le magazine Stratégies n°1346.
34   Nicolas BORDAS, L’idée qui tue, Eyrolles, Paris, 2010, p.10.
                                                        26
L’indigestion vient aussi et peut-être surtout du manque de franchise et de vérité. C’est-à-
dire au fond du manque de preuve.
          Bien entendu, aussi révélateurs que soient ces chiffres, ils méritent quelques
nuances. Selon Nicolas Bordas, « tout le monde est à la fois publiphobe et publiphile », et
ces études ont le défaut de fonctionner sur le mode déclaratif. « On oblige les gens à se
prononcer sur quelques chose qui ne se pose pas en ces termes », regrette-t-il.
          Il n’empêche : lorsque l’on interroge les Français sur la manière dont ils considèrent
la communication aujourd’hui, on relève une appréhension qui fait sens. Certains
rétorqueront que la méfiance envers la publicité ne date pas d’hier. Des sondages effectués
en France dès 1967 indiquent en effet que plus de 40% des personnes interrogées étaient
hostiles à l’introduction de la publicité à la télévision 35.               Il semble toutefois que le
phénomène se soit accentué ces dernières années.


           b. La dissonance cognitive des consommateurs


          La surexposition aux contenus publicitaires - selon le sociologue américain Michael
Hakawa, un jeune New-Yorkais de dix-huit ans a dû voir environ 350 000 spots
publicitaires à la télévision au cours de son existence 36 - finit par créer un sentiment de
vertige auprès du public. Et, cette fois, la raison de ce vertige est moins l’œil que l’abîme : il
est impossible, ou, disons, particulièrement difficile, de ne pas regarder.
          La dissonance finit par habiter les consommateurs. Il s’agit même d’un concept que
les professionnels de la communication se sont ré-approprié. La dissonance cognitive
désigne un état d’inconfort ressenti par le consommateur. « Il y a dissonance lorsque le
consommateur reçoit des informations discordantes qui vont le déranger, perturber ses
opinions et ses attitudes », expliquent Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast, renvoyant
aux théories de Festinger 37. La dissonance cognitive est en fait l’état d’anxiété dans lequel
se trouve le consommateur qui n’est pas sûr de son choix. Il a déjà effectué son « acte
d’achat », il possède donc le produit convoité, mais se met soudainement à douter : « Ai-je
bien fait ? Avais-je vraiment besoin d’acheter tel produit ? Est-il suffisamment solide et de
bonne qualité ? Etc. ». Le consommateur est dubitatif. Il regrette presque déjà son achat.


35Chiffres rappelés par Ignacio RAMONET, dans son ouvrage Propagandes silencieuses, Galilée, Paris,
2000, p.42.
36   Eulalio FERRER, « La crisis de la publicidad », Communicacion, n°36, Barcelone, 1978, p.58.
37   A theory of cognitive dissonance, Harper and Row New York, 1957.
                                                      27
Une des formes de la communication consiste donc à prendre en compte cette dissonance,
et à rassurer le client/le consommateur après qu'il a acheté le produit. Il s'agit d'une
communication a posteriori qui n'est pas négligeable.
          Cet état d’inconfort peut être pris au sens large. L’ « excès de communication » dont
parlait Nicolas Bordas amène à penser que les consommateurs ne savent plus à quoi s’en
tenir. D’une certaine manière, il y a une perte de sens.
          Cette perte de sens est peut-être le pire événement possible pour la communication
corporate, dont l’objectif ultime consiste justement à donner un sens à la marque, et du
sens à l’action de l’entreprise. D’autant que si tout se vaut, d’une certaine manière, plus
rien ne se vaut. Les consommateurs troublés sont perdus, et ne savent plus à quel saint se
vouer. Telle entreprise affirme haut et fort qu’elle défend la planète, telle autre que la
diversité est une valeur fondamentale de son action… mais qui croire ? Et sur quels
critères ? C’est ainsi que le doute fait place à la méfiance, qui elle-même se mue vite en
défiance.




 C. Le scepticisme de la foule - quand le public doute de la véracité des
campagnes

          L’opinion se fait de moins en moins dupe des messages publicitaires. Les
consommateurs finissent pas se familiariser avec les méthodes utilisées par les
marketeurs, ils connaissent les ficelles, et ne se laissent plus manipuler aussi aisément.
C’est ce que Nicolas Riou, fondateur du cabinet Brain Value, constate dans son ouvrage
Peur sur la pub 38, où il revient sur le phénomène de rejet de la publicité.
          D’une certaine manière, à la fin des années 1990 - si tant est qu’il soit possible de
dater avec précision des phénomènes de cette nature - nous sommes passés de l’ère du
vide à l’ère du soupçon. Le public, en quête de vérité, finit par douter de la véracité du
discours que les marques tiennent sur elles-mêmes.




38   Nicolas RIOU, Peur sur la pub, ED Organisation, Paris, 2004.
                                                      28
a. De l’ère du vide à l’ère du soupçon


          Dans le domaine de la communication comme dans tous les autres, le public a
horreur du vide. L’absence de sens, le néant, fait place à une forme de révolte, qui
s’apparente davantage au nihilisme. Pour décrire dans un premier temps ce sentiment de
vide, qui est aussi celui de la perte de sens, renforcé - sinon engendré - par un discours
publicitaire plus proche de l’incantation que de la démonstration, il faut lire l’ouvrage de
Gilles Lipovetsky, L’ère du vide, essai sur l’individualisme contemporain, paru en 1983.
Dont voici un extrait 39 :


         “L’opposition du sens et du non-sens n’est plus déchirante et perd de sa radicalité devant la
         frivolité ou la futilité de la mode, des loisirs, de la publicité. A l’ère du spectaculaire, les
         antinomies dures, celles du vrai et du faux, du beau et du laid, du réel et de l’illusion, du sens et
         du non-sens s’estompent, les antagonismes deviennent “flottants”, on commence à comprendre,
         n’en déplaise à nos métaphysiciens et antimétaphysiciens, qu’il est désormais possible de vivre
         sans but ni sens, en séquence-flash, et cela est nouveau. (…) Le besoin de sens lui-même a été
         balayé et l’existence indifférente au sens peut se déployer sans pathétique ni abîme, sans
         aspiration à de nouvelles tables de valeurs”.




          Il faut noter que cette « ère du vide » fut aussi celle de la montée en puissance du
divertissement. Ce que l’on nomme aujourd’hui l’ « advertainment », soit un savant
mélange entre l’ « advertising » (la publicité) et l’« entertainment » (le divertissement).
Plusieurs études relèvent la place prise depuis plusieurs décennies par l’humour dans les
opérations de communication. A défaut de convaincre par la preuve, la publicité cherche
ainsi à convaincre par le divertissement. Il faut rappeler l’étymologie de ce mot : divertir,
au sens latin du terme 40, signifie « détourner, écarter ». Détourner pour éviter de
démontrer. Divertir pour éviter de voir se développer, après la lassitude et l’ennui, un
sentiment de défiance, voire de révolte.




39Gilles LIPOVETSKY, L’ère du vide, Essais sur l’individualisme contemporain, Gallimard, Paris, 1983, p.
212.
40   « Divertere » - sens que reprendra Blaise Pascal dans ses Pensées.
                                                        29
L’ère du vide ne comprend même pas l’idée de révolte. Nathalie Sarraute, dans son
ouvrage littéraire 41 sur ce qu’elle nomme justement L’ère du soupçon, décrit en un sens un
sentiment de vertige similaire, que l’on peut très bien accoler à la dissonance de l’opinion,
face à la profusion publicitaire :


      “On songerait presque, tant semble profond cet état d’anesthésie, à ces malades de Janet qui
      souffrent de ce qu’il a nommé “les sentiments du vide” et qui vont répétant : “tous mes
      sentiments ont disparu… Ma tête est vide… Mon cœur est vide… Les personnes comme les
      choses, tout m’est indifférent… Je peux faire tous les actes mais en les faisant je n’ai plus ni joie
      ni peine… Rien ne me tente, rien ne me dégoûte… Je suis une statue vivante, qu’il m’arrive
      n’importe quoi, il m’est impossible d’avoir pour rien une sensation ou un sentiment…”



       Un tel état ne peut être que passager. Et à l’aube des années 2000 s’est cristallisé le
sentiment de lassitude lié à l’absence de sens dans la communication des marques.




         b. Les mouvements publiphobes


       « Omniprésente, multiforme, régénérée dans son discours par les nouveaux médias,
la publicité a fini par susciter des réactions d’hostilité », souligne Marie Bénilde 42. Le
public se réveille. Plusieurs mouvements se font remarquer par l’opinion. Le mouvement
des « antipubs » se fait connaître, à l’hiver 2003, en taguant et déchirant les affiches
publicitaires du métro parisien. Sa notoriété tient aussi de la réaction de la RATP et de
Métrobus qui assignent en justice les responsables de ces « actes de résistance à la
publicité ». Elles réclament à une soixantaine d’entre eux la somme de 1 million d’euros en
dommages et intérêts.


      “Qu’ont donc de si dangereux ces détracteurs de la société de consommation pour mériter
      pareilles poursuites ? Seraient-ce leurs actions dans les stations de métro ? En novembre 2003,
      elles ont mobilisé jusqu’à un millier de personnes dans toute la France. Bilan : 217
      interpellations. Seraient-ce leur fameux graffitis : « Puber tue », « Au lieu de dé-penser,



41L’ouvrage en lui-même porte surtout sur une critique littéraire : Nathalie SARRAUTE, L’ère du Soupçon,
Gallimard, Paris, 1956, p.23.
42 Marie BENILDE, On achète bien les cerveaux. La publicité et les médias, Raisons d’agir, Paris, mai 2008,
p.123.
                                                  30
pensez », ou « La pub nuit à votre santé », qui ont endommagé le matériel d’affichage de la
         RATP et provoqué un manque à gagner pour sa régie publicitaire Métrobus ?
         Si Publicis et l’entreprise publique décident de frapper un grand coup, c’est que le discours
         antipub, inspiré par la revue Casseurs de pub, fait alors tache d’huile en France. Des militants de
         l’association Résistance à l’agression publicitaire (RAP), des intermittents du spectacle, des
         étudiants ou de simples citoyens trouvent un écho médiatique par leurs actions de
         « recouvrement publicitaire », organisées du 17 octobre au 19 décembre 2003”. 43



          La condamnation de ces militants publiphobes sera
relativement modérée, mais, explique Marie Bénilde, « l’objectif
essentiel est atteint : la condamnation interrompt la vague de
« barbouillage » des panneaux dans le métro ». Mais elle ne
reste pas sans conséquences. De l’aveu d’un dirigeant de
Métrobus, « les campagnes antipub provoquent en 2005 une
réorientation des annonceurs vers la presse écrite et la
télévision »44.




          D’autant que plusieurs actions suivront - on se souvient notamment de l’intrusion
de militants publiphobes dans les locaux du BVP. Plusieurs actions, et plusieurs procès,
qui auront l’avantage, une nouvelle fois, de médiatiser ces mouvements, et de placer au
cœur du débat public la question de la publicité. Comme l’expliquent Les Désobéissants,
dans l’ouvrage Désobéir à la Pub :


         “Ces procès permettent pour la première fois, régulièrement, de mettre en question la place de la
         publicité, en donnant l’occasion aux journalistes d’évoquer une question délicate pour eux, et en
         offrant à des élus la possibilité de s’exprimer à son sujet. Au procès de Lyon par exemple, la vice-
         présidente du conseil régional, Hélène Blanchard, vient témoigner de la difficulté pour les élus
         de lutter contre les panneaux illégaux”.



          Plusieurs études viennent confirmer la montée en puissance des mouvements
publiphobes. Une enquête de l’institut IPSOS pour le magazine CB News en 2007 confirme
l’hostilité accrue des Français pour la publicité : un tiers d’entre eux se déclarant même

43 Marie BENILDE, On achète bien les cerveaux. La publicité et les médias, Raisons d’agir, Paris, mai 2008,
p.124.
44   Les Désobéissants, Désobéir à la pub, éditions Le passager clandestin, Le Pré-Saint-Gervais, 2009, p. 23.
                                                        31
directement « publiphobes ». Deux ans plus tard, en juin 2009, une étude d’Ethicity et
d’Aegis Media Expert relève à son tour la défiance de l’opinion vis-à-vis de la
communication des marques. Etude plus intéressante, en ce qui nous concerne, car elle
s’intéresse en particulier à la communication corporate, et à la relation nouée entre le
public et les entreprises, « à l’heure de la consommation responsable et du développement
durable ». Seuls 37% des Français interrogés affirment dans cette enquête « faire confiance
aux entreprises », contre plus de 60% en 2004. « L'ère de la communication qui survend,
qui se raconte des histoires et en raconte aux clients est terminée. On assiste à un
recentrage sur l'essentiel, à un besoin de transparence, d'information, de dialogue et
d'échange », commente Elizabeth Pastore-Reiss, directrice d'Ethicity 45.
       Face aux groupes anti-pub, mais surtout face à la défiance croissante de la société, la
communication doit évoluer. Les formules comme « Castorama, partenaire du bonheur »
ne peuvent suffire seules. Ce que reconnaît d’ailleurs le premier intéressé, à savoir Hugues
Cassegrain, directement de la communication de l’enseigne : « une relation affective existe
déjà entre Castorama et son public. Il nous incombe toutefois d'en apporter en
permanence des preuves à nos clients. C'est un défi pour nous, même si nous
disposons de bons atouts ».46




45 « Les Français à l'heure de la consommation responsable et du développement durable », article du
magazine Stratégies datant du 25 juin 2009. En ligne.
http://www.strategies.fr/etudes-tendances/tendances/119042W/les-francais-a-l-heure-de-la-
consommation-responsable-et-du-developpement-durable.html.
Consulté le 18 avril 2010.
46Article en ligne : http://www.lsa-conso.fr/pourquoi-castorama-change-de-slogan,42671.
Consulté le 12 mai 2010.
                                                    32
II. Preuves à l’appui
          L’analyse de la signature d’une marque donne une première idée du sens qu’elle
entend donner à son action. Très sommairement, cela permet de repérer des tendances, les
marques cherchant tantôt à renforcer l’affect, tantôt à défendre des valeurs sociétales ou
humaines, tantôt à souligner l’emprise qu’elles ont sur le réel. Delphine Masson,
journaliste à Stratégies, souligne qu’en 2009, malgré la crise, de nombreuses marques se
sont dotées d’une nouvelles signature corporate. Celles-ci sont, selon la journaliste,
« moins péremptoires, plus responsables, en quête d’un nouveau modèle à inventer, en
empathie avec les différents publics de l’entreprise…», et de conclure : « les signatures
corporate s’adaptent à l’air du temps ».
          « Les signatures sont devenues nettement moins péremptoires », confirme Caroline
Vallas-Coupé, vice-présidente du groupe de communication corporate Ligaris47. « La
grandiloquence est bannie au profit de formules délibérément simples, qui renvoient à un
bénéfice partagé ». Le terme de la responsabilité s’intègre à nombre de signatures :
Cetelem, et le « crédit responsable », Mercedes-Benz, dont « le luxe devient responsable »,
le Crédit agricole, qui promeut « une relation responsable pour l’Aquitaine », Assurances
Generali, pour qui « être responsable, c'est penser à demain »,                              Mc Donald’s,
« responsable, avant tout »48, ou encore la Sécurité routière, qui nous avertit que nous
sommes « tous responsables »49. Mais être responsable aujourd’hui, précise la journaliste,
« c’est aussi être particulièrement vigilant et conscient que le monde a changé. Plusieurs
entreprises, dont Total, BMW et Gaz de France, ont dû modifier leurs signatures sous la
pression de la société civile, du gouvernement ou d’un nouveau système d’autorégulation
professionnelle renforçant le contrôle des messages publicitaires. Dernier cas en date,
Areva a délaissé, contraint et forcé, son « énergie au sens propre », signature choisie en
2007.
          Ainsi, l’air du temps est à la responsabilisation du message corporate, et à la prise
en compte d’un nouvel impératif : asseoir le discours de communication sur une action
concrète, que l’on promeut ensuite par une démonstration probante. Bref : la
communication corporate, aujourd’hui, doit convaincre preuves à l’appui.


