Avec la révolution digitale, le gratuit est omniprésent dans notre quotidien. Découvrez comment le modèle Freemium peut vous aider à en tirer parti en accélérant significativement votre croissance, et comment il peut bouleverser votre activité et la relation que vous entretenez avec les utilisateurs de votre service. Le Freemium est un modèle économique exigeant et complexe mais qui a permis à de nombreuses entreprises de franchir une nouvelle étape dans leur développement : pourquoi pas la vôtre ?
La digitalisation des entreprises _ une opportunité pour leur performance éco...
Comment profiter de la revolution du gratuit avec le freemium
1.
Comment tirer parti de la révolution du gratuit avec le
modèle Freemium ?
Thèse Professionnelle
Olivier BIALOBLOCKI
Remise le 11 Octobre 2019
INSTITUT LÉONARD DE VINCI
12, avenue Léonard de Vinci
92 400 Courbevoie
2. .
Remerciements
Je remercie en premier lieu Michèle Brual et Laurent Dumontier, qui m’ont orienté et
encadré pendant toute ma réflexion menant à cette thèse professionnelle, pour tout le
temps consacré, les conseils donnés, les séances de relecture… et leur patience sans
faille.
Je remercie également Thibault de Broissia de la société Uptilab, Tatiana Kijak et
Jacques Rosselin pour leur conseils et pour m’avoir ouvert leur carnet d’adresse et
permis de rencontrer de nombreux professionnels avec qui j’ai pu échangé sur mes
réflexions et mes problématiques, confronté mon point de vue et avancer sur mon sujet.
Emmanuelle Flahault-Franc d’Iris Capital, Hervé Lavergne du Monde, Gilles Bertaux
de Livestorm, Alexandre Sigoigne de MyPoseo, Etienne Gautheron de Reeport, Nicolas
Rodeghiero de Advenworks, Pawel Czartoryjski, François Bastelica et Stanislas Khider
de Orange, Baptiste Chardon de Ubisoft et Nicolas Rateau de Prestashop.
Merci également à mon employeur SOLOCAL, et plus particulièrement à Martin Sauer,
directeur e-commerce et à toute son équipe (qui est aussi la mienne) pour leur soutien et
pour avoir supporté et supplée à mes absences tout au long de cette année. Un
remerciement particulier à Alexandre Faveur pour ses créations graphiques qui ont pu
enrichir mes travaux réalisés dans le cadre du MBA.
Je remercie également le comité pédagogique du MBAMCI pour son soutien, ses conseils
et sa #bienveillance : Alexandre Stopnicki, Christophe Dané et Louis Duroulle. Ainsi
que tous les intervenants qui sont venus apporter leur expérience cette formation. Sans
oublier tous mes camarades de la promotion 2018/2019 qui ont fait de cette année un
moment inoubliable.
Enfin, je tiens à remercier tout particulièrement Manabu, l’homme de ma vie, qui a dû
supporter tout mon stress et ma mauvaise humeur pendant l’écriture de cette thèse.
BIALOBLOCKI Olivier - Thèse professionnelle MBA-MCI PT 2019 1
3. .
Résumé
Avec la révolution digitale et l’arrivée d’internet dans la plupart des foyers de la planète, le
gratuit, qui auparavant était essentiellement un artifice marketing qui provoquait la
méfiance du consommateur, s’est peu à peu imposé dans nos vies. Grâce à la publicité,
nous pouvions déjà bénéficier gratuitement d’émissions de radio ou de télévision et de
certains événements “sponsorisés”, mais pour le reste, il fallait souvent mettre la main au
portefeuille pour bénéficier d’un service “gratuit”. Dans le monde pré-digital, la vraie
gratuité n’existait pas car les produits physiques coûtent cher à produire, à stocker, à
distribuer et que ce monde-là est gouverné par la rareté des ressources naturelles, des
terres et du travail.
Le monde digital lui est un monde d’abondance, gouverné par de puissantes forces
déflationnistes : le coût des trois technologies principales qui le sous-tendent - la
puissance de traitement informatique, le stockage numérique et la bande passante - est
en baisse rapide et constante depuis leur émergence. Un transistor qui coûtait 100$ à
produire en 1960 n’en valait plus que 0,000015 cents en 2012.
Toute activité pouvant être digitalisée voit donc inévitablement son coût marginal tendre
vers zéro, et les “forces animales de l’économie digitale” conduiront inévitablement son
prix au même niveau. Ce passage d’un monde à l’autre ne va pas sans heurts et provoque
des angoisses légitimes pour les individus et les entreprises concernées. Cela crée
également des opportunités formidables, comme le démontre l’émergence de géants du
numérique dont certains nous procurent quotidiennement des services dont nous ne
saurions plus nous passer, sans nous les facturer.
Toute abondance créant de nouvelles raretés, elle crée de nouveaux besoins à satisfaire
et de nouvelles opportunités à saisir. Le Freemium est un modèle économique né de ce
constat et dont l’ambition est de capitaliser sur un service gratuit “Free” pour proposer
des offres "Premium" qui pourront séduire une partie des utilisateurs du service gratuit.
Ce sont ces utilisateurs “payants” qui financent le coût du service gratuit pour les autres.
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4. .
Bien qu’existant en dehors du monde numérique, ce modèle est essentiellement une
création de la révolution digitale qui lui a permis de prendre toute sa dimension. Peu
connu par son nom, nous en sommes tous familiers et avons recours quotidiennement à
des services qui en dépendent pour leur financement : LinkedIn, Evernote, Spotify, Le Bon
Coin, Candy Crush...sont les applications qui le représentent le mieux. C’est un modèle
économique récent, qui évolue beaucoup et se cherche encore. Il a de profonds impacts
sur les entreprises qui le mettent en place, sur leur marché, leurs relations avec les
utilisateurs et leur organisation.
Le Freemium présente de nombreux avantages. Il permet notamment de créer une vaste
communauté d’utilisateur et de baisser fortement les coûts d’acquisition clients. C’est un
modèle économique qui a le potentiel de modifier les relations entre une entreprise et
son marché en créant une relation basé sur la confiance et le don. La donnée générée
par le service permet, en outre, de garder un lien constant avec ses utilisateurs et leurs
besoins… mais c’est aussi un modèle exigeant qui demande une grande maîtrise de ses
processus et de ses coûts, une attention de chaque instant à la qualité de son produit et
une adaptation constante aux exigences des utilisateurs pour convertir toujours plus et
rentabiliser son offre.
Le Freemium est donc un modèle exigeant et complexe à mettre en place mais qui peut
permettre à une entreprise qui maîtrise son marché, son offre et ses processus
d'accélérer significativement sa croissance et de passer à une nouvelle étape dans son
développement.
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5. .
Executive Summary
With the digital revolution and the era of the Internet, Free, which was before essentially
a marketing stunt, has gradually imposed itself in our lives. Thanks to advertising, we
could already benefit from radio or television broadcasts and some "sponsored" events
without paying anything. But we often had to pay something in exchange of something
else advertised as Free. In fact, in the pre-digital world, where products had to be
physically manufactured, stored and distributed : true gratuity did not exist because the
world was governed by the scarcity of natural resources, land and labour.
In contrast, the digital world is a world of plenty, governed by powerful deflationary
forces. The cost of the three main technologies underlying it - computing power, digital
storage and bandwidth - has been declining rapidly and constantly since their birth. A
transistor that cost $100 to produce in 1960 was worth only 0.000015 cents in 2012.
Therefore, Any activity that can be digitised will inevitably have its marginal cost reduced
to zero, and the "animal forces of the digital economy" will inevitably drive its price to the
same level. This transition from one world to another is not without its challenges and
causes legitimate anxieties for individuals and companies concerned. It also creates
tremendous opportunities, as demonstrated by the emergence of digital giants, some of
which provide us with services that we can no longer do without, without charging us
anything at all.
