« A l’entrée de la grotte, l’ourson vit un sapin
Qui tentait de pousser là où ne pousse rien.
L’ours l’aima tout de suite car cet arbre si frêle
Témoignait d’un courage vraiment exceptionnel... »
Encore un petit miracle de Noël...
2. Il neigeait et un ours, ou plutôt un ourson,
Vit tomber sur son nez deux ou trois gros flocons.
Il comprit que l’hiver venait de s’annoncer
Et que jusqu’au printemps, il devrait sommeiller.
Alors, il traversa une forêt immense,
Il passa près d’un lac aux noires transparences,
Il gravit un à-pic, emprunta un sentier
Et trouva un abri sous un très grand rocher.
3. A l’entrée de la grotte, l’ourson vit un sapin
Qui tentait de pousser là où ne pousse rien.
L’ours l’aima tout de suite car cet arbre si frêle
Témoignait d’un courage vraiment exceptionnel.
Lorsqu’il ferma les yeux et plongea dans la nuit
Le petit sapin fut la dernière chose qu’il vit.
Les jours passaient. L’hiver avait repris ses droits.
Le vent du nord sifflait, hurlait, soufflait le froid.
La forêt et les arbres s’étaient vêtus de neige,
La glace emprisonnait les ruisseaux dans son piège.
4. Mais l’ourson, lui, dormait. Il rêvait au printemps
Qui ramenait la pluie, les fleurs et le beau temps
Et ces milliers d’oiseaux qui traversent les cieux
Lorsque, soudain, un bruit lui fit ouvrir les yeux.
Il sortit de son trou, scruta le paysage
Mais ne vit rien bouger, excepté les nuages.
Pourtant, de l’horizon et porté par le vent,
Lui parvenait toujours un son doux et troublant.
5. L’ourson se dirigea vers l’étrange musique
Quand il fut arrêté par le cri de supplique
D’un corbeau maigrelet et
l’air bien mal-en-point.
Le petit ours conclut que l’oiseau avait faim.
6. Dans cet endroit perdu, qui viendrait donc nourrir
Ce corbeau solitaire en train de dépérir ?
L’ours comprit que sans lui, l’oiseau allait mourir.
Il lui dit de l’attendre, qu’il allait revenir.
S’enfonçant dans la neige, il retourna chez lui
Puis revint et offrit à l’oiseau amaigri
Un gros morceau de miel doré comme les blés,
Exquis et savoureux comme un matin d’été.
Le corbeau picora ce bienfait des abeilles
Et suivit cet ami envoyé par le ciel.
7. Ils croisèrent une rivière où un élan tentait
D’atteindre quelques herbes noyées sous l’eau gelée.
Il avait besoin d’aide.
L’ours monta sur la glace.
De ses griffes pointues, il brisa la surface.
L’élan se régala et, bientôt rassasié,
Il suivit le corbeau et l’ours sur le sentier.
8. Avec la nuit, le froid se fit vif et tranchant.
C’est alors qu’ils tombèrent sur un nid de faisans.
Alourdie par la neige, une branche avait cassé
Et avait renversé leur nid dans le fossé.
9. Les plaintes des poussins faisaient peine à entendre.
Qu’allaient-ils devenir ?
Il gelait à pierre fendre !
D’un mouvement de tête, l’ourson leur indiqua
De se mettre à la file, de marcher dans ses pas.
Les faisans accoururent et suivirent aussitôt,
Quittant sans un regret leur logis rempli d’eau.
10. C’est ainsi qu’ils parvinrent au bord d’une
clairière
Tout près d’une maison, un genre de
chaumière.
Des glaçons scintillaient, accrochés aux
gouttières.
Curieux, ils observèrent. Enfin, ils
s’approchèrent.
Qu’entendirent-ils alors ? Le mystérieux
bruit !
La musique qui avait tiré l’ours de sa nuit !
11. Ils s’avancèrent encore.
Ils aperçurent quatre enfants
Qui chantaient tous ensemble, imitant leurs parents.
De leurs lèvres s’envolaient des mots si doux, si beaux
Qu’ils sonnaient comme les chants que chantent les
oiseaux.
12. L’ours était fasciné et ses yeux grands ouverts
N’avaient jamais rien vu de si beau sur la Terre.
Ces éclats de lumière, ces étranges couleurs,
Ces visages ravis, rayonnants de bonheur !
Cette lueur venait d’un sapin merveilleux
Et elle illuminait la maison de mille feux !
Les notes de musique se perdirent dans la nuit,
Les parents emmenèrent les quatre enfants au lit.
Dehors, les animaux n’en croyaient pas leurs yeux :
Pourquoi diable ces gens semblaient-ils si joyeux ?
Que signifiait ceci ? La musique, les lumières,
La joie qui habitait cette drôle de tanière ?
13. Pourtant, cette allégresse, ils l’avaient au fond d’eux
Quand ils s’en retournèrent, éblouis et radieux.
L’ourson marchait devant. Dans son profond sillon,
L’élan suivait, portant corbeau et oisillons.
Ils chantaient, échangeaient des croa, des cui-cui
Et leurs voix se mêlaient dans une telle harmonie
Qu’un concerto semblait progresser dans les bois
Tels une chanson d’amour ou un hymne à la joie.
14. L’ours montra son refuge à ses nouveaux amis
Et leur offrit de le partager avec lui,
L’élan et les oiseaux dirent oui sans hésiter,
C’est alors qu’ils virent l’arbre qui poussait à l’entrée,
Ce sapin qui avait décidé de grandir
Là où jamais un arbre n’aurait dû s’épanouir.
Au même instant, la lune apparut dans le ciel,
Eclaira le sapin comme l’eût fait le soleil
Et, au beau milieu de cette nuit de Noël,
Fit jaillir de ses branches des reflets irréels.
15. Ils s’allongèrent alors dans la grotte de pierre
A l’abri des bourrasques, du froid et de l’hiver.
A tous ses invités, l’ours souhaita bonne nuit
Et les oisillons vinrent se blottir contre lui.
16. Ils s’endormirent et l’arbre répandit sa lumière
Tous les jours et les nuits que dura cet hiver.
Il scintillait encore quand le printemps revint
Et qu’avec le soleil ils s’éveillèrent enfin.
L’ourson s’assit alors, empli d’une gaieté
Qu’il garderait en lui année après année.
Il savait en effet que cette douce lueur,
Des amis la portaient à jamais dans leur cœur !
Robert Kinerk
Le premier Noël de l’ours
Paris, Casterman, 2009