47   « Mille signatures nouvelles en 2009 », dans le n°1569 du magazine Stratégies, 10 décembre 2009. p.12.
48   Voir annexes : « Mc Donald’s, responsable avant tout ».
49   « Mille signatures nouvelles en 2009 », dans le n°1569 du magazine Stratégies, 10 décembre 2009. p.13.
                                                        33
A. De la nécessité de fonder la communication sur une action

       Il est clair, aujourd'hui, que le public consomme autant les valeurs de l'entreprise
que ses produits. Cela change la donne et justifie le budget alloué aux campagnes de
communication corporate - l'un des plus conséquents selon le site e-marketing. Mais la
communication corporate doit désormais se fonder sur des faits, elle ne peut se suffire à
elle-même. Cela ne signifie pas, bien sûr, qu’elle doit se limiter à énoncer une liste
d’actions entreprises, en délaissant totalement les valeurs, la créativité, le récit d’un mythe.
L’impératif de communication corporate dont nous parlons consiste au contraire à
renforcer les valeurs de l’entreprise, à ouvrir tout un champ de créativité, et à rendre le
mythe de la marque plus consistant.
       En fondant la communication sur une action, on la fortifie. L’adage latin : « contre
un fait, il n’est pas d’argument possible »50 s’applique tout à fait à notre sujet. A l’heure de
la responsabilisation de la société civile et de la transparence, notamment liées à l’ère
numérique, les entreprises cherchent à trouver un autre moyen de parler avec leurs
publics. Et redonner un sens à leur communication.


            a. Le sens de la communication corporate


       Selon Publicis Consultants51, la communication corporate permet de « définir, en
amont, le projet d'entreprise ou la carte d'identité de la marque, qui serviront de socle
à l'ensemble des communications ». On parle également d’ADN de la marque. La
communication corporate donne du sens, et un sens à l’entreprise. Elle indique un horizon.
En interne, elle doit convaincre les salariés que son action rime à quelque chose. Qu’ils ont
un rôle à jouer. Pour les partenaires économiques et les actionnaires, elle doit savoir se
distinguer, démontrer ce qu’elle vaut. Pour le public, elle doit apparaître responsable et
prouver qu’elle sait s’adresser à ses clients, qu’elle comprend leur préoccupations, et
qu’elle tient compte de leur avis. « Auchan a créé le discount responsable parce qu’Elsa
veut réduire ses déchets, mais pas ses achats ». « En les mettant en relation avec des
professionnels qualifiés, nous avons permis aux Lombard de rénover leur maison sans
essuyer les plâtres » (EDF, Bleu ciel). « Partageons nos idées pour protéger
l’environnement - vous, nous, et la planète » (Casino Avenir). Etc.
       L’impératif de la preuve a un sens, comme nous l’avons vu, compte tenu du
scepticisme des consommateurs. Les trois quarts d’entre eux (74%) « demandent plus
d’information et de preuves sur l’impact environnemental des produits achetés »52 . En


50   L’adage latin est le suivant : « contra factum, non datur argumentum ».
51   Sur le site de Publicis Consultants. En ligne. www.publicis-consultants.fr Consulté le 12 décembre 2009.
52   Information donnée dans le n° 1588 du magazine Stratégies, du 6 juin 2010, p.16.
                                                     34
clair, le public attend à présent que le discours des marques soit plus engageant. Ce que
confirme Pascal Tanchoux, directeur de la communication de Kraft Foods53 :


         “Internet a vraiment changé la donne. Il suffit désormais qu’une personne dise du mal de votre
         produit, et qu’elle ait une crédibilité et une reconnaissance suffisantes de la part de ses pairs,
         pour qu’une problématique s’enclenche et se transforme en crise avec une extraordinaire
         rapidité… L’entreprise a donc tout intérêt à jouer la carte de la transparence. Ce qui l’oblige, plus
         que jamais, à donner des preuves de ce qu’elle avance, à communiquer sur des faits
         incontestables, des résultats chiffrés. (…) Si les risques sont plus élevés, les bénéfices de la
         transparence le sont tout autant. Une entreprise qui engage le dialogue sur le Web avec ses
         consommateurs, avec ses parties prenantes, peut trouver des sources d’idées, d’intérêt et
         d’innovation qu’elle n’aurait pas eues en utilisant des canaux de communication plus classiques.
         (…) Autrefois, les entreprises étaient dans l’autodéclaration, l’autocélébration. Leur
         communication consistait à dire : regardez comme nous sommes forts, comme nos produits sont
         extraordinaires ! L’entreprise était autocentrée. La responsabilité sociétale l’oblige à s’ouvrir sur
         le monde et à passer d’une communication incantatoire à un discours de la preuve et du résultat
         inscrit dans la durée »



             Les annonceurs ont ainsi tout intérêt à jouer la carte de la transparence, de la
preuve et du résultat. La puissance d’Internet renforce encore cet impératif. « L’impact des
réseaux sociaux sur les politiques mises en place par les entreprises est réel » confirme
Ahmed Galipeau, de l’agence de communication AGC 54. Selon le consultant, le
consommateur a aujourd’hui beaucoup plus de pouvoir. Et cela doit encourager les
entreprises à investir les réseaux sociaux pour défendre leur position, et leurs projets, face
aux éventuelles critiques de leurs détracteurs, actifs notamment sur la Toile 55.
             D’où l’importance du community management, avec des représentants de
l’entreprise désignés pour engager le dialogue avec les internautes, apporter des
précisions, et démentir les rumeurs. Sur Internet, tout va beaucoup plus vite. Et il est
beaucoup plus difficile de passer en force. Ou de tenter d’enfreindre certaines règles. Sur le
site www.joelapompe.net , par exemple, les opérations de communication qui s’inspirent
grandement de campagnes passées - parfois mises en place par des entreprises




53   « De l’incantation à la preuve », n°1592 du magazine Stratégies du 3 juin 2010, p.34.
54  Article de l’Atelier. En ligne : http://www.atelier.fr/reseaux/10/18022010/reseaux-sociaux-regles-
entreprises-impact-client-compagnie-aerienne--39394;39485.html Consulté le 6 mai 2010.
55   Ibid.
                                                          35
concurrentes - sont dénoncées : le site présentant d’un côté la communication dite
    « originale », et de l’autre la « moins originale » 56.




THE ORIGINAL?                                                 LESS ORIGINAL
SNCB “One day you’ll forget about the road” –                 Decathlon Sport Stores “Make room for hiking” –
2003                                                          2010
Source : New York Festival                                    Source : Adsoftheworld
Agency : Grey Brussels (Belgium)                              Agency : Young & Rubicam Paris (France)



                 L’intérêt de ce site, outre le fait qu’il permet de se figurer l’ampleur du plagiat en
    communication - avec quelques cas particulièrement grossiers, comme ci-dessus -, est qu’il
    donne une idée de ce que les internautes peuvent faire, en quelques clics ; Internet impose
    aux marques de peser leur message, avant de le diffuser amplement.


                 D’autant que le contexte est aussi celui de la responsabilisation des individus, avec
    l’émergence d’une figure longtemps oubliée : celle du citoyen. Paradoxalement peut-être, la
    publicité a responsabilisé les consommateurs. Comme l’explique Gilles Lipovetsky 57 : « La
    consommation astreint l’individu à se prendre en charge, elle le responsabilise, elle est un
    système de participation inéluctable ». Et d’ajouter : « Quelle que soit sa standardisation,
    l’ère de la consommation s’est révélée et continue de se révéler un agent de
    personnalisation (…) en contraignant les individus à choisir et changer les éléments de leur
    mode de vie »58.

    56   Blog en ligne www.joelapompe.net, consulté le 11 juin 2010.
    57Gilles LIPOVETSKY, L’ère du vide, Essais sur l’individualisme contemporain, Gallimard, Paris, 1983,
    p. 210.
    58   Ibid.
                                                           36
Ainsi, d’une certaine manière, si l’opinion tient aujourd’hui à ce que la publicité soit
- ou devienne - responsable, c’est qu’elle-même a été responsabilisée par la communication
de masse. Si le citoyen ou le consommateur attend des entreprises qu’elles communiquent
sur le sens qu’elles entendent donner à leur action, c’est qu’il est devenu expert et décrypte
en peu de temps le message qui lui est adressé. Parmi les 7 000 messages auxquels il est
exposé tous les jours, il repère désormais très rapidement les marques qui se contentent de
prôner des valeurs sans fondement.
          A l’inverse, pour défendre son image, la SNCF a lancé une opération de
communication corporate basée sur des chiffres 59 . Les visuels entendent mettre fin aux
préjugés : « Cela peut surprendre, mais 89% de nos trains sont à l'heure » ; « Chaque jour,
plus de 9000 trains arrivent à l'heure ». Le but ? Contrecarrer les idées reçues, en étant
clair, concret, et en visant juste. D’une certaine manière, il s’agit cette fois non pas de
construire une mythologie publicitaire, mais bien de détruire un mythe populaire : « les
trains arrivent toujours en retard ».
          La communication corporate s'affirme ainsi pour défendre l'image-même de
l'entreprise. Et doit présenter les programmes concerts mis en place au préalable - et dont
on commence à récolter les fruits. Selon Pascal Tanchoux, « il faut d’abord faire et ensuite
faire savoir », quand , par le passé, « l’entreprise avait parfois tendance à faire savoir, sans
forcément faire » 60.
          Mais qu’entend-on précisément par « programmes concrets » ? Quelles actions
l’entreprise peut-elle mettre en place pour renouer avec les problématiques sociétales,
marquer les esprits, et s’affirmer comme un acteur clé sur un ou plusieurs sujets sensibles,
comme la responsabilité sociale, la question de la diversité, ou encore les enjeux
environnementaux ? Quel peut être son rôle, comment l’encadrer ? Voilà autant de
questions que les marques se sont posées.
          Afin de se positionner sur l’échiquier sociétal, et de démontrer qu’elles
entreprenaient quelque chose de concret, les entreprises ont développé des logiques de
partenariats. C’est ce point que nous allons aborder à présent.




59   Opération de communication corporate pilotée par l’agence TBWA/Paris.
60   « De l’incantation à la preuve », n°1592 du magazine Stratégies du 3 juin 2010, p.34.
                                                        37
b. Les logiques de partenariats


          Plusieurs possibilités s’offrent à une entreprise qui cherche à traduire dans les faits
les valeurs qu’elle prône. Pour sortir du cadre étroit qui correspond à son corps de métier,
et ainsi étendre son action, pour toucher de nouveaux publics, les professionnels ont
intérêt à nouer des partenariats entre eux, à partager un bénéfice en s’associant autour
d’un projet ambitieux. La condition étant bien évidemment qu’ils doivent veiller à la
cohérence du programme organisé ou soutenu, en fonction de l’ADN de la marque - dont
nous avons déjà parlé - et de l’image qu’ils entendent donner par cette action.
          Si en Grande-Bretagne, par exemple, les entreprises ont intégré ces logiques depuis
plusieurs années - 90 des 100 premières sociétés anglaises déclarent un ou plusieurs
partenariats avec des associations dans leurs documents de communication
institutionnelle 61 - la situation est loin d’être équivalente en France. Selon l’observatoire
WWO/Manifeste des relations ONG-Entreprises, seules 48% des entreprises de l’indice
boursier SBF 120 en font de même. « Et ce ratio s’effondre littéralement lorsque l’on
descend dans les catégories des moyennes et petites entreprises », précise Muriel Jaouën 62.
Qui poursuit :


         “Pourtant, face aux enjeux sociétaux et à leur poids dans la conscience collective (et
         mondialisée), les entreprises n’ont d’autres choix que de se rapprocher de la société civile,
         notamment du monde des associations et des ONG, qui représentent aujourd’hui un pouvoir à
         part entière, mais aussi une influence perçue comme très positive. Pour le monde économique, il
         y a là un enjeu majeur de crédibilité.
         Certaines sociétés ont mis en place de véritables stratégies internationales de relations avec les
         ONG. Sodexo peut ainsi se vanter d’avoir mis en œuvre le programme « Stop Hunger » dans ses
         principaux pays d’implantation. D’autres ont réussi à donner à leurs partenariats une forte
         visibilité comme Lafarge et le World Wildlife Fund, Carrefour et la Fédération internationale des
         droits de l’homme. Air France parraine à travers sa fondation des programmes de
         développement mis en place par des ONG. Elle aide notamment Ecpat (réseau pour l’éradication
         de la prostitution enfantine) en finançant et diffusant des actions de communication (spot
         publicitaire, affichage) pour lutter contre le tourisme sexuel impliquant des enfants. Le
         rapprochement avec le tissu associatif peut également doubler l’approche institutionnelle de
         démarches plus opérationnelles. C’est l’option retenue par Toyota, qui a signé au niveau
         corporate de grands partenariats avec des organisations humanitaires tout en garantissant à


61   Magazine Stratégies, n°1569 du 10 décembre 2009, pp. 37-38.
62   Journaliste Freelance - Magazine Stratégies, n°1569 du 10 décembre 2009, p. 37.
                                                       38
chaque filiale son autonomie et la liberté de choisir ses partenaires, pour mieux répondre à des
         besoins d’ancrage locaux”.


             Nous reviendrons plus en avant sur cette question de l’autonomie, essentielle pour
la légitimité de l’action. Nicolas Bordas, dans le chapitre « L’idée à l’épreuve de la preuve »
de son ouvrage L’idée qui tue63, souligne l’importance de la légitimité des marques. Il
explique dans quelle mesure la preuve permet de faire le lien entre la communication
corporate et le marketing. Pour qu’un fabricant reconnu de briquets puisse vendre des
stylos, « il faut qu’il le légitime. Qu’il dise, par exemple : “je suis le raffinement, vous allez
aimer mes stylos aussi raffinés que mes briquets”. Il doit ainsi préempter une valeur
crédible par rapport à son métier de base pour s’ouvrir de nouveaux territoires de
produits », précise-t-il. Ainsi, la communication corporate délimite le champ de la
communication marketing. Le spécialiste cite ensuite Bic, qui a su exploiter « sa valeur de
simplicité absolue, du stylo au briquet en passant par le rasoir, jusqu’à aujourd’hui le
téléphone portable » 64.


             L’un des moyens de développer des programmes d’actions consiste également à
soutenir - de façon logistique ou financière - un événement, un projet, une organisation.
Prouver que l’on défend concrètement des valeurs légitimes, en investissant dans des
projets cohérents. Ce soutien peut prendre la forme d’une initiative de mécénat, ou de
parrainage (sponsoring). Dans le premier cas, il s’agit de soutenir financièrement ou
matériellement une entreprise, une organisation, ou un particulier, dans le cadre d’une
activité d’intérêt général. Et ce, sans contrepartie importante. En effet, l’arrêté du 6 janvier
1989, « relatif à la terminologie économique et financière », précise qu’il ne peut y avoir de
contrepartie directe de la part du bénéficiaire.65 « Le mécénat est l'ensemble des concours
consentis par une initiative privée en faveur de domaines d'intérêt général s'étendant aux
champs de la culture, de la solidarité, de l'environnement, de la recherche et du sport » 66.
             Bien entendu, le mécénat est un moyen pour l’entreprise de tirer un profit en terme
d’image, et constitue un élément de sa stratégie. « C'est une façon pour elle d'affirmer son
intérêt pour son environnement culturel et social et d'apparaître là où le public ne l'attend

63   Nicolas BORDAS, L’idée qui tue, Eyrolles, Paris, 2010, p.109.
64   « Bic et Orange vont sortir un portable “prêt à l’emploi”», NouvelObs.com, 12 juillet 2008.
65Site de l’Admical en ligne : http://www.admical.org/default.asp?contentid=55.
Consulté le 8 mai 2010.
66   Ibid.
                                                        39
pas »67. Toute initiative de ce type passe par une réflexion approfondie de l'entreprise sur
son identité, sur son ADN - pour reprendre une nouvelle fois ce terme. En France, près de
30 000 entreprises (23%) de plus de vingt salariés mènent des actions de mécénats. Et
l’investissement global correspond à 2,5 milliards d’euros par an 68. A noter : selon
l’Admical, l’Association pour le développement du mécénat industriel et commercial, près
de 90% des entreprises françaises se contentent encore d’un investissement financier.
       Le parrainage, ou sponsoring, suit une logique différente. Il s’agit également d’un
soutien matériel, mais la notion d’investissement, et surtout de retour sur investissement,
est davantage mise en avant. L’idée est de retirer un bénéfice direct de cette implication.
Les actions de sponsoring visent à persuader les publics assistant à un événement qu’un
lien existe entre celui-ci et l’entreprise communicante. Là encore, l’objectif est de récolter
des retombées valorisantes en termes d’image. Mais la notion d’intérêt général est moins
privilégiée, et le bénéfice est pleinement assumé. 4 milliards d’euros sont investis chaque
année en France pour de tels programmes de parrainage. Cela concerne près de 1 400
marques françaises - qui investissent principalement dans des événements sportifs.