Any abundance creates new rarities, new needs to be satisfied and new opportunities to
be seized. Freemium is a business model born from this observation which tries to
capitalize on "Free" to sell "Premium" services to some of its users. It is those "paying"
users who finance the cost of free for others.
Although the Freemium model existed before, it is essentially a creation of the digital era
which allowed it to take on its full dimension. Little known by name, we are all familiar
with it and use it on a daily basis : LinkedIn, Evernote, Spotify, Le Bon Coin, Candy Crush...
are all applications using this model. Freemium is still a recent economic model, evolving
a lot and still in the process of being developed. It has a profound impact on the
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6. .
companies that set it up, on their market, their relationships with users and their
organization.
Freemium has many advantages. It makes it possible to create a large community of
users and significantly reduces customer acquisition costs. It is an economic model that
has the potential to change the relationship between a company and its market by
creating a relationship based on trust and giving. The data generated by the service also
makes it possible to maintain a constant link with its users and their needs... but it is also
a demanding model that requires great control over its processes and costs, constant
attention to the quality of its product and constant adaptation to user requirements to
convert its users ever more efficiently.
Freemium is therefore a demanding and complex model to implement but one that can
enable a company which already masters its market, its offer and its processes to
significantly accelerate its growth and move to a new stage in its development.
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7. .
Recommandations
La première recommandation issue de ce travail s’adresse en préambule aux individus et
aux entreprises qui voient leur activité se digitaliser et le modèle économique sur lequel
cette activité reposait être remis en cause. Votre premier actif, au delà, de vos
compétences ou de celles de vos salariés, ce sont vos clients et vos utilisateurs. Ne
consacrez pas votre énergie et vos ressources à lutter contre l’inévitable au risque de les
aliéner et de laisser vos concurrents développer les offres et les services qui répondront à
leurs besoins. Si certains produits de votre gamme n’ont plus de valeur économique
parce que leur digitalisation a réduit drastiquement leur coût et supprimé les barrières à
l’entrée qui permettaient de les monétiser, alors les mettre gratuitement à la disposition
de vos utilisateurs peut être une formidable opportunité d'accélérer votre transformation
digitale et le modèle Freemium une solution pour développer de nouvelles sources de
revenus.
Pour tous les autres qui souhaitent surfer sur la vague du gratuit pour lancer leur activité,
le modèle Freemium est une alternative séduisante qui permet à de nombreuses
entreprises de développer une activité rentable, mais c’est aussi un modèle complexe et
exigeant qui n’est pas adapté à toutes les situations. Aussi, avant de vous lancer, j’espère
que les informations et les recommandations que vous trouverez dans ce travail vous
seront utiles.
1. Assurez-vous que votre produit et votre offre soit adaptés à ce modèle
Avec le modèle Freemium, c’est le produit qui fait le marketing. Au delà de
s’assurer que celui-ci répond à un besoin, il faut que le produit soit simple à
comprendre et à utiliser et qu’il ne nécessite pas de dépenses marketing
importantes pour être adopté. Un service en Freemium nécessite un haut degré
d’autonomie de ses utilisateurs pour être rentable et, il faut bien sur que son coût
marginal soit faible pour pouvoir le proposer gratuitement.
Le chemin vers la monétisation de l’offre gratuite doit être clair et l’offre payante
suffisamment attractive par rapport à l’offre gratuite pour générer de haut niveau
de conversions et de rétention. Enfin, vos offres doivent permettre d’upseller les
utilisateurs payants et les inciter à en vouloir toujours plus.
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8. .
2. Assurez-vous que le Freemium soit le bon modèle pour votre marché
Les taux de conversion sont généralement faibles et l’ARPU (revenu moyen par
utilisateur) généralement peu élevé sur les premiers niveaux d’offre Premium. Il
faut donc vous assurer que vos chiffres s’additionnent correctement et que le
marché sera assez vaste pour espérer atteindre la rentabilité. Le modèle
Freemium est mieux adapté aux marchés de masse qu’aux marchés de niche.
Il faudra vous assurer également que la gratuité est un argument qui porte sur
votre cible : si vos utilisateurs valorisent la pérennité et la qualité du service,
l’argument du gratuit pourrait être contre-productif.
3. Assurez-vous que votre organisation, vos ressources humaines et financières
vous permettent de réussir avec ce modèle
Le modèle Freemium est particulièrement exigeant en matière organisationnelle :
sa réussite dépend beaucoup de la réactivité de vos équipes pour analyser les
données utilisateurs et mettre en oeuvre rapidement les évolutions nécessaires.
Les évolutions doivent être pilotées par la donnée (Data Driven Design) et mise en
oeuvre en mode itératif par des équipes travaillant en mode agile. Il faut disposer
des bonnes ressources mais il faut aussi qu’elles sachent travailler ensemble.
Le Freemium étant davantage un modèle d’acquisition qu’un modèle de
génération de revenu, sa mise en place représente un investissement et il faut
donc également disposer des ressources financières nécessaires à son
initialisation.
Pour être performant, un service en Freemium laisse peu de marge au hasard et à
l’improvisation : se lancer pour conquérir de nombreux utilisateurs sans savoir comment
les monétiser et sans avoir les ressources financières pour attendre le retour sur
investissement de la phase d’acquisition est sans doute, la voie la plus rapide vers l’échec.
C’est pourquoi, il me semble que la mise en place d’un modèle Freemium doit plutôt
s’envisager dans le cadre d’une phase d’accélération du développement d’une entreprise
qui a déjà une bonne connaissance de son marché et des mécanismes de monétisation
de ses offres. Le Freemium est un excellent modèle d’acquisition et pourra alors révéler
tout son potentiel à moindre risque.
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9. .
Sommaire
Remerciements 1
Résumé 2
Executive Summary 4
Recommandations 6
Sommaire 8
Introduction 11
Chapitre 1. La révolution du gratuit 14
Une brève définition du gratuit 14
L'avènement du vrai gratuit : la révolution digitale 16
Le gratuit au XXème siècle : Un artifice marketing 16
Comment le vrai gratuit devint possible grâce au digital... 18
...et peut-être même inévitable 21
Le gratuit : menace ou opportunité ? 28
Une disruption porteuse d’angoisse... 28
...Mais également à l’origine de la création de géants très rentables... 31
...Et de success story sur les marchés les premiers impactés. 34
Comment gagner de l’argent avec le Gratuit : les concepts clés 48
Créer une vaste communauté... 48
Le gratuit : un prix qui rend fou 48
Le gratuit ou comment changer sa relation avec ses futurs clients 51
… Et la monétiser 53
Si c’est gratuit, c’est vous le produit 54
Aller chercher la vraie valeur pour les consommateurs 55
Les modèles économiques du gratuit 58
La Publicité 58
Open source 63
Mois d’essai (Free Trial) 66
Chapitre 2 : Le modèle Freemium : un modèle original et exigeant 70
Le Freemium : De quoi s’agit exactement ? 70
Le Modèle Freemium : Ce grand inconnu ? 70
Le Freemium, origine et définition 80
La petite histoire du Freemium, un modèle pas si révolutionnaire 81
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10. .
Les différents types de Freemium 85
Le faux free trial 85
BUFFER 86
MAILCHIMP (Sources : Wikipédia) 87
LIVESTORM 88
Le modèle Freemium à valeur perpétuelle 90
Les bénéfices du Freemium 96
Briser la barrière psychologique du coût 96
Briser les barrières hiérarchiques et organisationnelles 97
Faire baisser les Coûts d’Acquisition Client (Customer Acquisition Costs ou CAC) 97
Limiter les coûts d’apprentissage, améliorer la rétention et la satisfaction des
utilisateurs 101
Générer de la DATA, affiner sa connaissance client et améliorer son offre en
continue 104
Les contraintes, risques et facteurs clés de succès 105
Conquérir suffisamment d’utilisateurs 106
Retenir les utilisateurs et développer l’usage 109
Convertir les freenautes en utilisateurs payants 113
Maximiser et développer l’ARPU (Average Revenu Per User) des utilisateurs
payants 115
Faire de vos utilisateurs des ambassadeurs 119
Mesurer, mesurer, mesurer 120
Tout cela en étant très vigilant à sa structure de coûts 123
Chapitre 3. Le Freemium est-il fait pour moi ? 129
Le produit 130
Votre produit/service répond il à un problème ? 131
Le coût marginal de votre service est-il faible et décroissant ? 131
Nécessite-t-il des dépenses importantes de promotion et de support ? 132
Votre produit est-il complexe à mettre en oeuvre ? 132
Votre produit peut-il générer de l’enthousiasme et de la loyauté? 133
Le chemin vers la monétisation est-il clair et maîtrisé ? 133
Le marché 137
A-t’il une taille suffisante ? 137
Vos clients sont-ils intéressés par le gratuit ? 140
Existe-t-il déjà des concurrents avec une offre gratuite ? 140
Votre Organisation 141
Etes-vous DATA DRIVEN ? 141
Adopter les méthodes Agile ? 143
Disposez-vous des compétences pour mettre en oeuvre ce modèle ? 144
Disposez-vous des ressources nécessaires pour tenir le temps de trouver le
bon modèle et devenir rentable ? 144
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11. .
CONCLUSION GENERALE 148
BIBLIOGRAPHIE 150
Annexe 1 : La transformation digitale du secteur des taxis 156
Annexe 2 : Entretien Le Monde - Hervé Lavergne. Avril 2019 159
Annexe 3 : Entretien Prestashop. Nicolas Rateau. Mars 2019 168
Annexe 4 : Entretien Ubisoft - Baptiste Chardon. Avril 2019 171
Annexe 5 : Entretien Orange - Pawel Czartoryjski. Avril 2019 179
Annexe 6 : Entretien Orange - Stanislas Khider. Avril 2019 186
Annexe 7 : Entretien. Orange - François Bastelica. Avril 2019 191
Annexe 8 : Entretien Iris Capital - Emmanuelle Flahault Franc. Avril 2019. 199
Annexe 9 : Entretien Uptilab - Thibault de Broissia. Mai 2019 203
Annexe 10 : Entretien Livestorm - Gilles Bertaux. Mai 2019 207
Annexe 11 : Entretien - Alexandre Sigoigne - MyPoseo. Mai 2019 217
Annexe 12 : Entretien. Advenwork. Nicolas Rodeghiero. Avril 2019 223
Annexe 13 : Entretien Reeport - Etienne Gautheron. Mai 2019 232
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12. .
Introduction
Mon intérêt pour le gratuit en général et le modèle Freemium en particulier remonte à
mon arrivée à la boutique en ligne Pagesjaunes.fr en tant que responsable marketing
digital en Octobre 2016.
La boutique en ligne PagesJaunes.fr ( ci-après appelé “la boutique”), remplacée depuis par
le site solocal.com était le site e-commerce du groupe Solocal, maison-mère de
PagesJaunes, Mappy, Ooreka… Sa mission était de vendre en ligne des sites internet et
des solutions de référencement publicitaire pour les TPE/PME sur les supports média du
groupe, mais aussi sur les médias partenaires comme Google.
Etant en charge des audiences, je me suis rapidement rendu compte que la première
source d’audience du site était constituée par les professionnels qui cherchaient à
s’inscrire en ligne pour être présents sur les annuaires PagesJaunes : Ils aboutissaient sur
le site après avoir retrouvé son adresse sur la FAQ de PagesJaunes.fr à la rubrique “être
présent sur nos supports” ou après avoir fait une requête “s’inscrire sur pagesjaunes” sur
les moteurs de recherche. Peu d’entre eux semblaient vraiment intéressés par les autres
offres présentes sur le site. En fait, ce simple service d’inscription “gratuite” générait près
de 70% des visites sur la boutique, 3 000 inscriptions en ligne par mois et représentait
une part significative des 4 000 appels téléphoniques générés chaque mois par le site
vers la télévente de PagesJaunes qui, le plus souvent possible, profitait de ce contact
pour diriger le professionnel vers des offres payantes : site internet ou référencement
publicitaire.
Sur le site de la boutique lui-même, le lien d’inscription avait été dissimulé dans le menu
du header, et n’était absolument pas mis en avant de peur de détourner l’attention des
visiteurs des offres payantes de l’entreprise. Le parcours d’inscription consistait en un
formulaire très administratif qui se contentait de collecter la raison sociale de l’entreprise,
son adresse, son numéro de téléphone, son numéro de Siret, puis le remerciait de son
inscription. Ces formulaires aboutissaient ensuite à un service chargé de vérifier les
informations, de valider l’inscription et de demander la publication des informations du
BIALOBLOCKI Olivier - Thèse professionnelle MBA-MCI PT 2019 11
13. .
professionnel. Quelques jours, voire quelques semaines plus tard, le lead se retrouvait
entre les mains d’un commercial chargé de transformer ce prospect “intentionniste” en
client.
Cette stratégie de dissimulation de l’offre gratuite avait été remise en cause peu de temps
avant mon arrivée. Ma première mission a donc consisté à concevoir un nouveau
parcours d’inscription en ligne qui devait devenir un axe principal de développement du
chiffre d’affaires e-commerce. Le parcours des utilisateurs a donc été entièrement revu
pour faciliter l’accès à l’inscription gratuite et faire du “tunnel d’inscription” un générateur
de leads et de ventes en ligne en poussant à l’utilisateur venu s’inscrire, les bonnes offres
et options payantes au bon moment.
Cette nouvelle stratégie s’est très vite révélée payante avec le doublement du nombre des
inscriptions en ligne à plus de 6 000 par mois, l’augmentation de 25% le nombre d’appels
vers la télévente et la multiplication par 4 du nombre de ventes en ligne. C’est de nouveau
cette stratégie qui a été mise en oeuvre sur Solocal.com et qui génère près de 60% des
ventes en ligne réalisées sur le site. A titre d’exemple, voici la landing page sur laquelle les
utilisateurs souhaitant s’inscrire sur les PagesJaunes aboutissent suite à un clic sur le lien
“se référencer” depuis PagesJaunes.fr ou suite à une recherche “s’inscrire sur
PagesJaunes” depuis les moteurs de recherches.
Landing Page “inscription PagesJaunes sur Solocal.com
BIALOBLOCKI Olivier - Thèse professionnelle MBA-MCI PT 2019 12
14. .
Si l’utilisateur continue son inscription “simple” (donc gratuite), une nouvelle offre de
référencement prioritaire sur son activité principale et sa localité lui sera proposée dans
la suite de son parcours.
Cette expérience fut pour moi la révélation de la puissance d’une offre gratuite et de sa
capacité à générer du chiffre d’affaires. Ce fut également le début de mon intérêt pour le
gratuit et les modèles économiques qui en découlent. Au cours de mes recherches, je me
suis aperçu qu’il était possible d’aller beaucoup plus loin dans l’utilisation d’une offre
gratuite, de l’intégrer au coeur d’une expérience globale ayant des impacts profonds sur
l’organisation d’une entreprise et sa relation avec les utilisateurs de son service et ses
clients : le Freemium.