Tableau récapitulatif de la différence entre mécénat et parrainage (source : espace culture)67
                                              mécénat                             parrainage

 Définition                    Soutien                                 Soutien
                               Sans contrepartie directe               Avec contrepartie


 Déduction fiscale pour        Oui                                     Non
 l’entreprise                  Sous forme d’une réduction de           Assimilation des dépenses de
                               l’impôt sur les bénéfices               parrainage à des dépenses de
                               (loi du 1er août 2003 - 60% de la       nature publicitaire.
                               valeur du don dans la limite de 0.5%
                               du CA HT de l’entreprise)




       Dans les deux cas, l’entreprise cherche à prouver qu’elle transforme dans les faits ce
qu’elle affirme dans son discours de communication corporate, en particulier pour
répondre aux nouveaux enjeux de la responsabilité sociale. Pour Olivier Tcherniak, le
président d’Admical, « ce n’est pas qu’une technique de communication. (…) C’est souvent
devenu, pour les entreprises et leurs collaborateurs, une façon de se construire dans une




67Site de l’Admical en ligne : http://www.admical.org/default.asp?contentid=55.
Consulté le 8 mai 2010.


                                                    40
dimension plus humaine ». 69 Ce que confirme Antonella Desneux, directrice de la
citoyenneté à SFR : « Nos formules (…) de mécénat de compétences ne sont pas des
actions philanthropiques. Mais une façon concrète de signifier notre engagement citoyen
et de révéler nos talents en interne et en attirer en externe », explique-t-elle.
          Une façon « concrète » de « signifier l’engagement » de l’entreprise. La formule
pourrait difficilement être plus juste. Pour marquer les esprits, mais aussi se démarquer, et
surtout montrer qu’elle investit ses ressources dans une activité concrète, l’entreprise doit
trouver une méthode signifiante, c’est-à-dire qui fait sens. Nous retrouvons ici la notion de
sens, indissociable de toute réflexion autour de la communication corporate.


          L’objet de la partie suivante est d’observer l’apparition de cellules hybrides, qui
prennent souvent la forme d’une filiale de l’entreprise, mais aussi de fondation - voilà un
mot qui fait sens, justement, puisqu’il s’agit bel et bien de fonder l’action de la société, pour
mieux défendre son image.




69   Magazine Stratégies, n°1577, 18 février 2010, pp. 38-39.
                                                        41
B. De nouvelles cellules hybrides, autonomes

             Pour asseoir leur légitimité, les marques peuvent développer - parallèlement à leur
activité - des cellules singulières, dont elles garantissent une certaine autonomie, et qui ont
pour rôle de redorer le blason de l’entreprise en mettant en place des programmes
d’actions concrets. Parmi elles, les fondations. Dans le « Panorama Ernst & Young des
fondations d’entreprise 2010 », Philippe Oddou, co-fondateur et directeur général de
l’association “Sport dans la Ville”, détaille cette forme de communication : « un grand
nombre de fondations d’entreprise se sont créées ces cinq dernières années. A travers elles,
les entreprises donnent plus de sens encore à leur engagement sociétal, s’investissent
davantage, (…) et contribuent à rendre leurs collaborateurs fiers d’elles. (…) Des
partenaires nous soutiennent désormais à travers leur fondation d’entreprise, et non en
direct comme avant, sans pour autant que leur logique de soutien n’évolue », explique-t-
il. 70 Juridiquement, la fondation est « l'acte par lequel une ou plusieurs personnes
physiques ou morales décident l'affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la
réalisation d'une oeuvre d'intérêt général et à but non lucratif »71.
             Si, en raison de la conjoncture économique, l’année 2009 marque une rupture dans
la progression constante de créations de nouvelles Fondations d’entreprise observée
depuis 2004 - 26 fondations d’entreprise ont été créées, contre 50 l’année précédente 72 - ce
type de cellules sur lesquelles s’appuient les entreprises pour développer des actions
concrètes et ainsi « faire leurs preuves » méritent toute notre attention. Abordons ici un
cas pratique : la fondation Bonduelle.


                a. Etude de cas : la Fondation Bonduelle et la Fondation Total


             « Une majorité des dirigeants se rejoint pour accorder à la fondation d’entreprise un
« brevet d’efficacité » supérieur à celui du mécénat d’entreprise classique. La Fondation
d’entreprise apporte de la cohérence et donne plus de force à l’engagement sociétal de
l’entreprise, par ses moyens propres et par le sens qu’elle lui confère », indique le cabinet


70 « Panorama Ernst & Young des Fondations d’entreprise 2010 ». Consulté sur le site http://www.cf-
fondations.fr/agenda-et-actualite/actualite/panorama-ernst-young-des-fondations-dentreprise-
edition-2010 le 6 juin 2010.

 Il s’agit de la définition de référence d'une fondation, donnée pour la première fois par la loi n°87-571 sur le
71

mécénat du 23 juillet 1987.
72   Ibid.
                                                       42
de conseil Ernst & Young dans son rapport sur les fondations d’entreprise 2010. De fait,
par ce biais, les entreprises peuvent communiquer au sens propre, c’est-à-dire nouer des
liens, créer une relation avec la société, et démontrer tout son engagement.
             Plusieurs cas pratiques sont néanmoins à distinguer. La Fondation Bonduelle, par
exemple, cherche véritablement à donner une valeur sociale à
une entreprise a priori limitée à un champ d’action étroit, étant
spécialisée dans la production et la distribution alimentaire.
Comme le reconnaissent les responsables eux-mêmes, sur le site
de la Fondation 73 : « Parce qu'il n'est pas si facile de passer à
l'action quand il s'agit de manger des légumes, la Fondation Louis Bonduelle vous propose
une information nutritionnelle simple et ciblée, soutient des actions sur le terrain visant à
remettre le légume à sa juste place dans nos comportements alimentaires, et participe à
l'effort de recherche en matière de santé et de nutrition ». Et d’énumérer plusieurs projets
en cours, comme « l’aide à la valorisation des légumes distribués aux populations
défavorisées et à la création de lieux de partage autour du ‘mieux manger’». Plusieurs
missions viennent servir l’image de la marque, en fournissant les preuves de son
implication : la Fondation entend informer et sensibiliser le grand public sur le problème
de l’obésité, soutenir la recherche et « agir sur le terrain »74 - en développant notamment
un partenariat avec le secours populaire.
             Dans le cas de la Fondation Louis Bonduelle, l’objectif est donc transparent : il s’agit
de donner davantage de consistance à la marque, et de renforcer le caractère affectif de la
relation entre l’entreprise et les consommateurs. Consommer les produits Bonduelle
devient ainsi un acte militant, en un sens : le but étant d’amener le consommateur, au
moment de son choix, dans le supermarché, à penser aux actions menées parallèlement
pour l’intérêt public. S’adresser au citoyen qui sommeille désormais dans tous
consommateurs.
             Reste donc à communiquer efficacement sur les projets entrepris, en fournissant
différentes « preuves communicationnelles »75 sur le site de la Fondation, notamment.
« Le but de la Fondation est d'aller plus loin que les discours d'intention générale, d'agir au




73Site de la Fondation : http://www.fondation-louisbonduelle.org/france/fr.html En ligne.
Consulté le 23 avril 2010.
74   Ibid.
75   La formule est de Nicolas BORDAS, L’idée qui tue, Eyrolles, Paris, 2010, p.110.
                                                       43
jour le jour pour que les européens passent de la théorie à la pratique, et adoptent enfin les
bons réflexes alimentaires », peut-on y lire.
       Des chiffres sont également présentés, comme des pièces à conviction
communicationnelles, en quelque sorte. Ce, afin de démontrer à quel point même en
interne, la société fait des efforts pour le développement durable. « 2007/2008 est la 5ème
année consécutive marquée par la réduction des consommations d'eau et énergie : baisse
de 9,6 % du ratio de consommation d'énergies motrice et thermique et de 20 % du ratio de
consommation d'eau. (…) Bonduelle fait en sorte, dans la mesure du possible, de limiter les
transports inter sites. Nous sommes en train de mettre en oeuvre des solutions rail/route
qui devraient nous permettre de réduire de 75% les émissions de CO2 sur 25% de ces
échanges » 76. On apprend également que « 29 projets ont été soutenus par la Fondation en
moins de deux ans » et que cela porte ses fruits, notamment en interne, puisque « 70% des
employés se sentent bien dans leur travail » et « 83% sont fiers d’être chez Bonduelle ».




C’est bien l’image de l’entreprise qui est en jeu, et la relation affective entre la marque et les
différentes parties prenantes - en premier lieu les consommateurs. En servant l’intérêt
général, la fondation Louis Bonduelle sert bien évidemment l’intérêt de la marque.


       Dans le cas de la Fondation Total, l’approche est un peu différente. Le sujet abordé
est plus sensible, et l’entreprise doit d’abord et avant tout se positionner de la façon la plus
judicieuse possible. D’une certaine façon, la marge de manœuvre n’est pas la même : Total
se trouve au cœur des problématiques environnementales - et de développement durable.


 Toujours sur le site de la Fondation : http://www.fondation-louisbonduelle.org/france/fr.html. Consulté le
76

même jour.
                                                    44
Et les bénéfices du groupe amènent celui-ci à communiquer sur sa capacité à prendre en
compte les parties prenantes, à développer des programmes de solidarité, à mener des
actions, une nouvelle fois, responsables.
          Autrement dit, le rôle de la Fondation Total n’est pas - comme pour la Fondation
Louis Bonduelle - de donner plus de consistance à la marque, mais bien de prouver à la
société civile que le groupe a pris la mesure de sa responsabilité. Dans les deux cas, c’est
bien entendu l’image de l’entreprise qui est en jeu. Mais cette fois, l’objectif est de
démontrer par les faits que Total assume son rôle d’acteur sociétal à part entière. En
d’autres termes, la société civile et l’émergence des préoccupations liées au développement
durable ne laissent pas le choix à l’entreprise, qui doit défendre sa position, en mettant les
moyens nécessaires.
          Une nouvelle fois, le simple discours incantatoire ne convainc plus. Aussi, à la sortie
du film « Océan »77, l’entreprise ne s’est pas limitée à afficher son soutien financier pour la
production de ce long métrage. Elle a aussi rappelé l’action de sa Fondation : « La
Fondation Total soutient depuis 1992 des programmes de préservation et de mise en
valeur de la biodiversité marine, comme ceux du Census of Marine Life aux côtés de
partenaires réputés comme le Muséum national d'Histoire Naturelle ou l'Ifremer et les
meilleurs laboratoires français et étrangers. Il était donc logique que la Fondation Total
s'engage auprès de Jacques Perrin pour le film « Océans » afin de sensibiliser l'opinion au
grand enjeu que représente la préservation des océans pour les générations futures »78.