Cette thèse professionnelle a donc pour objet de répondre à plusieurs questions :
pourquoi le gratuit a-t-il tant d’attraits pour les consommateurs que nous sommes et
pourquoi est-il désormais omniprésent dans notre quotidien ? Qu’est ce que le modèle
Freemium, quels sont ses avantages et quelles sont les contraintes et les risques
auxquels sont confrontées les entreprises ayant choisi ce modèle économique ? Enfin, j’ai
souhaité dans un dernière partie, lister les questions qu’il faut se poser avant de choisir le
modèle Freemium et les conditions qu’il faut réunir avant de pouvoir se lancer.
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15. .
Chapitre 1. La révolution du gratuit
Une brève définition du gratuit
Etymologiquement, le mot Gratuit puise son origine du latin “Gratis” : Pour rien,
gracieusement, par complaisance. L'adjectif gratuit qualifie donc ce que l'on reçoit sans
payer, ce qui est fait ou donné sans que rien ne soit demandé en échange.
Dans le domaine économique, un bien ou un service peut être obtenu sans
compensation pécuniaire sans pour autant que cela ne signifie qu’il n’a aucun coût. Les
coûts sont, en fait, pris en charge par d’autres acteurs que ceux qui bénéficient du bien
ou du service en question. Les coûts peuvent être :
● pris en charge par la collectivité et financés par l'impôt: enseignement publique,
service de sécurité et de secours…
● couverts par d'autres rémunérations, comme la publicité par exemple.
Le gratuit n’est pas sans ambiguïté en particulier dans le domaine économique. Il génère
de l’enthousiasme et des comportements parfois irrationnels et, comme l’écrit Chris
Anderson dans son livre “Free !: Entrez dans l'économie du gratuit”
“il a la capacité d’attirer l’attention comme nul autre chose” 1
mais il suscite également la méfiance et la suspicion comme le souligne Julien Tarby :
“Pourquoi en vieil allemand, danois, néerlandais ou suédois, le mot cadeau signifie-t-il aussi poison ou venin ?
Ambivalences étymologiques et mythes tel celui du cheval de Troie : ils soulignent bien cette défiance qu'inspire un
bienfaiteur inattendu, dont le geste calculé attend souvent son retour sur investissement” 2
De nombreuses expressions populaires soulignent également cette méfiance face à un
geste qui apparaît comme désintéressé mais pourrait bien masquer d’autres intentions.
En Français l’expression “ Demain, on rase gratis” rendue célèbre par un barbier qui ne
1
Anderson, Chris. Free !: Entrez dans l'économie du gratuit (Economie /nouvelles technologies) (French Edition) . Pearson.
2
Freemium. Julien Tarby. Le Nouvel Economiste. 19 février 2010.
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16. .
retirait jamais cette pancarte de sa vitrine (et donc remettait toujours sa prestation
gratuite au lendemain), ne signifie-t-elle pas “Ne pas tenir ses engagements” ? En Anglais,
l’expression “There is no such thing as a free lunch” qui remonte au 19e siècle et à la
pratique de certains bars d’offrir aux consommateurs, en échange de l’achat d’au moins
une boisson, un repas gratuit, ne signifie t-elle pas qu’il y a toujours quelqu’un pour payer
les cadeaux offerts ? Enfin plus récemment, l’expression “si c’est gratuit, c’est vous le
produit” désigne l’utilisation des données personnelles des internautes (pour certains le
pillage de ces données) par les GAFA en échange de l’utilisation “gratuite” de leurs
services.
Malgré cette suspicion, il semble bien que le consommateurs du 21eme ait tranché en
faveur du gratuit qui fait désormais partie de son quotidien. Dans le monde digital, il
existe désormais des alternatives gratuites pour quasiment tout : presse gratuite, jeux
gratuits, réseaux sociaux, messagerie, vidéo, musique, logiciels de services… La gratuité
est omniprésente - près de 90% des applications mobiles sont gratuites au
téléchargement - et plébiscitée par les consommateurs que nous sommes.
Pourquoi et comment le gratuit s’est il imposé comme un modèle économique
omniprésent et incontournable, c’est ce que nous allons essayer de décrypter dans la
première partie de ce travail.
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17. .
L'avènement du vrai gratuit : la révolution digitale
Le gratuit au XXème siècle : Un artifice marketing
L’utilisation du gratuit dans le monde commercial n’est pas une nouveauté. Cependant,
pendant longtemps, cela relevait plus souvent de la technique marketing que d’une réelle
gratuité. Dans “l’ancienne économie”, soumise à ce que Nicholas Lovell appelle dans son
livre “the curve” la tyrannie du monde physique, le coût d’une vraie gratuité s'avérait 3
souvent trop élevée pour être rentable économiquement. Dans l’ère “pré-digitale” il faut
produire bien sûr, mais aussi stocker, distribuer, financer des délais de paiement, gérer
les retours de marchandises et manager toute cette infrastructure. En outre, pour réduire
le risque opérationnel que le produit ne se vende pas, les entreprises vont avoir tendance
à augmenter le risque financier en dépensant davantage pour accroître les chances de
succès (campagnes marketing, incentives…)
Dans ce contexte, le “vrai gratuit” est quasiment impossible : la gratuité du 20e siècle est
une gratuité soumise à condition ou une simple astuce marketing comme les échantillons
et les lots gratuits. Dans l’ère pré-digitale, “l’ère des atomes” selon la dénomination
choisie par Chris Anderson, le gratuit était essentiellement un leurre.
Dans cette “ère des atomes”, il y avait d’abord du gratuit qui n’en portait que le nom sans
en avoir les caractéristiques :
● Les échantillons : le vrai gratuit ne doit pas être limité en volume.
● L’essai gratuit : le vrai gratuit ne doit pas être limité dans le temps.
● Le “cadeau gratuit” ...mais soumis à un achat préalable.
● Le produit gratuit pour un acheté qui est en fait une promotion.
● Les services gratuits ou biens complémentaires qui ont pour objectif de vous faire
venir en magasin dans l’espoir de vous vendre des biens : le gonflage des pneus
ou les toilettes dans les stations services, la garde d’enfant dans certains magasins
ou centres commerciaux pour vous inciter à venir y passer du temps…
3
Lovell, Nicholas. The Curve. Penguin Books Ltd.
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18. .
Dans cette ère, il existait également deux modèles plus sophistiqués dans leur capacité à
leurrer le consommateur sur la réalité de la gratuité.
● Le modèle de subventions croisées directes qui consiste à rendre un produit
gratuit ou presque afin de pouvoir ensuite vendre des produits complémentaires
à forte marge : c’est l’exemple des rasoirs Gillette qui sont vendus à faible prix afin
de pouvoir ensuite vendre des lames beaucoup plus rentables, ou des cafetières
Nespresso dont l’objectif est de vous faire acheter des dosettes de café au prix de
l’or.
● Le marché tripartite qui consiste à ce qu’un tiers paie pour subventionner un
échange gratuit entre les deux autres parties. C’est, notamment, le modèle
traditionnels des médias où le prix d’achat voire la gratuité est subventionnée par
la publicité
Dans le cas de ces deux modèles, ce sont bien les consommateurs qui finissent par payer
la facture sous la forme d’un prix d’achat de biens ayant intégrés le coût de la gratuité.
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19. .
Comme le souligne Chris Anderson, toutes ces formes de gratuit s’assimilent à ce que les
économistes appellent des subventions croisées
“Les subventions croisées sont l’essence de la célèbre formule américaine : « there’s no such thing as a free
lunch » (« un repas gratuit, ça n’existe pas »). Autrement dit, d’une manière ou d’une autre, la nourriture
doit être payée, que ce soit par vous ou par quelqu’un d’autre qui y trouve son intérêt. ” 4
De cette époque pré-digitale, le gratuit a gardé pendant longtemps une mauvaise
réputation et suscité la méfiance des consommateurs. Aujourd’hui encore, les
générations les plus anciennes cherchent instinctivement l’astuce marketing derrière le
gratuit, alors que pour les nouvelles générations, la gratuité est une évidence. Dans le
monde digital dans lequel ils sont nés et ont grandi le vrai gratuit est une réalité de leur
vie quotidienne. Le matin, Ils écoutent de la musique en streaming sur Deezer ou Spotify
puis vont remettre à jour leur CV diffusé sur LinkedIn. Après avoir déjeuné sur le pouce et
fait une petite pause Candy Crush pour se détendre, ils créent une présentation Google
slide ou reprennent l’écriture de leur thèse sur Google Doc. Le soir, après une journée
bien remplie, ils sauvegardent le tout sur Google Drive et s’autorisent une soirée vidéo
sur Youtube. La journée est passée et ils n’ont pas dépensé un sou. Sauf pour le déjeuner
et le dîner que l’on a pas encore réussi à digitaliser mais qu’ils ont commandé sur internet
et qui leur a été livré… gratuitement.
Comment le vrai gratuit devint possible grâce au digital...
Chris Anderson souligne dans son livre “Free” que le monde du 20e siècle est un monde
de rareté. Dans Le monde d’Adams, du nom du célèbre économiste du 19ème siècle : la
vrai gratuité ne peut pas exister. Les produits physiques coûtent cher à produire et le
monde est gouverné par la rareté des ressources naturelles, des terres et du travail. Plus
ces ressources se raréfient, plus leur coût augmente : Le monde d’Adams est un monde
fondamentalement inflationniste avec des coûts inéluctablement en augmentation qui ne
permettent pas d’envisager la gratuité comme modèle économique.
4
Anderson, Chris. Free !: Entrez dans l'économie du gratuit (Economie /nouvelles technologies) (French
Edition) . Pearson..
BIALOBLOCKI Olivier - Thèse professionnelle MBA-MCI PT 2019 18
20. .
Le monde du digital lui est gouverné, au contraire, par de puissantes forces
déflationnistes : les trois technologies qui ont le plus d’importance dans l’économie
numérique ont des coûts qui baissent rapidement sur une période longue.
1. La puissance de traitement informatique
2. Le stockage numérique
3. La bande passante
La puissance de traitement informatique est régie par une tendance qui a été repérée
pour la première fois par Gordon Moore en 1965 est appelé improprement “loi de
Moore”. Gordon Moore postule au départ que la “complexité des semi-conducteurs
proposés en entrée de gamme double tous les ans à prix constant”. Il réévalue sa
prédiction en 1975 en posant que le nombre de transistors des microprocesseurs sur une
puce de silicium double tous les deux ans
“Bien qu'il ne s'agisse pas d'une loi physique mais seulement d'une extrapolation
empirique, cette prédiction s'est révélée étonnamment exacte. Entre 1971 et 2001, la
densité des transistors a doublé chaque 1,96 année. En conséquence, les machines
électroniques sont devenues de moins en moins coûteuses et de plus en plus puissantes” 5
Les deux autres autres technologies cruciales du numérique, la capacité de stockage et la
bande passante s’améliorent en réalité encore plus rapidement que la puissance de
traitement informatique :
5
Loi de Moore. Wikipédia
BIALOBLOCKI Olivier - Thèse professionnelle MBA-MCI PT 2019 19
21. .
● Le nombre d’octets que l’on peut stocker sur un disque dur double à peu près tous
les ans.
● La vitesse de transfert de données sur un câble optique double tous les neuf mois.
Le corollaire de ces améliorations technologiques est la baisse des prix constantes de ces
technologies
“Ce trio de technologies plus rapides, meilleures, moins chères – traitement, stockage et bande passante –
convergent en ligne, et c’est pourquoi l’on a aujourd’hui des services gratuits comme YouTube – en fait, une
masse illimitée de vidéos visibles sans délai dans une résolution de plus en plus élevée –, dont le prix aurait
été prohibitif il y a seulement quelques années.” 6
Comme le note Chris Anderson, cette baisse de prix constante, sur une période longue,
permet d’expérimenter des formules qui accélèrent encore cette tendance déflationniste.
Ainsi, au début des années 1960, les premiers transistors de Fairchild SemiConductor
coûtaient plus de 100 dollars à produire. Fairchild décida de les vendre au prix des tubes
à vide traditionnels qui dominaient alors le marché et coûtaient 1,05 dollars pièce. En
faisant cela, Fairchild anticipait les économies d’échelles qu’allaient entraîner la hausse de
la production de transistors. Deux ans plus tard, le prix de ces mêmes transistors
atteignait 50 cents tout en permettant à Fairchild SemiConductor de faire des profits et
de prendre 90% du marché des récepteurs UHF. En 2012, le plus récent des processeurs
Intel coûtait 300 dollars et comportait près de 2 milliards de transistors soit un coût de
0,000015 cents par transistor.
Cette baisse rapide, régulière et constante des coûts de production est ce qui distingue
l'économie numérique, “l’économie des bits”, de l’économie d’Adams ou “économie de
l’atome” selon la dénomination chère à Chris Anderson. Dans cette nouvelle économie, le
coût marginal se rapproche si rapidement de zéro, ou tout au moins d’une valeur si faible
qu’elle en devient négligeable, que le gratuit devient une stratégie envisageable à grand
échelle.
L’un des facteurs majeure qui entre en jeu de ce phénomène, c’est le ratio très élevé de
matière grise dans le domaine de la haute technologie. Dans ce secteur, ce sont les idées
6
Anderson, Chris. Free !: Entrez dans l'économie du gratuit (Economie /nouvelles technologies) (French Edition) . Pearson.
BIALOBLOCKI Olivier - Thèse professionnelle MBA-MCI PT 2019 20
22. .
qui génèrent de la valeur, or les idées peuvent se propager sans limites et sans coûts,
elles sont :
“la matière première abondante par excellence, elles se propagent à un coût marginal nul. Une fois
créées, elles ne demandent qu’à se répandre loin et largement, enrichissant tout ce qu’elles touchent
<….> Et plus les produits sont faits d’idées au lieu de matière, plus vite ils peuvent devenir bon
marché. C’est la racine de l’abondance qui mène à la gratuité dans le monde numérique, ce qu’on
résume aujourd’hui sous l’expression « loi de Moore ».” 7
Confronté à ces forces déflationnistes, le vrai gratuit devient possible car le coût marginal
d’un produit numérique, comme un fichier audio par exemple, est quasi-nul : il ne coûte
quasiment rien à dupliquer et à diffuser.
...et peut-être même inévitable
Dans ce contexte, Chris Anderson et certains économistes comme Jeremy Rifkin en 8
viennent à affirmer que le gratuit n’est pas seulement possible, mais qu’il devient
inévitable : en effet, le modèle économique classique nous enseigne que dans une
économie compétitive, le prix d’un produit va baisser jusqu’à son coût marginal (loi de
Joseph Bertrand). Or, Il se trouve que l’économie numérique est probablement
l’économie la plus compétitive qui soit. Par conséquent, les coûts marginaux de
production, soumis aux forces déflationnistes dont nous avons parlé, se rapprochant très
rapidement de zéro, les prix devraient se rapprocher inéluctablement de zéro eux
également.
“Le coût marginal d’une page web, d’un tweet ou d’une transaction sur salesforce est égale à zéro donc, sur
un marché compétitif et selon les lois économiques, le prix devrait être également de zéro” 9
La théorie économique nous enseigne donc que dans un monde compétitif où les coûts
marginaux se rapprochent de zéro, la gratuité devient inévitable : c’est ce qui explique
qu’elle soit omniprésente sur le web. Ce n’est pas un choix, ce sont “les forces animales
de l’économie digitale”, selon la formule de Chris Anderson, qui sont à l’oeuvre. Résister à
7
Anderson, Chris. Free !: Entrez dans l'économie du gratuit (Economie /nouvelles technologies) (French Edition) . Pearson.