77   Documentaire de Jacques PERRIN et Jacques Cluzaud, Sorti en salle le 27 janvier 2010.
78Sur le site de la Fondation Total : http://fondation.total.com En ligne.
Consulté le 12 juin 2010.
                                                       45
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  • 1. Institut d’Etudes Politiques de Lille Master communication institutionnelle La preuve : nouvel impératif de communication corporate Mémoire préparé sous la direction de Mme Véronique Drecq Présenté et soutenu par Basile Segalen Année 2009 - 2010 1
  • 2. Paris, le 18 juin 2010 « Ce texte est original, il est le résultat d’un travail personnel. Les références des sources et des emprunts (citations, graphiques, schémas…) sont clairement indiquées en note de bas de page ou en bibliographie ». Basile Segalen 2
  • 3. Remerciements Je tiens à remercier tout particulièrement Véronique Drecq, pour m’avoir fait découvrir et aimé le monde de la communication, et les enjeux qui y sont rattachés. Un grand merci bien sûr à Mathilde Cristiani et Renaud Edouard-Baraud, qui m’ont intégré dans l’équipe de l’Atelier, et fait comprendre tout l’intérêt de la veille, en particulier dans le domaine des nouvelles technologies. Je souhaite également exprimer toute ma gratitude à Nicolas d’Anglejan, responsable adjoint de l’e-communication de BNP Paribas, pour m’avoir accordé un entretien, et m’avoir éclairé sur la singularité des rapports entre le groupe et sa cellule de veille. Merci enfin à Adrien et Corentin, pour m’avoir relu et conseillé, tout au long de ce mémoire. Et à Julie, bien entendu, pour son soutien précieux et ses remarques pertinentes. 3
  • 4. Sommaire Introduction 5 I. Le public en quête de vérité 10 A. Quand la publicité se faisait « propagande » 11 a. Raconter des histoires ? (le storytelling en communication) 11 b. Le greenwashing 16 c. Les limites de la répétition publicitaire 23 B. La communication à l’épreuve des faits 24 a. Les Français et la pub : le trop-plein ? 24 b. La dissonance cognitive des consommateurs 27 C. Le scepticisme de la foule - quand le public doute de la véracité des campagnes 28 a. De l’ère du vide à l’ère du soupçon 29 b. Les mouvements publiphobes 30 II. Preuves à l’appui 33 A. De la nécessité de fonder la communication sur une action 34 a. Le sens de la communication corporate 34 b. Les logiques de partenariats 38 B. De nouvelles cellules hybrides, autonomes 42 a. Etude de cas : la Fondation Bonduelle et la Fondation Total 42 b. Quels objectifs pour quelle autonomie ? 46 C. Etude de cas - L’Atelier BNP Paribas 47 a. Un lien avec les professionnels 48 b. Trois piliers de communication : l’événementiel, la veille et le conseil aux entreprises 50 Conclusion 54 Bibliographie 56 Webographie 57 Annexes 58 4
  • 5. Introduction Le lundi 23 novembre 2009, 800 professionnels de la communication sont rassemblés au théâtre de Paris pour le Grand prix Effie de l’efficacité publicitaire. Ils sont venus pour présenter leur campagne de communication, et juger de celle des autres. Plusieurs prix sont attribués tour à tour, dans chacune des catégories (Automobile, Biens durables, Communication publique et d’intérêt général, ou encore Petits budgets et opérations spéciales…). À chaque fois, le couple lauréat - c’est-à-dire l’annonceur et l’agence qui s’est occupée de la campagne - se lève, rejoint la scène, et adresse les remerciements de rigueur. Toute la salle attend patiemment la remise du prix de l’année - qui vient consacrer la marque dont l’opération publicitaire s’est avérée la plus efficace - ainsi peut-être que les petits fours qui suivent la cérémonie. Enfin, l’heure sonne, l’enveloppe s’ouvre, et le gagnant est proclamé. Il s’agit de Nespresso et de l’agence Mc Cann, dont la troisième vague publicitaire, avec le fameux « What else ? » de George Clooney, commence à véritablement porter ses fruits et à marquer les esprits. 5
  • 6. Nespresso : le fer de lance du groupe Nestlé, qui va connaître un début d’année difficile en 2010, avec la gestion approximative d’une crise de communication sur les médias sociaux, face aux offensives de Greenpeace1. Nespresso que l’on retrouve au printemps de cette même année, avec une campagne dans la presse magazine qui entend affirmer haut et fort les valeurs de la marque, et redorer son blason, en soulignant l’exigence dont elle fait preuve en matière de développement durable. Le message est sans ambages : « Quand boire un café d’exception devient un acte responsable ». Mais la réclame ne se limite pas à cela. Sur une pleine page, elle poursuit en mettant en avant les actions concrètes entreprises en ce sens : « Avec son programme Ecolaboration, Nespresso s’engage en faveur de la qualité durable ». Trois « certificats » viennent ensuite assurer le consommateur du bien fondé de ce programme2, et de sa vérité. En d’autres termes, annoncer que l’entreprise est soucieuse de l’environnement ne suffit plus. Il faut non seulement affirmer haut et fort les principes fondateurs de l’action de l’entreprise, mais aussi et surtout confirmer cette déclaration en relatant des faits et des projets entrepris. Nous parlons ici de communication corporate, et non de marketing. La communication corporate, ou institutionnelle, vise à renforcer l’image de marque de l’entreprise. Elle a pour principal objectif de lui indiquer une direction, de la doter d’une identité. Bien plus : elle fait le lien entre l’entreprise et la société. Bernard Arnault, dans La passion créatrice3, précise le sens de cette communication : l’identité profonde de l’entreprise, doit, selon lui, « se construire par une image institutionnelle, globale, valorisante, affective ». Et de poursuivre : « Une entreprise, pour réussir, doit 1 à ce sujet, lire le blog : http://thebrandbuilder.wordpress.com/2010/03/22/greenpeace-vs-nestle-how-to-make-sure-your- facebook-page-doesnt-become-a-pr-trojan-horse-part-1/ En ligne. Consulté le 23 avril 2010. 2 Voir annexes : programme ecolaboration de Nespresso. 3 Bernard ARNAULT, La Passion Créatrice, Paris, Plon, 2000. 6
  • 7. marquer sa responsabilité face à certaines problématiques majeures de son environnement humain et naturel. Le sens de l’intérêt général n’est pas un vain mot, il est un fait fondamental. Le Bien public ne doit pas être laissé à la seule responsabilité des Etats et des gouvernements ». Cette question est au cœur de toute réflexion autour de la communication d’entreprise. Quelle place doit-elle prendre ? Comment se situer dans les grands débats sociétaux ? Quelle position adopter ? Autant de questions incontournables. Le rôle de la communication corporate est de « formaliser et de promouvoir la culture (…) de l’entreprise en éclairant ses engagements et ses valeurs auprès de tous ceux qui contribuent à faire ou à défaire une réputation. Elle s’adresse à l’ensemble des parties prenantes (actionnaires, salariés, leaders d’opinion, institutionnels, consommateurs…) ». 4 La communication corporate donne un sens, et du sens, à l’action de l’entreprise. Mais elle perd tout son sens, justement, dès lors qu’elle se libère des projets, des programmes d’actions, des politiques mises en place. En d’autres termes, la communication corporate doit s’ancrer dans le réel. Aujourd’hui, plus que jamais peut-être, cet impératif est de circonstance. La communication corporate doit s’inscrire dans la continuité d’une action concrète car elle ne convainc plus autrement. A l’ère du vide - où les publicitaires se contentaient de clamer les valeurs supposées de l’entreprise en matière environnementale (communication aujourd’hui décriée sous le terme de « greenwashing »), sociale, ou humaine - succède l’ère du soupçon : le public se lasse, devient de plus en plus méfiant. Selon une enquête de l’institut TNS Sofres5, les marques communiquent de plus en plus et « c’est plutôt une mauvaise chose pour 56% des Français ». Ce qui fait dire à Olivier Mongeau, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Stratégies : « la publicité n’a pas la cote ; pis, son image se dégrade. (…) Pour une partie croissante des Français, la publicité est vécue comme une gêne. C’est gênant ». Et de rappeler le sentiment de trop-plein « qu’expriment à leur 4 Lu sur le blog Les échos : http://www.lesechos-formation.fr/fo/catalogue/formations/communication/ communication-corporate/presentation.html?PHPSESSID=nblle9hl0cj1im92d9qh7jd8f2 En ligne. Consulté le 12 mai 2010. 5 « Les Français et la pub : le trop-plein », Stratégies, n°1581 - 18 mars 2010. pp.8-10. 7
  • 8. manière les membres du collectif des Déboulonneurs », jugés par le tribunal correctionnel de Paris pour avoir barbouillé des panneaux publicitaires sur les Champs-Elysées en 2008. La publicité n’a pas la cote, donc. Le seul fait de communiquer positivement ne suffit plus à gagner la confiance des consommateurs. Ceux-ci ne sont plus dupes, d’une certaine manière. Ou le sont beaucoup moins. Ils ont intégré les codes de la publicité, compris les leviers qu’elle actionne, et sont devenus méfiants. La défiance pour la communication ne traduit pas forcément d’une publiphobie généralisée. Mais elle impose en tout cas aux publicitaires de se montrer rigoureux, et de changer leur fusil d’épaule. Pour être pleinement acceptée, la communication doit retrouver son sens initial : celui de créer une relation de confiance, entre la marque et son public. Le discours est inutile - voire contre-productif - s’il ne s’accompagne d’une démonstration par la preuve. Les professionnels de la communication corporate ne s’y trompent pas : il n’est plus possible de vanter les vertus d’une marque sans en démontrer la teneur dans les faits. « On est au bout d’un système », clame Éric Zajdermann, PDG de Stratéus (Lowe), « arrêtons de faire croire aux gens qu’on est là pour faire leur bonheur ! ». Selon lui, il faut se passer de la communication corporate si celle-ci ne correspond pas à une politique entrepreneuriale plus globale. Le discours de l’entreprise ne doit pas être assimilé à un discours de propagande, qui chercherait à flouer le consommateur, mais à un discours de communication, qui s’appuie sur un résultat. Élisabeth Reiss, PDG d’Éthicity, va également en ce sens, lorsqu’elle aborde la question de la responsabilité environnementale : « le discours de proclamation consistant à dire que l’on se préoccupe de l’environnement dans son activité n’a que peu d’impact. On va vers plus de communication intégrée sur le développement durable. Il faut des preuves ». Cette problématique de la preuve est fondamentale. Il ne suffit plus de prôner ; désormais, il faut prouver. Prendre les consommateurs pour témoins. 6 Démonter que les valeurs s’inscrivent dans une activité réelle. C’est l’objet de ce mémoire : comprendre 6 C’est d’ailleurs le sens originel de « preuve », selon le Petit Robert - Prueve : témoin (Le Petit Robert 1967). 8
  • 9. l’émergence de cet impératif, souligner son emprise sur le secteur de la communication, et analyser l’impact qu’il a sur les campagnes mises en place aujourd’hui. Dans quelle mesure toute opération de communication corporate doit aujourd’hui faire ses preuves ? La réflexion se fait en deux temps : 1. Nous partons tout d’abord d’un constat : le public est désormais en quête de vérité. Raconter des histoires (la question du storytelling est ici abordée) ne permet plus toujours de convaincre. Et l’une des données à prendre en considération est cette méfiance des consommateurs, initiés à la publicité. 2. Dans un second temps, nous nous intéressons aux solutions qui s’offrent aux annonceurs, et nous analysons en particulier les cellules mises en place pour mener des activités concrètes - comme les fondations, dont le nom-même traduit bien le nouvel impératif de la communication corporate. Cette partie est conclue par un cas d’étude : l’Atelier BNP Paribas, cellule singulière et révélatrice où la veille, l’événementiel et le conseil sont les trois piliers d’un même édifice de communication fondé sur la relation avec les professionnels. 9
  • 10. I. Le public en quête de vérité Pour comprendre ce qui pousse aujourd’hui certains grands groupes à lancer des programmes consistants, et à détailler dans leur communication les points concrets de leur action, il faut s’intéresser aux récentes évolutions, notamment celles de l’opinion publique. Les années 1990 et 2000 ont d’une certaine manière signé la fin d’une forme de « communication creuse », révélée en particulier par le phénomène de « greenwashing »7. Les exemples ne manquent d’ailleurs pas à cette période pour illustrer la tendance à l’auto-proclamation, ou, pour citer Pascal Tanchoux 8 , à l’« incantation ». L’opération de communication corporate lancée par Castorama durant l’été 1999 en est un. Une nouvelle signature : « Castorama, partenaire du bonheur », est diffusée sur les ondes radio et sur près de 17 000 panneaux publicitaires. « Partenaire du bonheur ». L’affirmation est pour le moins vague. Pascal Bruckner s’en amuse d’ailleurs dans son ouvrage L’Euphorie perpétuelle, où il dénonce l’injonction au bonheur dans les sociétés contemporaines 9 . L’une des causes du rejet de la publicité, constaté par plusieurs instituts de sondages, est peut-être à chercher ici. L’affirmation sans fondement ne convainc plus. Non que ces formules « creuses » ne trouvent aucun écho auprès du public - l’affirmer serait excessif - , mais la profusion de proclamations de ce type finit par lasser, et de fait, le public apparaît de plus en plus en quête de vérité. Le trop-plein de publicité, la méfiance croissante des consommateurs, les mouvements publiphobes, les groupes menant des actions dans les métros des grandes agglomérations pour dénoncer les dérives publicitaires et la société de consommation, tout cela contribue à ouvrir un nouveau paradigme pour les professionnels de la communication. Nous cherchons à tracer les grandes lignes de ce paradigme dans la première partie de ce mémoire. En commençant par nous intéresser à la question de la « propagande publicitaire ». 7C’est-à-dire l’appropriation injustifiée par une marque de valeurs environnementales, ou « durables », afin de créer une image écologique, sans qu’une action environnementale n’ait été entreprise. Voir chapitre 1.b de ce mémoire, intitulé : le « greenwashing ». p.16. 8 Directeur de la communication de Kraft Foods, et président de la commission RSE de l’Union des Annonceurs (« De l’incantation à la preuve », Stratégies, numéro 1592 - 3/6/2010, p.34). 9 Pascal BRUCKNER, L’Euphorie perpétuelle, essai sur le devoir de bonheur, Grasset & Fasquelle, Paris, 2000, p.57. 10
  • 11. A. Quand la publicité se faisait « propagande » La propagande est un terme connoté. D’un point de vue strictement étymologique, il désigne pourtant simplement l’action de propager, propager au travers de la foule une idée, des valeurs, « pour recueillir une adhésion, un soutien »10 . Selon le politologue américain Lasswell, connu pour ses théories dans le domaine de la communication 11, « la propagande est l’expression d’opinions ou d’actions effectuées délibérément par des individus ou des groupes en vue d’influencer l’opinion ou l’action d’autres individus ou groupes »12. Si l’on s’y tient, la propagande est ainsi synonyme de publicité. C’est du moins son sens premier. En le dénaturant par des méthodes proprement manipulatrices, on a fait de ce terme un synonyme de publicité mensongère. En particulier lorsqu’elle a servi les intérêts d’idéologies politiques, en période de guerre notamment. La propagande donc. Au sens second. C’est ce qui nous intéresse dans cette partie. Comment la publicité s’est-elle dénaturée ? Par quels procédés les marques en sont-elles venues à raconter des histoires, en ne se contentant pas de créer une mythologie autour de l’entreprise pour véhiculer ses valeurs centrales, mais en se laissant aller à délaisser totalement la valeur probante de leur parole, en se satisfaisant de quelques formules impactantes. a. Raconter des histoires ? (le storytelling en communication) En 2007, Christian Salmon, écrivain et chercheur au CNRS, publie un ouvrage remarqué dans le monde des annonceurs, et de la politique : Storytelling, la machine à raconter des histoires et à formater les esprits. Il s’intéresse de près à cette technique alors très en vogue en communication, qui consiste à construire son discours sous la forme d’un récit - une personnalité politique plaçant par exemple dans un débat qu’elle a le matin-même rencontré un groupe de salariés, et qu’elle a su entendre ses revendications. En communication corporate, ce procédé est également grandement utilisé. Il permet de transmettre une certaine image de la marque, en l’ancrant - par le discours, et par le discours seulement - dans la réalité. 10 Définition du Petit Robert 1967. 11Harold Lasswell, spécialiste américain de la communication de masse, qui a proposé une grille d’analyse de célèbre des processus de communication : qui ? dit quoi ? par quels canaux ? à qui ? avec quels effets ? 12 Cité par Jacques ELLUL, Propagandes, Economica, Paris, 1990. 11