8
La nouvelle société du coût marginal zéro, Jeremy Rifkin, Les Liens qui libèrent, 2014.
9
Anderson, Chris. Free !: Entrez dans l'économie du gratuit (Economie /nouvelles technologies) (French Edition) . Pearson.
BIALOBLOCKI Olivier - Thèse professionnelle MBA-MCI PT 2019 21
23. .
ces forces est possible, mais c’est un combat d’arrière garde qui ne fait que retarder
l’inévitable.
C’est le sort qu’a subi l’industrie musicale en première ligne sur le sujet car, avec le
numérique et le développement d’internet, il est très rapidement devenu simple et peu
coûteux de dupliquer et d’échanger des fichiers en ligne. L’espace de stockage et la bande
passante nécessaires pour échanger des fichiers musicaux de bonne qualité n’est pas
resté longtemps un frein suffisant pour protéger une industrie alors très rentable et
pratiquant des tarifs relativement élevés. Le premier challenge d’importance est arrivé
dès juin 1999 avec le lancement du service de partage de fichiers en peer to peer
Napster. Ce service n’était pas la première tentative pour favoriser le partage de fichier en
ligne, mais Napster se distinguait des services précédents par une interface conviviale et
parce qu’il était bien adapté au partage des fichiers musicaux au format MP3 ce qui l’a
rendu rapidement très populaire.
“Les réseaux à haute vitesse dans les universités et les lycées sont devenus surchargés, Napster
monopolisant jusqu'à 60 % du trafic de ces réseaux. De nombreux collèges ont bloqué le service à cause de
l'encombrement qu'il causait sur leur réseau, avant même qu'ils ne s'inquiètent de leur complicité implicite
dans une possible violation des droits d'auteur sur leur réseau.” 10
Le succès de Napster entraîne rapidement une réaction de l’industrie musicale et la
Recording Industry Association of America (RIAA) dépose une plainte contre Napster dès
décembre 1999 au motif que le service facilitait la violation des droits d’auteur. Le logiciel
est finalement retiré dans sa version originale en 2001 pour devenir un site de
téléchargement légal de musique. Cette victoire judiciaire de l’industrie musicale s’est très
vite révélée être une victoire à la pyrrhus : de nombreux autres services d’échanges en
peer to peer vont voir le jour pour combler le vide créé : Kazaa, eDonkey 2000, Gnutella
pour n’en citer que quelques un… Ces logiciels, tirants les enseignements des déboires de
Napster, adoptent une architecture décentralisée qui les rend beaucoup plus difficiles à
contrôler et relancent le piratage.
Face aux innovations technologiques, à l’arrivée massive de nouveaux médias (téléphonie
mobile, baladeurs MP3, web), aux consommateurs qui rechignent de plus en plus à payer
des tarifs élevés pour un service dont ils commencent à entrevoir le coût réel, l’industrie
10
https://fr.wikipedia.org/wiki/Napster
BIALOBLOCKI Olivier - Thèse professionnelle MBA-MCI PT 2019 22
24. .
musicale adopte essentiellement des mesures défensives : guerre juridique contre
l’innovation sur le web dès 1999 avec le procès contre Napster, freins contre la vente des
catalogues musicaux aux offres de téléchargement légales en pratiquant des tarifs
particulièrement élevés, lobbying pour l’obtention de législations répressives…
Pourtant dès 2008, le prix nobel d’économie Paul Krugman affirmait que le modèle
économique dont le but était de vendre des copies d’une oeuvre n'était plus viable en
raison du coût négligeable de la copie numérique et se déclarait en faveur du
téléchargement gratuit et de la recherche de nouveaux modèles économiques.
“Octet après octet, tout ce qui peut-être numérisé sera numérisé, rendant la propriété intellectuelle
toujours plus facile à copier et toujours plus difficile à vendre plus cher qu'un prix nominal. Et nous
devrons trouver les modèles économiques et les modèles d'affaires qui prennent cette réalité en compte.” 11
L’industrie musicale fait cependant la sourde oreille et persévère dans une stratégie
purement défensive qui ne lui permet pas d’éviter la crise. Entre 1999 et 2014, le chiffre
d’affaires de la musique enregistrée chute de 44% soit une baisse de 11,1 Milliards de
dollars. Pour survivre, l’industrie musicale met en place des stratégies de diversification
mais essentiellement dans ses métiers traditionnels (édition musicale, organisation de
spectacles, produits dérivés) et n’investit quasiment pas dans la musique numérique. Ce
faisant, elle laisse le champs libre au développement de nouveaux acteurs qui vont peu à
peu trouver le modèle économique permettant d’associer gratuité ou quasi-gratuité et
rentabilité économique.
11
Le Nobel d'économie P. Krugman favorable au téléchargement gratuit [archive] - Numerama, 13 octobre 2008
BIALOBLOCKI Olivier - Thèse professionnelle MBA-MCI PT 2019 23
25. .
Cet exemple de l’industrie musicale démontre le pouvoir des forces animales de
l’économie digitale dont parle Chris Anderson. A défaut du développement rapide d’une
offre légale tenant compte de la nouvelle réalité du monde digital, l’industrie musicale
traditionnelle a d’abord vu son chiffre d’affaires s’évaporer avec le développement du
piratage puis a dû partager son marché avec de nouveaux concurrents plus
entreprenants qu’elle.
Comme le souligne Nicholas Lowell dans son ouvrage “The Curve”, face à cette nouvelle
réalité économique, ce n’est pas le piratage qu’il faut craindre le plus, mais la
concurrence. C’est elle qui s’avère être la plus grande menace lorsque l’on échoue à
s’adapter aux lois de l’économie digitale. Si le gratuit devient économiquement possible,
alors il y aura toujours un acteur qui émergera pour en tirer parti, attirer vos clients,
siphonner vos audiences et trouver le moyen de les monétiser à votre place. Refuser la
réalité peut marcher pendant un certain temps car des clients peuvent décider de vous
rester fidèles. Cependant, vous prenez le risque de vous couper des nouvelles
générations de clients et d’assister à un déclin progressif de votre activité. C’est en
résumé ce qu’a vécu l’industrie musicale. Incapable d’inventer elle-même un nouveau
modèle économique, elle s’est repliée sur ses métiers traditionnels et a laissé la place à
de nouveaux acteurs qui se sont appropriés la relation avec le consommateur. Ces
acteurs apprennent à monétiser chaque jour davantage cette relation au détriment de
l’industrie musicale qui ne peut qu’assister impuissante à la modification des rapports de
force induite par ces changements.
Aujourd’hui, c’est le streaming qui domine l’industrie et lui a redonné des couleurs (le CA
de l’industrie a retrouvé en 2018 son niveau de 2008). Le chiffre d’affaires du streaming
représente en 2017, 43% des revenus globaux de l’industrie de la musique et progresse 12
en moyenne de 39% par an. Les acteurs s’appellent désormais Spotify qui avec plus de
100 millions d’abonnés début 2019 s’impose comme le leader du secteur, suivi par 13
Apple Music, Deezer, TIDAL, et...Napster.
12
L’industrie musicale atteint un seuil de revenus historique. www.sourdoreille.net. 25 Avril 2018.
13
Spotify atteint les 100 millions d’abonnés payants et résiste à Apple Music. www.frenchweb.fr. 29 Avril 2019
BIALOBLOCKI Olivier - Thèse professionnelle MBA-MCI PT 2019 24
26. .
Dans une moindre mesure, les PagesJaunes en France ont connu la même descente
progressive aux enfers. Pionnière du digital dans son industrie depuis le milieu des
années 80 avec le lancement du 3611 sur le minitel, les PagesJaunes font également
partie des premières entreprises françaises à lancer un site internet et à vendre de la
publicité en ligne avec la création de Pagesjaunes.fr dès 1995. Pourtant, l’entreprise n’a
pas su tirer partie de cette avance technologique pour mettre en place le modèle
économique qui lui aurait permis de résister à l’émergence de nouveaux concurrents.
Pagesjaunes devenue Solocal depuis, a continué à monétiser chèrement des services que
d’autres proposaient désormais gratuitement.
Dès l’origine pourtant, le modèle économique des Pagesjaunes reposait sur le gratuit : Il
est, en effet, possible depuis les années 1890 de paraître gratuitement dans les annuaires
avec son adresse et son numéro de téléphone. Dans les annuaires papier, le
professionnel devient réellement client dès lors qu’il souhaite modifier son contenu,
ajouter un ligne d’information en gras, mettre son logo, se distinguer de son concurrent
en achetant un encart de plus grande taille, etc… Dans les annuaires électronique, c’est
en partie ce modèle qui a été reproduit : la présence est gratuite, mais le contenu et le
ranking ( la possibilité d'apparaître parmis les premiers résultats de la liste réponse) sont
payants. C’est un modèle qui a fait le succès des PagesJaunes qui ont pu conquérir plus
de 600 000 clients en France et générer plus d’un milliard d’euros de Chiffres d’Affaires
par an à la fin des années 2000. Depuis, cependant, la belle mécanique s’est enrayée sous
l’effet combinée de la chute des ventes de publicité sur les annuaires papier (la dernière
édition est prévue pour 2020) et du développement de la concurrence sur le digital. En
2018, PagesJaunes affichent moins de 400 000 clients et un chiffre d’affaires de 670
millions d’euros avec une croissance du CA digital en berne malgré un marché en forte
hausse par ailleurs (+ 17% en France en 2018 ). 14
Le déclin des annuaires papier avec le développement du digital explique en partie cette
désaffection des annonceurs pour les Pagesjaunes. Cependant, la puissance en terme
d’audience de ses supports numériques fixes et mobile aurait dû permettre à l’entreprise
de faire migrer ses clients dans une plus grande proportion. La perte de chiffres d’affaires
consécutives au passage d’un support papier en monopole à un support numérique avec
une très faible barrière à l’entrée était probablement inéluctable, mais la perte en
14
21ème Observatoire de l’e-pub. SRI UDECAM
BIALOBLOCKI Olivier - Thèse professionnelle MBA-MCI PT 2019 25
27. .
nombre de clients aurait certainement pu être plus limitée. Une des explications de ce
déclin, est que PagesJaunes n’a pas su adapter son modèle économique au monde digital
et a fait le choix de continuer à monétiser des produits et des services dont le coût
marginal et la valeur perçue par ses clients se dégradaient fortement. Il est vrai,
cependant, que la vente de ces produits représentaient une partie importante du chiffre
d’affaires de l’entreprise et que la perte de revenu qu’aurait impliqué l'arrêt de la
monétisation de ces services aurait accru les difficultés économiques d’une entreprise
fortement endettée depuis sa vente en LBO par France Télécom en 2006.
Depuis toujours, la promesse des PagesJaunes, c’est de retrouver dans ses supports
papiers hier, numériques aujourd’hui l’ensemble des professionnels présents sur une
localité et par extension sur l’ensemble du territoire français. La gratuité de parution des
coordonnées des professionnels est dès lors incontournable et engage l’entreprise dans
une relation gagnant-gagnant avec les professionnels. La garantie d’exhaustivité assure
une image de sérieux et des audiences importantes aux Pagesjaunes. Les professionnels
eux, sont certains d'être retrouvés lors d’une recherche sur leur localité. A l’ère des
annuaires papier, l’espace informationnel et publicitaire qu’ils offraient était rare et cher
et il était relativement facile pour les PagesJaunes de monétiser des lignes d’informations
supplémentaires, la parution d’un numéro de fax ou d’une ligne d’information
complémentaire. Avec Internet, l’information devient abondante et bon marché et c’est le
média qui en devient dépendant pour conserver ses audiences. Un internaute qui
recherche un professionnel, ne veut pas simplement retrouver ses coordonnées, il veut
pouvoir y trouver par défaut de nombreuses informations sur le professionnel : l’adresse
de son site internet, des photos, des avis, des commentaires. Ces informations ont
désormais plus de valeur pour le média que pour le professionnel qui peut les diffuser
gratuitement sur une multitude de supports. Or, aujourd’hui encore, les professionnels
doivent payer pour faire paraître une partie de ces informations sur les Pagesjaunes.
Cela génère du chiffre d’affaires car les audiences de PagesJaunes permettent encore de
le justifier, mais affaiblit le média à long terme en faisant fuir les internautes qui ne
retrouvent pas l’intégralité des informations qu’ils recherchent sur les professionnels.
L’incapacité des PagesJaunes à prendre en compte ce changement et à trouver une autre
façon de monétiser ses audiences explique probablement une grande partie de ses
difficultés actuelles :
BIALOBLOCKI Olivier - Thèse professionnelle MBA-MCI PT 2019 26
28. .
● Insatisfaction des professionnels qui ont l’impression de payer cher des produits à
faible valeur ajoutée et gratuits sur d’autres supports.
● Insatisfaction des utilisateurs qui ne comprennent pas pourquoi ils ne retrouvent
pas sur les médias Pagesjaunes les informations qu’ils retrouvent partout ailleurs
sur le web. Ce point est certainement le plus grave car il touche à la promesse
originelle des PagesJaunes : l’exhaustivité. Cette rupture de confiance explique en
grande partie la baisse des audiences des médias Pagesjaunes (qui réussit
cependant à compenser cette baisse par une politique volontariste de partenariats
avec ses concurrents : les audiences indirectes représentant en 2018, 60% des
audiences de PagesJaunes).
● Développement de la concurrence qui profite de cette politique pour capter
l’information et la relation avec les professionnels, la mettre à disposition des
utilisateurs et conquérir ainsi à moindre frais des audiences qu’ils vont pouvoir
ensuite monétiser par la vente de produits publicitaires à forte valeur ajoutée.
D’autres facteurs expliquent évidemment cette désaffection progressive pour les
Pagesjaunes. L’existence d’acteurs mondiaux comme Google, l’émergence d’acteurs
spécialisés comme Doctolib ou la fourchette également rendue possible par le
développement du web. On peut considérer cependant que la prise en compte plus
rapide de la perte de valeur de certains produits et la recherche d’un nouveau modèle
économique aurait permis à l’entreprise de ralentir le déclin des audiences de ses médias
et de modifier la relation et l’image des PagesJaunes auprès des utilisateurs et des
annonceurs.
Ces deux exemples, démontrent que sur un marché où le numérique prend le pas sur le
monde physique toutes les cartes sont rebattues et les barrières à la concurrence
s’affaiblissent. Les coûts que représentaient la production et la distribution d’un bout à
l’autre du territoire de supports physiques, comme les disques, les CD roms ou les
annuaires, disparaissant, de nouveaux concurrents peuvent émerger. Dans un monde
digital extrêmement concurrentiel connaissant par ailleurs des coûts de production, de
stockage et de distribution en baisse constante, la gratuité de ces commodités : un fichier
musical, des informations de base sur une entreprise, devient incontournable et la
recherche d’un nouveau modèle économique s’impose pour éviter le déclin.
BIALOBLOCKI Olivier - Thèse professionnelle MBA-MCI PT 2019 27
29. .
Le gratuit : menace ou opportunité ?
Une disruption porteuse d’angoisse...