  • 12. Apple fait partie de ces marques qui ont construit, par le storytelling, un mythe fondateur. Steve Jobs et Steve Wozniack, encore étudiants, dans leur garage californien, construisant le premier ordinateur personnel. Voilà une histoire qui trouve un écho auprès de tous ceux qui, à la fin des années 1970, ne se reconnaissent pas dans l’informatique telle qu’elle est présentée par le géant IBM. Une histoire qui va être racontée de nombreuses fois, sous différentes formes. Steve Jobs lui-même la reprend, en 2005, dans son célèbre discours de Stanford - par ailleurs entièrement construit sur les principes du storytelling, et enseigné à cet égard dans certaines écoles de communication. Voici ce qu’il raconte : “My second story is about love and loss. I was lucky - I found what I loved to do early in life. Woz and I started Apple in my parents garage when I was 20. We worked hard, and in 10 years Apple had grown from just the two of us in a garage into a $2 billion company with over 4000 employees” Tout est là. Deux étudiants construisant de façon à la fois artisanale et géniale des produits qui engendreront une révolution de la société. Deux étudiants réinventant l’avenir de l’informatique. Inventant l’informatique personnelle. Il s’agit en fin de compte d’une success story, sans cesse racontée. Reprise, par exemple, de manière sous-jacente cette fois, dans le spot publicitaire qu’Apple choisit de diffuser au SuperBowl, lors du lancement du premier Macintosh en 1984. 12
  • 13. Comme le raconte Nicolas Bordas, président de TBWA / France, dans son dernier ouvrage13: “ Sur un écran géant, devant un public lobotomisé, Big Brother, d’une voie glaciale, parle : « Nous avons créé, pour la première fois dans l’histoire, le jardin de l’idéologie pure où chacun pourra s’épanouir à l’abri de la peste des vérités contradictoires et confuses. Notre unification de la pensée constitue une arme plus puissante que n’importe quelle flotte ou armée sur terre…». Arrive en courant une jeune sportive qui lance son marteau au cœur de l’écran. Au cri d’une foule libérée, Big Brother s’évanouit et apparaît une phrase : « On January 24th, Apple Computer will introduce Macintosh. And you’ll see why 1984 won’t be like ‘1984’ » (Le 24 janvier Apple Computer lancera le Macintosh. Et vous verrez pourquoi 1984 ne ressemblera pas à ‘1984’) ”. 14 Cette publicité, connue de tous les « fans » d’Apple et de tous les publicitaires, sans doute, vise à rappeler la position de la marque, ses valeurs, mais aussi son engagement. Jean-Marie Dru, dans son ouvrage de référence Beyond disruption, changing the rules in the marketplace, analyse la stratégie de communication d’Apple, au cours des dernières décennies. Il aborde notamment les campagnes « Think different », ayant servi selon lui non seulement à créer des plates-formes créatives pour chacun des pays, pouvant associer à cette phrase l’un de ses grands hommes, c’est-à-dire l’un de ses héros, mais aussi bien sûr à consolider les fondations affectives de la marque elle-même. Il s’agit selon lui d’une véritable disruption, un changement profond de mentalités : Steve Jobs parvenant à créer un nouvel espace pour l’informatique - “Apple is not about bytes and boxes, it is about values” -, au service de la créativité et de l’inventivité. Quittons un peu Apple, et soulignons cette question de l’engagement d’une marque. Dans le Publicitor, Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast donnent une définition de la communication corporate, en ce sens : “Au-delà des produits, la demande de sens se porte sur les entreprises. Les individus les attendent sur le sens qu'elles donnent à leur métier, sur la vision qu'elles en ont, sur leur philosophie de ce métier, les valeurs qui sont au cœur et la façon dont elles comptent l'exercer. De plus en plus, les entreprises vont devoir énoncer leur utilité pour l'humanité, dire la 13 Nicolas BORDAS, L’idée qui tue, Eyrolles, Paris, 2010, p.7. 14 Film conçu par l’agence Chiat/Day et réalisé par Ridley Scott. 13
  • 14. vertu civilisatrice et sociale de leur métier : qu'est-ce qui peut, dans ce métier et la façon dont l'entreprise l'envisage, faire progresser l'humanité, rendre service à l'homme et à la planète ? Toutes questions auxquelles les entreprises n'avaient pas, pour la plupart, l'habitude de répondre, tout simplement parce qu'on ne les leur avait jamais posées, du moins avec cette force. Au mieux, on attendait d'elles qu'elles apportent leur contribution à la production de richesses, qu'elles créent ou maintiennent l'emploi, qu'elles se comportent normalement en nuisant le moins possible à l'homme et à l'environnement. Le questionnement d'aujourd'hui va bien plus loin. Il est de l'ordre de l'éthique. Il est de l'ordre d'une justification morale du métier et des pratiques. Il est de l'ordre de l'engagement”. Les spécialistes ne s’y trompent pas : aujourd’hui, les consommateurs attendent des marques qu’elles s’engagent. Celles-ci sont par conséquent amenées à construire un récit de leur engagement. La communication corporate impose donc, d’une certaine façon, de raconter des histoires. Si les entreprises se sont mises à parler d’environnement, de responsabilité sociale, d’éthique, ce n’est pas par hasard. Seul problème : dans un premier temps, ces histoires n’étaient pas des histoires, mais des fables. Christian Salmon le démontre dans son ouvrage sur le storytelling, en prenant l’exemple d’Enron, dont le PDG, en 2001, concluait un spot de publicité consacré à sa société par les mots : “It’s a fabulous, fabulous story…”. Et en relevant qu’Enro, alors septième entreprise des Etats-Unis, évaluée à presque 70 milliards de dollars, classée « première entreprise innovante » par le magazine Fortune, allait s’effondrer peu après, avec l’éclatement de la bulle Internet. L’auteur de storytelling reprend les mots de la journaliste Bethany McLean, commentant l’entreprise américaine : « un château de cartes, un mirage construit par une politique de la poudre aux yeux ». Et Christian Salmon de conclure, sur ce point : « la fabuleuse histoire de l’entreprise Enron fournit sans doute l’exemple le plus éclairant de cette transmutation de l’entreprise capitaliste en phénomène de croyance partagée. Elle met en évidence les paradoxes et les dangers du corporate storytelling, qui a connu avec Enron l’un de ses succès les plus phénoménaux, suivi d’un désastre financier sans précédent. Enron a mis seize ans pour voir ses actifs passer de 10 millions à 65 milliards de dollars, et vingt-quatre jours pour faire faillite »15. Ainsi, « l’empire de la propagande »16 , qui est aussi celui de la manipulation, peut avoir ses contre-coups. Les désillusions qu’il engendre peuvent s’avérer catastrophiques. Christian SALMON, Storytelling, la machine à raconter des histoires et à formater les esprits, éditions La 15 Découverte, Paris, 2007-2008, p.104. 16 Ibid. chapitre : « L’empire de la propagande », p.171. 14
  • 15. Cela amène à s’interroger sur les mythes publicitaires. Avec une nuance toutefois. Comme nous l’avons vu, par essence, la publicité se doit de raconter des histoires. Jean Baudrillard, dans son ouvrage sur La société de consommation, paru en 1970, souligne ce point important : il ne faut pas reprocher à la publicité de raconter des histoires. Ces dernières sont intrinsèquement liées au message publicitaire. Et plutôt que de parler de « l’empire de la propagande », il choisit de décrire « le règne du pseudo- événement » : “La publicité est (…) le règne du pseudo-événement par excellence. Elle fait de l’objet un événement. En fait, elle le construit comme tel sur la base de l’élimination de ses caractéristiques objectives. Elle le construit comme modèle, comme fait divers spectaculaire. (…) Les publicitaires sont des opérateurs mythiques : ils mettent en scène, affabulent l’objet ou l’événement. Ils le « livrent réinterprété » - à la limite, ils le construisent délibérément. Il faut donc, si l’on veut en juger objectivement, leur appliquer les catégories du mythe : celui-ci n’est ni vrai, ni faux, et la question n’est pas d’y croire ou de n’y pas croire. D’où les faux problèmes sans cesse débattus. (…) Boorstin émet ainsi l’idée qu’il faut disculper les publicitaires, la persuasion et la mystification venant bien moins du manque de scrupules de ceux-ci que de notre plaisir à être trompés : elles procèdent moins de leur désir de séduire que de notre désir d’être séduits. (…) Le problème de la « véracité » de la publicité est à poser ainsi : si les publicitaires « mentaient » vraiment, ils seraient faciles à démasquer - mais ils ne le font pas - et s’ils ne le font pas, ce n’est pas qu’ils soient trop intelligents pour cela - c’est que l’« art publicitaire consiste surtout en l’invention d’exposés persuasifs qui ne soient ni vrais ni faux » (Boorstin). Pour la bonne raison qu’il n’y a plus d’original ni de référentiel réel, et que, comme tous les mythes et paroles magiques, la publicité se fonde sur un autre type de vérification - celui de la selffulfilling prophecy (la parole qui se réalise de par sa profération même)”. Certes. Mais justement, le mythe ne convainc plus. Ces prophéties auto-réalisatrices semblent avoir fait leur temps. Une entreprise ne peut aujourd’hui se contenter d’affirmer qu’elle défend l’environnement. La parole manipulée n’a pas le même impact, en particulier depuis le phénomène de greenwashing. 15
  • 16. b. Le greenwashing Commençons par en donner une définition : le greenwashing en communication corporate désigne la propension d’une marque à afficher une image écologique, pro- environnementale, sans engager une réelle politique en ce sens. « C’est un terme américain, que l’on traduit en français par écoblanchiment », rappelle Jacques-Olivier Barthes, dircom de WWF et porte-parole de l’observatoire indépendant de la publicité (OIP) 17 . Selon lui, faire du greenwashing, au sens large - et en dépassant le simple cadre de la communication corporate - c’est « valoriser les propriétés écologiques d’un produit ou d’un service qui ne sont pas réellement en rapport avec la qualité du produit ou du service. (…) C’est [donc] une forme de publicité mensongère, où l’on grossit la réalité écologique d’une entreprise », précise-t-il. En ce sens, c’est au cœur de notre sujet. Le greenwashing désigne de façon proprement phénoménale la communication dénuée de démonstration probante. Il incarne une certaine forme de propagande verte. Il se trouve à la croisée des chemins entre l’impératif d’implication sociétale d’une entreprise et son inconsistance dans les faits, son incapacité à faire ce qu’elle dit et dire ce qu’elle fait. Dans le rapport gouvernemental sur l’évaluation du greenwashing en France, publié en septembre 2009 18, les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur les 15 698 visuels étudiés sur le premier semestre de cette année avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), 988 utilisent l’argument environnemental. Cinq fois plus que trois ans auparavant. Une explosion dans les opérations de communication de cette préoccupation écologique, qui s’explique aisément, avec la prise de conscience générale des enjeux climatiques. Après une première vague, en effet, dans les années 1990, du marketing vert - “Le Chat machine, sans phosphate” - c’est bien dans la première décennies des années 2000 que ressurgit dans l’univers publicitaire le thème du « plus vert que vert ». Et cette fois, c’est bien sur la communication des entreprises, sur la conscience supposée de celle-ci, que les messages vont porter. Comme le rappelle Aude Charon, de l’autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) 19 : 17 Interview vidéo dans « culture pub », en ligne : http://www.dailymotion.com/video/x8uwwi_le- greenwashing-vue-par-culture-pub_tech - consulté le 6 juin 2010. 18 Et évoqué dans le n°1026 du magazine CB News, publié le 22 septembre 2009, p.10. 19 Même lien que ci-dessus. 16
  • 17. « La deuxième vague a explosé à la fin 2006/début 2007, où l’on a vraiment vu les agences et les annonceurs se positionner de façon importante ». Avec une multiplication par trois des messages utilisant l’argument environnemental, entre les deux rapports de l’ARPP publié en 2006 puis 2007. L’ARPP - anciennement, le bureau de vérification de la publicité (BVP) - épingle dans plusieurs rapports20 les entreprises les plus critiquables en matière d’écoblanchiment. L’industrie automobile est ainsi souvent montrée du doigt, comme le souligne Emmanuelle Grossir et Valéry Pothain, journalistes de CB News21 : “Une fois encore, bilan à l’appui, les constructeurs automobiles restent les professionnels de l’enfumage. « La plupart des manquements venus plomber le bilan de l’ARPP sont le fait des marques automobiles », regrette Pierre Siquier, président du groupe Ligaris et de la commission Société de l’AACC. « De nombreux dérapages ont été enregistrés au niveau des concessionnaires locaux, généralement conseillés par des agences locales, elles-mêmes filiales de grands groupes (ce qui n’est pas une bonne nouvelle) (…)». Les journalistes poursuivent en citant plusieurs exemples : à commencer par Renault et son agence Publicis, dans sa campagne Renault Eco2 de septembre 2008, « qui nous expliquaient que rouler en Renault serait bientôt aussi propre et aussi rapide que le bateau d’Helen McArthur, et pourrait même transformer une route en prairie ». On se souvient en effet de cette campagne de communication. Sur l’image, le voilier parcourant l’océan. En voix off, celle d’Helen McArthur : « Naviguer, c’est ne faire qu’un avec la nature. C’est la parcourir sans laisser de traces ». Reprise par une autre voix, cette fois masculine : « Laisser moins de traces, c’est l’engagement de Renault Eco2 ». 20 Voir sur le site de l’ARPP les rapports de recommandations 2006, 2007 et 2008. 21 Dans le n°1026 du magazine CB News, publié le 22 septembre 2009, p.10. 17
  • 18. « En juillet dernier, Audi et son agence DDB (…) ont fait aussi bien, voire mieux, en tentant de nous faire admettre qu’acheter son 4x4, l’Audi Q7, pouvait devenir un geste de santé publique. Sachez-le, donc, rien ne vaut 326 g de CO2/km “fraîchement” sortis du pot d’un Q7 - troquant sa couleur noire statutaire pour un blanc clinique - pour soigner une bronchiolite ou une hyperactivité des bronches », s’amusent les journalistes. Les entreprises les moins environnementales sont celles qui - en toute logique - cherchent par tous les moyens à redorer leur blason, en passant un coup de pinceau pour colorer d’un vert pimpant leur façade peu écologique. Quelques visuels permettent de s’en rendre compte, assez vite 22 : Analyse détaillée sur le site « marketing-étudiant ». En ligne. Consulté le 29 mai 2010. 22 http://www.marketing-etudiant.fr/actualites/communication-entreprise-environnement.php 18
  • 19. 19
  • 20. Comme si acheter une voiture constituait un acte pour « protéger la planète » - comme le laisse entendre ce dernier slogan (campagne dénoncée par l’ARPP dans un rapport de manquements). Ces exemples montrent à quel point la preuve n’a pas toujours été un impératif de communication corporate. Les annonceurs et leurs agences s’en sont souvent passé. D’autant qu’il a fallu plusieurs années pour que la confiance du public s’effrite, et que les messages sans fondement soient critiqués. En mai 2007, une étude conjointement menée par IPSOS et par l’autorité de régulation professionnelle de la publicité (alors BVP), baptisée « Publicité et protection de l’environnement : les perceptions et les attentes des Français », indiquait que plus d’un Français sur deux, lorsqu’il voyait une publicité utilisant l’argument environnemental, considérait que le message qui lui était présenté devait être “probablement vrai” - contre 9% “probablement faux” et 3% “certainement faux”. Aussi peu probantes qu’elles étaient, les opérations de communication portaient leurs fruits. La situation s’est néanmoins inversée, progressivement. Une enquête d’Ethicity, de février 2009, montre que la confiance du public envers les entreprises sur la question du développement durable s’est effondrée, passant de plus de 60% en 2004 à 35% en 2009 23. Une preuve, pour le coup, que le public est en quête de vérité, mais aussi de responsabilité et de sincérité. Les enjeux du développement durable étant tels qu’il devient impardonnable d’en jouer. 23 Cité dans le magazine CB news n°1026, du 22 septembre 2009, p.11. 20
  • 21. “Un annonceur sait bien que sur ce sujet là encore plus que sur d’autres, s’il se met à raconter n’importe quoi, très vite il va être rattrapé par la société civile. Ce n’est pas un sujet anodin. (…) Il y a une vraie maturité qui commence à émerger, il y a vraiment une prise de conscience du fait que l’on ne peut pas utiliser aussi fortement l’emphase ou se cacher derrière la créativité publicitaire pour dire tout et n’importe quoi”. 24 Nombreuses sont d’ailleurs les organisations citoyennes et institutionnelles qui ont mis en place des structures de surveillance, et qui n’ont pas hésité à dénoncer les campagnes les plus cyniques des acteurs professionnels les moins responsables. On peut citer par exemple le site Internet greenwashingindex.com, qui propose aux citoyens de voter pour les opérations de communication les plus « authentiques » et celles, au contraire, les plus « offensantes ». Apple est passé de la seconde à la première catégorie en engageant une politique de restructuration, en produisant des appareils plus respectueux de l’environnement, et en démontrant par la preuve cette implication : A noter justement : en effectuant un survol rapide des campagnes les plus favorablement évaluées, il est possible de constater que la plupart d’entre elles produisent un discours probant, fondé sur une démonstration argumentée. Quand les moins bien notées demeurent au contraire dans le domaine de l’incantation. 24 Aude Charon, de l’ARPP : dans l’interview vidéo de « culture pub », en ligne : http:// www.dailymotion.com/video/x8uwwi_le-greenwashing-vue-par-culture-pub_tech - consulté le 6 juin 2010. 21
  • 22. D’autres initiatives, sur Internet, ont dénoncé les procédés de greenwashing. Une vidéo virale met ainsi en scène deux représentants, l’un d’un grand groupe pétrolier, l’autre d’une industrie de plastique. Sous la forme d’une parodie d’un spot publicitaire. Le premier s’adresse aux spectateurs, tout sourire, au beau milieu d’une forêt : “- Alors que le réchauffement climatique devient une réelle cause d’inquiétude, nous tous, dans l’industrie pétrolière, faisons notre possible pour montrer à quel point nous tenons à préserver l’environnement. Nombreux parmi nous ont changé leur logo (…). - Et nous, reprend une femme représentant l’industrie du plastique, nous jouons un rôle primordial en ajoutant les mots « entièrement recyclables » sur chacun de nos produits. Où recyclons-nous ? comment recyclons-nous ? que recyclons-nous concrètement ? Nous n’y avons pas encore songé. Mais nous dépensons des millions dans la recherche pour déterminer l’endroit sur nos produits où le logo « recyclable » est le plus visible. - Je porte un pull-over et non un costume, reprend le premier, donc forcément, j’aime la nature. Et puis, regardez où nous nous trouvons (en plein milieu d’une forêt) : n’est-ce pas magnifique ? A présent quand vous penserez à nous, vous garderez cette image en tête. - Nous faisons tout notre possible pour paraître écologiques, mais nous avons besoin de vous… pour croire notre soi-disante préoccupation environnementale, même lorsque nos lobbies s’efforcent de lutter contre les règles mises en place - celles de Kyoto par exemple. - Alors, quand vous entendrez parler des industries pétrolières qui tuent des centaines d’oiseaux dans les marées noires, ou quelque autre désastre que ce soit, tentez de visualiser une biche sautillant gracieusement dans un pré”. 25 Si le public se lasse, et perd confiance - comme nous le verrons plus en détail dans une prochaine partie 26 - c’est aussi que le message publicitaire, et a fortiori lorsqu’il n’est pas fondé sur des faits, doit s’imprimer dans les esprits par la répétition. La profusion publicitaire est probablement l’une des causes de la défiance du public pour les campagnes de communication. 25 Vidéo sur Youtube : http://www.youtube.com/watch?v=YLIbIdgrIaE&feature=related. En ligne. Consulté le 8 mai 2010. 26 Voir la partie de ce mémoire : « Les Français et la pub : le trop-plein », p.24. 22
  • 23. c. Les limites de la répétition publicitaire Dans son ouvrage On achète bien les cerveaux 27, sur la publicité et les médias, Marie Bénilde écrit : “Les grandes marques ont fait de la récupération des grands courants de société une arme de destruction massive des griefs qui pourraient leur être opposés. Elles se contentent bien souvent d’appliquer un principe simple de la communication de crise : une tendance hostile cesse d’exister à partir du moment où elle est récupérée. Il faut donc brouiller les repères du consommateur en associant l’image des marques aux éléments susceptibles, précisément, de les fragiliser. (…) Certes, la posture ne fait pas toujours illusion. Mais, martelée à longueur de temps sur les multiples supports de communication, elle finit par s’imposer dans les esprits” Marteler, donc. Voilà l’une des recettes de la communication. Pour mesurer l’impact d’une opération publicitaire, n’utilise-t-on pas l’indice GRP (Gross Rating Point), qui désigne le nombre de contacts pour 100 personnes de la cible : produit de la couverture par la répétition moyenne ? Or, comme le souligne Philippe Breton, dans La parole manipulée 28, « la répétition joue un rôle considérable dans les processus de manipulation ». Celui-ci détaille cette technique de communication : “La répétition crée de toutes pièces, artificiellement, du seul fait de ce mécanisme, un sentiment d’évidence. Ce qui nous paraît étrange et sans fondement la première fois - parce que non argumenté - finit par paraître acceptable, puis normal, au fil des répétitions. Cette technique crée l’impression que ce qui est dit et répété a quelque part, très en amont, été argumenté. La répétition fonctionne sur l’oubli que l’on n’a jamais expliqué ce qu’on répète”. La phrase d’Aldous Huxley prenant alors tout son sens : « Soixante-quatre mille répétitions font la vérité ». Répéter ne suffit plus, cependant. Comme nous allons le voir à présent. 27Marie BENILDE, On achète bien les cerveaux. La publicité et les médias, Raisons d’agir, Paris, mai 2008, p.135. 28 Philippe BRETON, La parole manipulée, éditions La Découverte, Paris, 1997, 2000, p.94. 23
  • 24. B. La communication à l’épreuve des faits La communication corporate, destinée à défendre les valeurs de l’entreprise auprès des différentes parties prenantes, des actionnaires, mais aussi des salariés, en interne, et bien sûr du grand public, est de plus en plus souvent mise à l’épreuve ; nous pourrions dire également éprouvée. Chacun des interlocuteurs cherchant à savoir dans quelle mesure le message qui lui est adressé comporte une part de vérité, comme nous avons commencé à le voir précédemment. En particulier en ce qui concerne les questions de responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Nombreux sont désormais les professionnels qui ont pris conscience de cette réalité. A la conférence GRI (Global Reporting Initiative)29, qui s’est tenue cette année à Amsterdam, plusieurs directions ont été indiquées par les responsables : encourager les entreprises à publier d ici à 2015 des rapports précis sur la conduite de changement qu’elles ont lancée ; imposer des standards mondiaux, afin de connaître aussi justement que possible les situations dans lesquelles se trouvent les organisations professionnelles ; poursuivre la politique de mesure et de vérification menée depuis plusieurs années. Selon Hans Wijers, PDG d’AkzoNobel, il est à présent impossible de faire marche-arrière ou de voir se reconstruire un modèle de “business as usual”. D’autant que le public ne se laisse plus duper sur cette question 30. Voilà l’objet de cette partie : comprendre dans quelle mesure la communication est éprouvée, aujourd’hui. Et dans quelle mesure le public a fini par se lasser du flot publicitaire. a. Les Français et la pub : le trop-plein ? (étude de Stratégie - 18 mars 2010) Les chiffres sont là : une majorité de Français se dit désormais plutôt défavorable à la publicité, selon une étude TNS Sofres publiée par le magazine Stratégies 31. Et ce chiffre est en constante augmentation. Plus des trois-quarts des personnes interrogées ont le sentiment que la communication des marques a fortement augmenté, et plus de la moitié jugent que « c’est plutôt une mauvaise chose ». 29 Voir le site du GRI, en ligne. www.globalreporting.org. Consulté le 2 juin 2010. 30Voir sur le site « Les parenthèses de l’Atelier » (http://parentheses.atelier.fr) les articles « à Amsterdam, le futur prend une agréable couleur verte » et « le reporting durable 2.0 ». 31 « Les Français et la pub : le trop-plein », Magazine Stratégies n°1581 du 18 mars 2010, p.8. 24
  • 25. « L’objectif de cette enquête est d’évaluer la perception globale de la communication des entreprises et de son évolution. Le constat est plutôt sombre. La désaffection pour les marques gagne du terrain : 56% des Français interrogés estiment que la marque n’est “pas du tout” ou “plutôt pas” importante lors d’un achat. Ils ont aussi moins de plaisir à découvrir de nouvelles marques ou services et à en parler”, souligne Marie Maudieu 32. L’enquête a été menée du 26 février au 1er mars 2010, sur un échantillon représentatif de la population française de 1008 personnes, âgée de 18 ans et plus. Il s’agit donc d’un indicateur récent, pour le moins révélateur. Attitude globale vis-à-vis de la publicité : “D’une manière générale, que pensez-vous de la publicité ? Y êtes-vous…” plutôt opposé très opposé indifférent sans opinion plutôt favorable très favorable 2 % Sous-total Sous-total « favorable » 28 % « opposé » 33% 31 % 42% (-5 points vs 2007) (+5 points vs 2007) 1 % 14 % 24 % 32 « Les Français et la pub : le trop-plein », Magazine Stratégies n°1581 du 18 mars 2010, p.8. 25
  • 26. Evolution de l’intensité de la communication : “Avez-vous le sentiment qu’au cours des dernières années, la publicité des marques, sous toutes ses formes, a…” beaucoup baissé ni baissé ni augmenté plutôt baissé sans opinion plutôt augmenté beaucoup augmenté 1 % Sous-total 15 % « en baisse » 5% Sous-total 40 % 4 % 2 % « en augmentation» 78% 38 % Il semble que la publicité ennuie les Français. Selon un sondage Ipsos réalisé en septembre 2009, les trois quarts d’entre eux la jugent « envahissante », 67% « ennuyeuse » et 57% « banale »33. En cause ? L’overdose publicitaire. Le trop-plein. La répétition, en somme. Ou, dit autrement, la communication de masse, qui a fait son temps. C’est d’ailleurs ce que souligne Nicolas Bordas34 : “Que l’intensification de la communication soit considérée comme une mauvaise chose résulte, selon moi, d’un excès de publicité. Nous devons le combattre en diminuant le nombre de panneaux publicitaires et les coupures de publicité à la télévision, en évitant l’intrusion publicitaire inadéquate”. Les chances pour que ce sentiment de trop-plein généralisé soit également lié à un déficit en terme de qualité, et de sincérité de la communication, sont grandes. 33 Information traitée dans le magazine Stratégies n°1346. 34 Nicolas BORDAS, L’idée qui tue, Eyrolles, Paris, 2010, p.10. 26
  • 27. L’indigestion vient aussi et peut-être surtout du manque de franchise et de vérité. C’est-à- dire au fond du manque de preuve. Bien entendu, aussi révélateurs que soient ces chiffres, ils méritent quelques nuances. Selon Nicolas Bordas, « tout le monde est à la fois publiphobe et publiphile », et ces études ont le défaut de fonctionner sur le mode déclaratif. « On oblige les gens à se prononcer sur quelques chose qui ne se pose pas en ces termes », regrette-t-il. Il n’empêche : lorsque l’on interroge les Français sur la manière dont ils considèrent la communication aujourd’hui, on relève une appréhension qui fait sens. Certains rétorqueront que la méfiance envers la publicité ne date pas d’hier. Des sondages effectués en France dès 1967 indiquent en effet que plus de 40% des personnes interrogées étaient hostiles à l’introduction de la publicité à la télévision 35. Il semble toutefois que le phénomène se soit accentué ces dernières années. b. La dissonance cognitive des consommateurs La surexposition aux contenus publicitaires - selon le sociologue américain Michael Hakawa, un jeune New-Yorkais de dix-huit ans a dû voir environ 350 000 spots publicitaires à la télévision au cours de son existence 36 - finit par créer un sentiment de vertige auprès du public. Et, cette fois, la raison de ce vertige est moins l’œil que l’abîme : il est impossible, ou, disons, particulièrement difficile, de ne pas regarder. La dissonance finit par habiter les consommateurs. Il s’agit même d’un concept que les professionnels de la communication se sont ré-approprié. La dissonance cognitive désigne un état d’inconfort ressenti par le consommateur. « Il y a dissonance lorsque le consommateur reçoit des informations discordantes qui vont le déranger, perturber ses opinions et ses attitudes », expliquent Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast, renvoyant aux théories de Festinger 37. La dissonance cognitive est en fait l’état d’anxiété dans lequel se trouve le consommateur qui n’est pas sûr de son choix. Il a déjà effectué son « acte d’achat », il possède donc le produit convoité, mais se met soudainement à douter : « Ai-je bien fait ? Avais-je vraiment besoin d’acheter tel produit ? Est-il suffisamment solide et de bonne qualité ? Etc. ». Le consommateur est dubitatif. Il regrette presque déjà son achat. 35Chiffres rappelés par Ignacio RAMONET, dans son ouvrage Propagandes silencieuses, Galilée, Paris, 2000, p.42. 36 Eulalio FERRER, « La crisis de la publicidad », Communicacion, n°36, Barcelone, 1978, p.58. 37 A theory of cognitive dissonance, Harper and Row New York, 1957. 27
  • 28. Une des formes de la communication consiste donc à prendre en compte cette dissonance, et à rassurer le client/le consommateur après qu'il a acheté le produit. Il s'agit d'une communication a posteriori qui n'est pas négligeable. Cet état d’inconfort peut être pris au sens large. L’ « excès de communication » dont parlait Nicolas Bordas amène à penser que les consommateurs ne savent plus à quoi s’en tenir. D’une certaine manière, il y a une perte de sens. Cette perte de sens est peut-être le pire événement possible pour la communication corporate, dont l’objectif ultime consiste justement à donner un sens à la marque, et du sens à l’action de l’entreprise. D’autant que si tout se vaut, d’une certaine manière, plus rien ne se vaut. Les consommateurs troublés sont perdus, et ne savent plus à quel saint se vouer. Telle entreprise affirme haut et fort qu’elle défend la planète, telle autre que la diversité est une valeur fondamentale de son action… mais qui croire ? Et sur quels critères ? C’est ainsi que le doute fait place à la méfiance, qui elle-même se mue vite en défiance. C. Le scepticisme de la foule - quand le public doute de la véracité des campagnes L’opinion se fait de moins en moins dupe des messages publicitaires. Les consommateurs finissent pas se familiariser avec les méthodes utilisées par les marketeurs, ils connaissent les ficelles, et ne se laissent plus manipuler aussi aisément. C’est ce que Nicolas Riou, fondateur du cabinet Brain Value, constate dans son ouvrage Peur sur la pub 38, où il revient sur le phénomène de rejet de la publicité. D’une certaine manière, à la fin des années 1990 - si tant est qu’il soit possible de dater avec précision des phénomènes de cette nature - nous sommes passés de l’ère du vide à l’ère du soupçon. Le public, en quête de vérité, finit par douter de la véracité du discours que les marques tiennent sur elles-mêmes. 38 Nicolas RIOU, Peur sur la pub, ED Organisation, Paris, 2004. 28
  • 29. a. De l’ère du vide à l’ère du soupçon Dans le domaine de la communication comme dans tous les autres, le public a horreur du vide. L’absence de sens, le néant, fait place à une forme de révolte, qui s’apparente davantage au nihilisme. Pour décrire dans un premier temps ce sentiment de vide, qui est aussi celui de la perte de sens, renforcé - sinon engendré - par un discours publicitaire plus proche de l’incantation que de la démonstration, il faut lire l’ouvrage de Gilles Lipovetsky, L’ère du vide, essai sur l’individualisme contemporain, paru en 1983. Dont voici un extrait 39 : “L’opposition du sens et du non-sens n’est plus déchirante et perd de sa radicalité devant la frivolité ou la futilité de la mode, des loisirs, de la publicité. A l’ère du spectaculaire, les antinomies dures, celles du vrai et du faux, du beau et du laid, du réel et de l’illusion, du sens et du non-sens s’estompent, les antagonismes deviennent “flottants”, on commence à comprendre, n’en déplaise à nos métaphysiciens et antimétaphysiciens, qu’il est désormais possible de vivre sans but ni sens, en séquence-flash, et cela est nouveau. (…) Le besoin de sens lui-même a été balayé et l’existence indifférente au sens peut se déployer sans pathétique ni abîme, sans aspiration à de nouvelles tables de valeurs”. Il faut noter que cette « ère du vide » fut aussi celle de la montée en puissance du divertissement. Ce que l’on nomme aujourd’hui l’ « advertainment », soit un savant mélange entre l’ « advertising » (la publicité) et l’« entertainment » (le divertissement). Plusieurs études relèvent la place prise depuis plusieurs décennies par l’humour dans les opérations de communication. A défaut de convaincre par la preuve, la publicité cherche ainsi à convaincre par le divertissement. Il faut rappeler l’étymologie de ce mot : divertir, au sens latin du terme 40, signifie « détourner, écarter ». Détourner pour éviter de démontrer. Divertir pour éviter de voir se développer, après la lassitude et l’ennui, un sentiment de défiance, voire de révolte. 39Gilles LIPOVETSKY, L’ère du vide, Essais sur l’individualisme contemporain, Gallimard, Paris, 1983, p. 212. 40 « Divertere » - sens que reprendra Blaise Pascal dans ses Pensées. 29
  • 30. L’ère du vide ne comprend même pas l’idée de révolte. Nathalie Sarraute, dans son ouvrage littéraire 41 sur ce qu’elle nomme justement L’ère du soupçon, décrit en un sens un sentiment de vertige similaire, que l’on peut très bien accoler à la dissonance de l’opinion, face à la profusion publicitaire : “On songerait presque, tant semble profond cet état d’anesthésie, à ces malades de Janet qui souffrent de ce qu’il a nommé “les sentiments du vide” et qui vont répétant : “tous mes sentiments ont disparu… Ma tête est vide… Mon cœur est vide… Les personnes comme les choses, tout m’est indifférent… Je peux faire tous les actes mais en les faisant je n’ai plus ni joie ni peine… Rien ne me tente, rien ne me dégoûte… Je suis une statue vivante, qu’il m’arrive n’importe quoi, il m’est impossible d’avoir pour rien une sensation ou un sentiment…” Un tel état ne peut être que passager. Et à l’aube des années 2000 s’est cristallisé le sentiment de lassitude lié à l’absence de sens dans la communication des marques. b. Les mouvements publiphobes « Omniprésente, multiforme, régénérée dans son discours par les nouveaux médias, la publicité a fini par susciter des réactions d’hostilité », souligne Marie Bénilde 42. Le public se réveille. Plusieurs mouvements se font remarquer par l’opinion. Le mouvement des « antipubs » se fait connaître, à l’hiver 2003, en taguant et déchirant les affiches publicitaires du métro parisien. Sa notoriété tient aussi de la réaction de la RATP et de Métrobus qui assignent en justice les responsables de ces « actes de résistance à la publicité ». Elles réclament à une soixantaine d’entre eux la somme de 1 million d’euros en dommages et intérêts. “Qu’ont donc de si dangereux ces détracteurs de la société de consommation pour mériter pareilles poursuites ? Seraient-ce leurs actions dans les stations de métro ? En novembre 2003, elles ont mobilisé jusqu’à un millier de personnes dans toute la France. Bilan : 217 interpellations. Seraient-ce leur fameux graffitis : « Puber tue », « Au lieu de dé-penser, 41L’ouvrage en lui-même porte surtout sur une critique littéraire : Nathalie SARRAUTE, L’ère du Soupçon, Gallimard, Paris, 1956, p.23. 42 Marie BENILDE, On achète bien les cerveaux. La publicité et les médias, Raisons d’agir, Paris, mai 2008, p.123. 30
  • 31. pensez », ou « La pub nuit à votre santé », qui ont endommagé le matériel d’affichage de la RATP et provoqué un manque à gagner pour sa régie publicitaire Métrobus ? Si Publicis et l’entreprise publique décident de frapper un grand coup, c’est que le discours antipub, inspiré par la revue Casseurs de pub, fait alors tache d’huile en France. Des militants de l’association Résistance à l’agression publicitaire (RAP), des intermittents du spectacle, des étudiants ou de simples citoyens trouvent un écho médiatique par leurs actions de « recouvrement publicitaire », organisées du 17 octobre au 19 décembre 2003”. 43 La condamnation de ces militants publiphobes sera relativement modérée, mais, explique Marie Bénilde, « l’objectif essentiel est atteint : la condamnation interrompt la vague de « barbouillage » des panneaux dans le métro ». Mais elle ne reste pas sans conséquences. De l’aveu d’un dirigeant de Métrobus, « les campagnes antipub provoquent en 2005 une réorientation des annonceurs vers la presse écrite et la télévision »44. D’autant que plusieurs actions suivront - on se souvient notamment de l’intrusion de militants publiphobes dans les locaux du BVP. Plusieurs actions, et plusieurs procès, qui auront l’avantage, une nouvelle fois, de médiatiser ces mouvements, et de placer au cœur du débat public la question de la publicité. Comme l’expliquent Les Désobéissants, dans l’ouvrage Désobéir à la Pub : “Ces procès permettent pour la première fois, régulièrement, de mettre en question la place de la publicité, en donnant l’occasion aux journalistes d’évoquer une question délicate pour eux, et en offrant à des élus la possibilité de s’exprimer à son sujet. Au procès de Lyon par exemple, la vice- présidente du conseil régional, Hélène Blanchard, vient témoigner de la difficulté pour les élus de lutter contre les panneaux illégaux”. Plusieurs études viennent confirmer la montée en puissance des mouvements publiphobes. Une enquête de l’institut IPSOS pour le magazine CB News en 2007 confirme l’hostilité accrue des Français pour la publicité : un tiers d’entre eux se déclarant même 43 Marie BENILDE, On achète bien les cerveaux. La publicité et les médias, Raisons d’agir, Paris, mai 2008, p.124. 44 Les Désobéissants, Désobéir à la pub, éditions Le passager clandestin, Le Pré-Saint-Gervais, 2009, p. 23. 31
  • 32. directement « publiphobes ». Deux ans plus tard, en juin 2009, une étude d’Ethicity et d’Aegis Media Expert relève à son tour la défiance de l’opinion vis-à-vis de la communication des marques. Etude plus intéressante, en ce qui nous concerne, car elle s’intéresse en particulier à la communication corporate, et à la relation nouée entre le public et les entreprises, « à l’heure de la consommation responsable et du développement durable ». Seuls 37% des Français interrogés affirment dans cette enquête « faire confiance aux entreprises », contre plus de 60% en 2004. « L'ère de la communication qui survend, qui se raconte des histoires et en raconte aux clients est terminée. On assiste à un recentrage sur l'essentiel, à un besoin de transparence, d'information, de dialogue et d'échange », commente Elizabeth Pastore-Reiss, directrice d'Ethicity 45. Face aux groupes anti-pub, mais surtout face à la défiance croissante de la société, la communication doit évoluer. Les formules comme « Castorama, partenaire du bonheur » ne peuvent suffire seules. Ce que reconnaît d’ailleurs le premier intéressé, à savoir Hugues Cassegrain, directement de la communication de l’enseigne : « une relation affective existe déjà entre Castorama et son public. Il nous incombe toutefois d'en apporter en permanence des preuves à nos clients. C'est un défi pour nous, même si nous disposons de bons atouts ».46 45 « Les Français à l'heure de la consommation responsable et du développement durable », article du magazine Stratégies datant du 25 juin 2009. En ligne. http://www.strategies.fr/etudes-tendances/tendances/119042W/les-francais-a-l-heure-de-la- consommation-responsable-et-du-developpement-durable.html. Consulté le 18 avril 2010. 46Article en ligne : http://www.lsa-conso.fr/pourquoi-castorama-change-de-slogan,42671. Consulté le 12 mai 2010. 32
  • 33. II. Preuves à l’appui L’analyse de la signature d’une marque donne une première idée du sens qu’elle entend donner à son action. Très sommairement, cela permet de repérer des tendances, les marques cherchant tantôt à renforcer l’affect, tantôt à défendre des valeurs sociétales ou humaines, tantôt à souligner l’emprise qu’elles ont sur le réel. Delphine Masson, journaliste à Stratégies, souligne qu’en 2009, malgré la crise, de nombreuses marques se sont dotées d’une nouvelles signature corporate. Celles-ci sont, selon la journaliste, « moins péremptoires, plus responsables, en quête d’un nouveau modèle à inventer, en empathie avec les différents publics de l’entreprise…», et de conclure : « les signatures corporate s’adaptent à l’air du temps ». « Les signatures sont devenues nettement moins péremptoires », confirme Caroline Vallas-Coupé, vice-présidente du groupe de communication corporate Ligaris47. « La grandiloquence est bannie au profit de formules délibérément simples, qui renvoient à un bénéfice partagé ». Le terme de la responsabilité s’intègre à nombre de signatures : Cetelem, et le « crédit responsable », Mercedes-Benz, dont « le luxe devient responsable », le Crédit agricole, qui promeut « une relation responsable pour l’Aquitaine », Assurances Generali, pour qui « être responsable, c'est penser à demain », Mc Donald’s, « responsable, avant tout »48, ou encore la Sécurité routière, qui nous avertit que nous sommes « tous responsables »49. Mais être responsable aujourd’hui, précise la journaliste, « c’est aussi être particulièrement vigilant et conscient que le monde a changé. Plusieurs entreprises, dont Total, BMW et Gaz de France, ont dû modifier leurs signatures sous la pression de la société civile, du gouvernement ou d’un nouveau système d’autorégulation professionnelle renforçant le contrôle des messages publicitaires. Dernier cas en date, Areva a délaissé, contraint et forcé, son « énergie au sens propre », signature choisie en 2007. Ainsi, l’air du temps est à la responsabilisation du message corporate, et à la prise en compte d’un nouvel impératif : asseoir le discours de communication sur une action concrète, que l’on promeut ensuite par une démonstration probante. Bref : la communication corporate, aujourd’hui, doit convaincre preuves à l’appui. 47 « Mille signatures nouvelles en 2009 », dans le n°1569 du magazine Stratégies, 10 décembre 2009. p.12. 48 Voir annexes : « Mc Donald’s, responsable avant tout ». 49 « Mille signatures nouvelles en 2009 », dans le n°1569 du magazine Stratégies, 10 décembre 2009. p.13. 33
  • 34. A. De la nécessité de fonder la communication sur une action Il est clair, aujourd'hui, que le public consomme autant les valeurs de l'entreprise que ses produits. Cela change la donne et justifie le budget alloué aux campagnes de communication corporate - l'un des plus conséquents selon le site e-marketing. Mais la communication corporate doit désormais se fonder sur des faits, elle ne peut se suffire à elle-même. Cela ne signifie pas, bien sûr, qu’elle doit se limiter à énoncer une liste d’actions entreprises, en délaissant totalement les valeurs, la créativité, le récit d’un mythe. L’impératif de communication corporate dont nous parlons consiste au contraire à renforcer les valeurs de l’entreprise, à ouvrir tout un champ de créativité, et à rendre le mythe de la marque plus consistant. En fondant la communication sur une action, on la fortifie. L’adage latin : « contre un fait, il n’est pas d’argument possible »50 s’applique tout à fait à notre sujet. A l’heure de la responsabilisation de la société civile et de la transparence, notamment liées à l’ère numérique, les entreprises cherchent à trouver un autre moyen de parler avec leurs publics. Et redonner un sens à leur communication. a. Le sens de la communication corporate Selon Publicis Consultants51, la communication corporate permet de « définir, en amont, le projet d'entreprise ou la carte d'identité de la marque, qui serviront de socle à l'ensemble des communications ». On parle également d’ADN de la marque. La communication corporate donne du sens, et un sens à l’entreprise. Elle indique un horizon. En interne, elle doit convaincre les salariés que son action rime à quelque chose. Qu’ils ont un rôle à jouer. Pour les partenaires économiques et les actionnaires, elle doit savoir se distinguer, démontrer ce qu’elle vaut. Pour le public, elle doit apparaître responsable et prouver qu’elle sait s’adresser à ses clients, qu’elle comprend leur préoccupations, et qu’elle tient compte de leur avis. « Auchan a créé le discount responsable parce qu’Elsa veut réduire ses déchets, mais pas ses achats ». « En les mettant en relation avec des professionnels qualifiés, nous avons permis aux Lombard de rénover leur maison sans essuyer les plâtres » (EDF, Bleu ciel). « Partageons nos idées pour protéger l’environnement - vous, nous, et la planète » (Casino Avenir). Etc. L’impératif de la preuve a un sens, comme nous l’avons vu, compte tenu du scepticisme des consommateurs. Les trois quarts d’entre eux (74%) « demandent plus d’information et de preuves sur l’impact environnemental des produits achetés »52 . En 50 L’adage latin est le suivant : « contra factum, non datur argumentum ». 51 Sur le site de Publicis Consultants. En ligne. www.publicis-consultants.fr Consulté le 12 décembre 2009. 52 Information donnée dans le n° 1588 du magazine Stratégies, du 6 juin 2010, p.16. 34
  • 35. clair, le public attend à présent que le discours des marques soit plus engageant. Ce que confirme Pascal Tanchoux, directeur de la communication de Kraft Foods53 : “Internet a vraiment changé la donne. Il suffit désormais qu’une personne dise du mal de votre produit, et qu’elle ait une crédibilité et une reconnaissance suffisantes de la part de ses pairs, pour qu’une problématique s’enclenche et se transforme en crise avec une extraordinaire rapidité… L’entreprise a donc tout intérêt à jouer la carte de la transparence. Ce qui l’oblige, plus que jamais, à donner des preuves de ce qu’elle avance, à communiquer sur des faits incontestables, des résultats chiffrés. (…) Si les risques sont plus élevés, les bénéfices de la transparence le sont tout autant. Une entreprise qui engage le dialogue sur le Web avec ses consommateurs, avec ses parties prenantes, peut trouver des sources d’idées, d’intérêt et d’innovation qu’elle n’aurait pas eues en utilisant des canaux de communication plus classiques. (…) Autrefois, les entreprises étaient dans l’autodéclaration, l’autocélébration. Leur communication consistait à dire : regardez comme nous sommes forts, comme nos produits sont extraordinaires ! L’entreprise était autocentrée. La responsabilité sociétale l’oblige à s’ouvrir sur le monde et à passer d’une communication incantatoire à un discours de la preuve et du résultat inscrit dans la durée » Les annonceurs ont ainsi tout intérêt à jouer la carte de la transparence, de la preuve et du résultat. La puissance d’Internet renforce encore cet impératif. « L’impact des réseaux sociaux sur les politiques mises en place par les entreprises est réel » confirme Ahmed Galipeau, de l’agence de communication AGC 54. Selon le consultant, le consommateur a aujourd’hui beaucoup plus de pouvoir. Et cela doit encourager les entreprises à investir les réseaux sociaux pour défendre leur position, et leurs projets, face aux éventuelles critiques de leurs détracteurs, actifs notamment sur la Toile 55. D’où l’importance du community management, avec des représentants de l’entreprise désignés pour engager le dialogue avec les internautes, apporter des précisions, et démentir les rumeurs. Sur Internet, tout va beaucoup plus vite. Et il est beaucoup plus difficile de passer en force. Ou de tenter d’enfreindre certaines règles. Sur le site www.joelapompe.net , par exemple, les opérations de communication qui s’inspirent grandement de campagnes passées - parfois mises en place par des entreprises 53 « De l’incantation à la preuve », n°1592 du magazine Stratégies du 3 juin 2010, p.34. 54 Article de l’Atelier. En ligne : http://www.atelier.fr/reseaux/10/18022010/reseaux-sociaux-regles- entreprises-impact-client-compagnie-aerienne--39394;39485.html Consulté le 6 mai 2010. 55 Ibid. 35
  • 36. concurrentes - sont dénoncées : le site présentant d’un côté la communication dite « originale », et de l’autre la « moins originale » 56. THE ORIGINAL? LESS ORIGINAL SNCB “One day you’ll forget about the road” – Decathlon Sport Stores “Make room for hiking” – 2003 2010 Source : New York Festival Source : Adsoftheworld Agency : Grey Brussels (Belgium) Agency : Young & Rubicam Paris (France) L’intérêt de ce site, outre le fait qu’il permet de se figurer l’ampleur du plagiat en communication - avec quelques cas particulièrement grossiers, comme ci-dessus -, est qu’il donne une idée de ce que les internautes peuvent faire, en quelques clics ; Internet impose aux marques de peser leur message, avant de le diffuser amplement. D’autant que le contexte est aussi celui de la responsabilisation des individus, avec l’émergence d’une figure longtemps oubliée : celle du citoyen. Paradoxalement peut-être, la publicité a responsabilisé les consommateurs. Comme l’explique Gilles Lipovetsky 57 : « La consommation astreint l’individu à se prendre en charge, elle le responsabilise, elle est un système de participation inéluctable ». Et d’ajouter : « Quelle que soit sa standardisation, l’ère de la consommation s’est révélée et continue de se révéler un agent de personnalisation (…) en contraignant les individus à choisir et changer les éléments de leur mode de vie »58. 56 Blog en ligne www.joelapompe.net, consulté le 11 juin 2010. 57Gilles LIPOVETSKY, L’ère du vide, Essais sur l’individualisme contemporain, Gallimard, Paris, 1983, p. 210. 58 Ibid. 36
  • 37. Ainsi, d’une certaine manière, si l’opinion tient aujourd’hui à ce que la publicité soit - ou devienne - responsable, c’est qu’elle-même a été responsabilisée par la communication de masse. Si le citoyen ou le consommateur attend des entreprises qu’elles communiquent sur le sens qu’elles entendent donner à leur action, c’est qu’il est devenu expert et décrypte en peu de temps le message qui lui est adressé. Parmi les 7 000 messages auxquels il est exposé tous les jours, il repère désormais très rapidement les marques qui se contentent de prôner des valeurs sans fondement. A l’inverse, pour défendre son image, la SNCF a lancé une opération de communication corporate basée sur des chiffres 59 . Les visuels entendent mettre fin aux préjugés : « Cela peut surprendre, mais 89% de nos trains sont à l'heure » ; « Chaque jour, plus de 9000 trains arrivent à l'heure ». Le but ? Contrecarrer les idées reçues, en étant clair, concret, et en visant juste. D’une certaine manière, il s’agit cette fois non pas de construire une mythologie publicitaire, mais bien de détruire un mythe populaire : « les trains arrivent toujours en retard ». La communication corporate s'affirme ainsi pour défendre l'image-même de l'entreprise. Et doit présenter les programmes concerts mis en place au préalable - et dont on commence à récolter les fruits. Selon Pascal Tanchoux, « il faut d’abord faire et ensuite faire savoir », quand , par le passé, « l’entreprise avait parfois tendance à faire savoir, sans forcément faire » 60. Mais qu’entend-on précisément par « programmes concrets » ? Quelles actions l’entreprise peut-elle mettre en place pour renouer avec les problématiques sociétales, marquer les esprits, et s’affirmer comme un acteur clé sur un ou plusieurs sujets sensibles, comme la responsabilité sociale, la question de la diversité, ou encore les enjeux environnementaux ? Quel peut être son rôle, comment l’encadrer ? Voilà autant de questions que les marques se sont posées. Afin de se positionner sur l’échiquier sociétal, et de démontrer qu’elles entreprenaient quelque chose de concret, les entreprises ont développé des logiques de partenariats. C’est ce point que nous allons aborder à présent. 59 Opération de communication corporate pilotée par l’agence TBWA/Paris. 60 « De l’incantation à la preuve », n°1592 du magazine Stratégies du 3 juin 2010, p.34. 37
  • 38. b. Les logiques de partenariats Plusieurs possibilités s’offrent à une entreprise qui cherche à traduire dans les faits les valeurs qu’elle prône. Pour sortir du cadre étroit qui correspond à son corps de métier, et ainsi étendre son action, pour toucher de nouveaux publics, les professionnels ont intérêt à nouer des partenariats entre eux, à partager un bénéfice en s’associant autour d’un projet ambitieux. La condition étant bien évidemment qu’ils doivent veiller à la cohérence du programme organisé ou soutenu, en fonction de l’ADN de la marque - dont nous avons déjà parlé - et de l’image qu’ils entendent donner par cette action. Si en Grande-Bretagne, par exemple, les entreprises ont intégré ces logiques depuis plusieurs années - 90 des 100 premières sociétés anglaises déclarent un ou plusieurs partenariats avec des associations dans leurs documents de communication institutionnelle 61 - la situation est loin d’être équivalente en France. Selon l’observatoire WWO/Manifeste des relations ONG-Entreprises, seules 48% des entreprises de l’indice boursier SBF 120 en font de même. « Et ce ratio s’effondre littéralement lorsque l’on descend dans les catégories des moyennes et petites entreprises », précise Muriel Jaouën 62. Qui poursuit : “Pourtant, face aux enjeux sociétaux et à leur poids dans la conscience collective (et mondialisée), les entreprises n’ont d’autres choix que de se rapprocher de la société civile, notamment du monde des associations et des ONG, qui représentent aujourd’hui un pouvoir à part entière, mais aussi une influence perçue comme très positive. Pour le monde économique, il y a là un enjeu majeur de crédibilité. Certaines sociétés ont mis en place de véritables stratégies internationales de relations avec les ONG. Sodexo peut ainsi se vanter d’avoir mis en œuvre le programme « Stop Hunger » dans ses principaux pays d’implantation. D’autres ont réussi à donner à leurs partenariats une forte visibilité comme Lafarge et le World Wildlife Fund, Carrefour et la Fédération internationale des droits de l’homme. Air France parraine à travers sa fondation des programmes de développement mis en place par des ONG. Elle aide notamment Ecpat (réseau pour l’éradication de la prostitution enfantine) en finançant et diffusant des actions de communication (spot publicitaire, affichage) pour lutter contre le tourisme sexuel impliquant des enfants. Le rapprochement avec le tissu associatif peut également doubler l’approche institutionnelle de démarches plus opérationnelles. C’est l’option retenue par Toyota, qui a signé au niveau corporate de grands partenariats avec des organisations humanitaires tout en garantissant à 61 Magazine Stratégies, n°1569 du 10 décembre 2009, pp. 37-38. 62 Journaliste Freelance - Magazine Stratégies, n°1569 du 10 décembre 2009, p. 37. 38
  • 39. chaque filiale son autonomie et la liberté de choisir ses partenaires, pour mieux répondre à des besoins d’ancrage locaux”. Nous reviendrons plus en avant sur cette question de l’autonomie, essentielle pour la légitimité de l’action. Nicolas Bordas, dans le chapitre « L’idée à l’épreuve de la preuve » de son ouvrage L’idée qui tue63, souligne l’importance de la légitimité des marques. Il explique dans quelle mesure la preuve permet de faire le lien entre la communication corporate et le marketing. Pour qu’un fabricant reconnu de briquets puisse vendre des stylos, « il faut qu’il le légitime. Qu’il dise, par exemple : “je suis le raffinement, vous allez aimer mes stylos aussi raffinés que mes briquets”. Il doit ainsi préempter une valeur crédible par rapport à son métier de base pour s’ouvrir de nouveaux territoires de produits », précise-t-il. Ainsi, la communication corporate délimite le champ de la communication marketing. Le spécialiste cite ensuite Bic, qui a su exploiter « sa valeur de simplicité absolue, du stylo au briquet en passant par le rasoir, jusqu’à aujourd’hui le téléphone portable » 64. L’un des moyens de développer des programmes d’actions consiste également à soutenir - de façon logistique ou financière - un événement, un projet, une organisation. Prouver que l’on défend concrètement des valeurs légitimes, en investissant dans des projets cohérents. Ce soutien peut prendre la forme d’une initiative de mécénat, ou de parrainage (sponsoring). Dans le premier cas, il s’agit de soutenir financièrement ou matériellement une entreprise, une organisation, ou un particulier, dans le cadre d’une activité d’intérêt général. Et ce, sans contrepartie importante. En effet, l’arrêté du 6 janvier 1989, « relatif à la terminologie économique et financière », précise qu’il ne peut y avoir de contrepartie directe de la part du bénéficiaire.65 « Le mécénat est l'ensemble des concours consentis par une initiative privée en faveur de domaines d'intérêt général s'étendant aux champs de la culture, de la solidarité, de l'environnement, de la recherche et du sport » 66. Bien entendu, le mécénat est un moyen pour l’entreprise de tirer un profit en terme d’image, et constitue un élément de sa stratégie. « C'est une façon pour elle d'affirmer son intérêt pour son environnement culturel et social et d'apparaître là où le public ne l'attend 63 Nicolas BORDAS, L’idée qui tue, Eyrolles, Paris, 2010, p.109. 64 « Bic et Orange vont sortir un portable “prêt à l’emploi”», NouvelObs.com, 12 juillet 2008. 65Site de l’Admical en ligne : http://www.admical.org/default.asp?contentid=55. Consulté le 8 mai 2010. 66 Ibid. 39
  • 40. pas »67. Toute initiative de ce type passe par une réflexion approfondie de l'entreprise sur son identité, sur son ADN - pour reprendre une nouvelle fois ce terme. En France, près de 30 000 entreprises (23%) de plus de vingt salariés mènent des actions de mécénats. Et l’investissement global correspond à 2,5 milliards d’euros par an 68. A noter : selon l’Admical, l’Association pour le développement du mécénat industriel et commercial, près de 90% des entreprises françaises se contentent encore d’un investissement financier. Le parrainage, ou sponsoring, suit une logique différente. Il s’agit également d’un soutien matériel, mais la notion d’investissement, et surtout de retour sur investissement, est davantage mise en avant. L’idée est de retirer un bénéfice direct de cette implication. Les actions de sponsoring visent à persuader les publics assistant à un événement qu’un lien existe entre celui-ci et l’entreprise communicante. Là encore, l’objectif est de récolter des retombées valorisantes en termes d’image. Mais la notion d’intérêt général est moins privilégiée, et le bénéfice est pleinement assumé. 4 milliards d’euros sont investis chaque année en France pour de tels programmes de parrainage. Cela concerne près de 1 400 marques françaises - qui investissent principalement dans des événements sportifs. Tableau récapitulatif de la différence entre mécénat et parrainage (source : espace culture)67 mécénat parrainage Définition Soutien Soutien Sans contrepartie directe Avec contrepartie Déduction fiscale pour Oui Non l’entreprise Sous forme d’une réduction de Assimilation des dépenses de l’impôt sur les bénéfices parrainage à des dépenses de (loi du 1er août 2003 - 60% de la nature publicitaire. valeur du don dans la limite de 0.5% du CA HT de l’entreprise) Dans les deux cas, l’entreprise cherche à prouver qu’elle transforme dans les faits ce qu’elle affirme dans son discours de communication corporate, en particulier pour répondre aux nouveaux enjeux de la responsabilité sociale. Pour Olivier Tcherniak, le président d’Admical, « ce n’est pas qu’une technique de communication. (…) C’est souvent devenu, pour les entreprises et leurs collaborateurs, une façon de se construire dans une 67Site de l’Admical en ligne : http://www.admical.org/default.asp?contentid=55. Consulté le 8 mai 2010. 40
  • 41. dimension plus humaine ». 69 Ce que confirme Antonella Desneux, directrice de la citoyenneté à SFR : « Nos formules (…) de mécénat de compétences ne sont pas des actions philanthropiques. Mais une façon concrète de signifier notre engagement citoyen et de révéler nos talents en interne et en attirer en externe », explique-t-elle. Une façon « concrète » de « signifier l’engagement » de l’entreprise. La formule pourrait difficilement être plus juste. Pour marquer les esprits, mais aussi se démarquer, et surtout montrer qu’elle investit ses ressources dans une activité concrète, l’entreprise doit trouver une méthode signifiante, c’est-à-dire qui fait sens. Nous retrouvons ici la notion de sens, indissociable de toute réflexion autour de la communication corporate. L’objet de la partie suivante est d’observer l’apparition de cellules hybrides, qui prennent souvent la forme d’une filiale de l’entreprise, mais aussi de fondation - voilà un mot qui fait sens, justement, puisqu’il s’agit bel et bien de fonder l’action de la société, pour mieux défendre son image. 69 Magazine Stratégies, n°1577, 18 février 2010, pp. 38-39. 41
  • 42. B. De nouvelles cellules hybrides, autonomes Pour asseoir leur légitimité, les marques peuvent développer - parallèlement à leur activité - des cellules singulières, dont elles garantissent une certaine autonomie, et qui ont pour rôle de redorer le blason de l’entreprise en mettant en place des programmes d’actions concrets. Parmi elles, les fondations. Dans le « Panorama Ernst & Young des fondations d’entreprise 2010 », Philippe Oddou, co-fondateur et directeur général de l’association “Sport dans la Ville”, détaille cette forme de communication : « un grand nombre de fondations d’entreprise se sont créées ces cinq dernières années. A travers elles, les entreprises donnent plus de sens encore à leur engagement sociétal, s’investissent davantage, (…) et contribuent à rendre leurs collaborateurs fiers d’elles. (…) Des partenaires nous soutiennent désormais à travers leur fondation d’entreprise, et non en direct comme avant, sans pour autant que leur logique de soutien n’évolue », explique-t- il. 70 Juridiquement, la fondation est « l'acte par lequel une ou plusieurs personnes physiques ou morales décident l'affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d'une oeuvre d'intérêt général et à but non lucratif »71. Si, en raison de la conjoncture économique, l’année 2009 marque une rupture dans la progression constante de créations de nouvelles Fondations d’entreprise observée depuis 2004 - 26 fondations d’entreprise ont été créées, contre 50 l’année précédente 72 - ce type de cellules sur lesquelles s’appuient les entreprises pour développer des actions concrètes et ainsi « faire leurs preuves » méritent toute notre attention. Abordons ici un cas pratique : la fondation Bonduelle. a. Etude de cas : la Fondation Bonduelle et la Fondation Total « Une majorité des dirigeants se rejoint pour accorder à la fondation d’entreprise un « brevet d’efficacité » supérieur à celui du mécénat d’entreprise classique. La Fondation d’entreprise apporte de la cohérence et donne plus de force à l’engagement sociétal de l’entreprise, par ses moyens propres et par le sens qu’elle lui confère », indique le cabinet 70 « Panorama Ernst & Young des Fondations d’entreprise 2010 ». Consulté sur le site http://www.cf- fondations.fr/agenda-et-actualite/actualite/panorama-ernst-young-des-fondations-dentreprise- edition-2010 le 6 juin 2010. Il s’agit de la définition de référence d'une fondation, donnée pour la première fois par la loi n°87-571 sur le 71 mécénat du 23 juillet 1987. 72 Ibid. 42
  • 43. de conseil Ernst & Young dans son rapport sur les fondations d’entreprise 2010. De fait, par ce biais, les entreprises peuvent communiquer au sens propre, c’est-à-dire nouer des liens, créer une relation avec la société, et démontrer tout son engagement. Plusieurs cas pratiques sont néanmoins à distinguer. La Fondation Bonduelle, par exemple, cherche véritablement à donner une valeur sociale à une entreprise a priori limitée à un champ d’action étroit, étant spécialisée dans la production et la distribution alimentaire. Comme le reconnaissent les responsables eux-mêmes, sur le site de la Fondation 73 : « Parce qu'il n'est pas si facile de passer à l'action quand il s'agit de manger des légumes, la Fondation Louis Bonduelle vous propose une information nutritionnelle simple et ciblée, soutient des actions sur le terrain visant à remettre le légume à sa juste place dans nos comportements alimentaires, et participe à l'effort de recherche en matière de santé et de nutrition ». Et d’énumérer plusieurs projets en cours, comme « l’aide à la valorisation des légumes distribués aux populations défavorisées et à la création de lieux de partage autour du ‘mieux manger’». Plusieurs missions viennent servir l’image de la marque, en fournissant les preuves de son implication : la Fondation entend informer et sensibiliser le grand public sur le problème de l’obésité, soutenir la recherche et « agir sur le terrain »74 - en développant notamment un partenariat avec le secours populaire. Dans le cas de la Fondation Louis Bonduelle, l’objectif est donc transparent : il s’agit de donner davantage de consistance à la marque, et de renforcer le caractère affectif de la relation entre l’entreprise et les consommateurs. Consommer les produits Bonduelle devient ainsi un acte militant, en un sens : le but étant d’amener le consommateur, au moment de son choix, dans le supermarché, à penser aux actions menées parallèlement pour l’intérêt public. S’adresser au citoyen qui sommeille désormais dans tous consommateurs. Reste donc à communiquer efficacement sur les projets entrepris, en fournissant différentes « preuves communicationnelles »75 sur le site de la Fondation, notamment. « Le but de la Fondation est d'aller plus loin que les discours d'intention générale, d'agir au 73Site de la Fondation : http://www.fondation-louisbonduelle.org/france/fr.html En ligne. Consulté le 23 avril 2010. 74 Ibid. 75 La formule est de Nicolas BORDAS, L’idée qui tue, Eyrolles, Paris, 2010, p.110. 43
  • 44. jour le jour pour que les européens passent de la théorie à la pratique, et adoptent enfin les bons réflexes alimentaires », peut-on y lire. Des chiffres sont également présentés, comme des pièces à conviction communicationnelles, en quelque sorte. Ce, afin de démontrer à quel point même en interne, la société fait des efforts pour le développement durable. « 2007/2008 est la 5ème année consécutive marquée par la réduction des consommations d'eau et énergie : baisse de 9,6 % du ratio de consommation d'énergies motrice et thermique et de 20 % du ratio de consommation d'eau. (…) Bonduelle fait en sorte, dans la mesure du possible, de limiter les transports inter sites. Nous sommes en train de mettre en oeuvre des solutions rail/route qui devraient nous permettre de réduire de 75% les émissions de CO2 sur 25% de ces échanges » 76. On apprend également que « 29 projets ont été soutenus par la Fondation en moins de deux ans » et que cela porte ses fruits, notamment en interne, puisque « 70% des employés se sentent bien dans leur travail » et « 83% sont fiers d’être chez Bonduelle ». C’est bien l’image de l’entreprise qui est en jeu, et la relation affective entre la marque et les différentes parties prenantes - en premier lieu les consommateurs. En servant l’intérêt général, la fondation Louis Bonduelle sert bien évidemment l’intérêt de la marque. Dans le cas de la Fondation Total, l’approche est un peu différente. Le sujet abordé est plus sensible, et l’entreprise doit d’abord et avant tout se positionner de la façon la plus judicieuse possible. D’une certaine façon, la marge de manœuvre n’est pas la même : Total se trouve au cœur des problématiques environnementales - et de développement durable. Toujours sur le site de la Fondation : http://www.fondation-louisbonduelle.org/france/fr.html. Consulté le 76 même jour. 44
  • 45. Et les bénéfices du groupe amènent celui-ci à communiquer sur sa capacité à prendre en compte les parties prenantes, à développer des programmes de solidarité, à mener des actions, une nouvelle fois, responsables. Autrement dit, le rôle de la Fondation Total n’est pas - comme pour la Fondation Louis Bonduelle - de donner plus de consistance à la marque, mais bien de prouver à la société civile que le groupe a pris la mesure de sa responsabilité. Dans les deux cas, c’est bien entendu l’image de l’entreprise qui est en jeu. Mais cette fois, l’objectif est de démontrer par les faits que Total assume son rôle d’acteur sociétal à part entière. En d’autres termes, la société civile et l’émergence des préoccupations liées au développement durable ne laissent pas le choix à l’entreprise, qui doit défendre sa position, en mettant les moyens nécessaires. Une nouvelle fois, le simple discours incantatoire ne convainc plus. Aussi, à la sortie du film « Océan »77, l’entreprise ne s’est pas limitée à afficher son soutien financier pour la production de ce long métrage. Elle a aussi rappelé l’action de sa Fondation : « La Fondation Total soutient depuis 1992 des programmes de préservation et de mise en valeur de la biodiversité marine, comme ceux du Census of Marine Life aux côtés de partenaires réputés comme le Muséum national d'Histoire Naturelle ou l'Ifremer et les meilleurs laboratoires français et étrangers. Il était donc logique que la Fondation Total s'engage auprès de Jacques Perrin pour le film « Océans » afin de sensibiliser l'opinion au grand enjeu que représente la préservation des océans pour les générations futures »78. 77 Documentaire de Jacques PERRIN et Jacques Cluzaud, Sorti en salle le 27 janvier 2010. 78Sur le site de la Fondation Total : http://fondation.total.com En ligne. Consulté le 12 juin 2010. 45