Présentée de cette façon, la transformation digitale a de quoi effrayer de nombreux
acteurs et ses effets déflationnistes sont, en effet, un épouvantail pour toute entreprise et
tout acteur de ces métiers qui vont pouvoir être très vite numérisés. Toute activité qui
peut être automatisée à l’aide d’un logiciel est effet susceptible de connaître cette
évolution, de voir ses coûts se réduire très rapidement et face au développement de la
concurrence voir sa valeur se rapprocher du zéro fatidique. C’est déjà le cas pour bien
des activités pour lesquels on trouve des logiciels automatisant des tâches à faible valeur
ajoutée : logiciels qui permettent gratuitement ou pour quelques euros par mois de se
passer d’un comptable, opérations bancaires sur internet qui rendent quasiment
superflues les nombreuses agences des réseaux traditionnels…. Ces réseaux doivent
aujourd’hui lutter contre les néo banques qui en étant exclusivement en ligne n’ont pas à
supporter la structure de coûts des banques traditionnelles et peuvent offrir
gratuitement des services payants ailleurs.
Intervention de Chris Anderson à The RSA - Mars 2010
Pour un artiste qui vit de la vente de ses oeuvres, une entreprise dont le chiffre d’affaires
repose sur la vente de produits ou de services, imaginer que demain ces oeuvres, ces
produits ou ces services puissent être mis gratuitement sur le marché crée tout d’abord
BIALOBLOCKI Olivier - Thèse professionnelle MBA-MCI PT 2019 28
30. .
une menace existentielle : “comment allons-nous gagner de l’argent si nos produits (ou
nos services) n’ont plus de valeur ?”
La menace n’est pas imaginaire et elle explique la résistance aux changements des
acteurs traditionnels qui ont beaucoup à perdre et n’ont aucune certitude sur ce qu’ils
pourraient gagner en échange. Pour reprendre l’exemple des Pagesjaunes, cette
entreprise dispose encore en 2019 dans son catalogue de produits payants, du “lien vers
site”. C’est tout simplement la possibilité pour une entreprise de s’assurer qu’un lien vers
son site internet apparaisse sur la liste réponse lorsqu’un utilisateur fait une recherche
sur Pagesjaunes.fr. Cette information, par ailleurs très recherchée par les internautes, est
mise en avant gratuitement sur la plupart des sites concurrents de PagesJaunes. Il est
encore payant sur les PagesJaunes en 2019.
Ce produit historique est directement issus du modèle de monétisation des annuaires
papier ou chaque ligne d’information supplémentaire aux coordonnées du professionnel
lui était facturée. Bien que l’entreprise ait conscience, depuis le milieu des années 2000,
de l’absurdité de ce produit sur le web et du fait que cela détourne des utilisateurs de son
support, personne n’a encore osé le rendre gratuit, l’enjeu sur le chiffre d’affaire étant
trop important : Ce produit à lui seul générait près de 50 millions de chiffre d’affaires en
2014 et encore 35 millions d’euros en 2018. Pour une entreprise en difficulté dont les
résultats trimestriels sont scrutés à la loupe par ses actionnaires, la tentation est souvent
BIALOBLOCKI Olivier - Thèse professionnelle MBA-MCI PT 2019 29
31. .
de choisir la solution la moins douloureuse à court terme même si cette solution est
préjudiciable à l’avenir à plus long terme de l’entreprise.
Cet exemple est emblématique des impacts de la révolution digitale sur les acteurs en
place et sur un grand nombre de métiers qui vont pouvoir être digitalisés. Lors d’un
voyage d’étude dans la Silicon Valley en avril 2019, nous avons rencontré Naeem Zafar,
serial entrepreneur, CEO de Telesense et professeur à Berkeley et Brown Université. Lors
de sa présentation, il nous a annoncé un “tsunami de changements” pour les 10
prochaines années, en particulier sur les 6 sujets suivants :
1. L’intelligence Artificielle - le machine learning - le Deep-learning et la data-science
2. La robotique
3. L’impression 4D
4. La Food Technology : Viande cultivée en laboratoire et produits laitiers artificiels
5. La blockchain
6. Les énergies du future
Un grand nombre de ces sujets va avoir des impacts majeurs sur les coûts de production
et sur de nombreux métiers qui vont profondément évoluer voire disparaître (les
chauffeurs de taxi, les chauffeurs routiers et les marins peuvent s’interroger sur leur
avenir face aux progrès des modes de transports autonomes par exemple). Interrogé sur
les impacts sociaux de ces changements, la réponse de Naeem Zafar fut brève : “There
will be chaos” (Ce sera le chaos)...
Comme la transformation digitale dans son ensemble, la dynamique déflationniste de
l’économie digitale est porteuse de menaces pour de nombreux acteurs qui ne sauront
pas s’adapter. Certains connaîtront le déclin avant de rebondir à l’instar de certains
acteurs de l’industrie de la musique, d’autres disparaîtront à l’instar de Kodak inventeur
de l’appareil photo numérique qui sera à l’origine de son déclin.
BIALOBLOCKI Olivier - Thèse professionnelle MBA-MCI PT 2019 30
32. .
...Mais également à l’origine de la création de géants très rentables...
Le premier d’entre eux est aussi l’une des entreprises les plus connues universellement et
dont les produits sont les plus utilisés au monde. En tant que particuliers, vous faites
probablement quotidiennement appel au moteur de recherche de Google : sa part de
marché dépasse les 90% dans la majeure partie du monde. Seule la Chine et dans un
moindre mesure la Russie et le Japon résistent encore. Vous avez une adresse G-mail ou
vous utilisez Google Maps ou Waze pour vous déplacer ? Vous stockez sur votre Google
Drive vos documents réalisés sur Google Docs ou Google Slides ? Et pourtant, combien
d’entre vous ont déjà reçu une facture de Google ?
Créée en 1998 par Larry Page et Sergey Brin, la mission autoproclamée de Google est
“d'organiser l'information à l'échelle mondiale et de la rendre universellement accessible
et utile”. Au vu du chiffre d’affaires d’Alphabet, la maison mère de Google, et de ses
bénéfices, il semble que ce soit une mission extrêmement lucrative malgré la gratuité des
outils mis à disposition du grand public et des entreprises par Google. 1516
Chiffre d’affaires Alphabet Bénéfices Alphabet
Dans un tout autre domaine, Linkedin, le réseau social professionnel en ligne lancé en
2003 est également gratuit pour la plupart de ses 600 millions d'utilisateurs revendiqués
15
Alphabet (Google) réalise un bénéfice record en 2018.www.informatiquenews.fr . 5 février 2019
16
Chiffre d'affaires annuel de Google 2002–2018. fr.statista.com. 2019.
BIALOBLOCKI Olivier - Thèse professionnelle MBA-MCI PT 2019 31
33. .
en 2019. Gratuit, mais cela n’empêche pas Microsoft de le racheter pour 26,2 milliards de
dollars en 2016. En 2019, le réseau social aurait généré plus de 5,3 Milliards de dollars de
revenus : une estimation puisque ces données ne sont désormais plus publiques.
Chiffre d’affaires LinkedIn (avant rachat par Microsoft)
Dans un autre domaine encore : Candy Crush lancée en 2012 est un jeu auquel on peut
jouer gratuitement sans grandes limitations sur le gameplay en lui-même…On peut aussi
y dépenser un peu d’argent mais ce n’est pas obligatoire. Ce jeu revendique en 2018 plus
de 270 millions de joueurs et seule une petite partie procède à des micro-transactions
BIALOBLOCKI Olivier - Thèse professionnelle MBA-MCI PT 2019 32
34. .
pour accélérer leur progression dans le jeu ou s'acheter des vies supplémentaires. Des
micro-transactions qui rapportent tout de même au total 1,5 milliards de dollars en 2018
soit plus de 4,2 millions de dollars par jour . Une bonne affaire pour Activision, éditeur 17
de Call of Duty, qui a cassé sa tirelire en 2015 pour racheter King l’éditeur de Candy Crush
pour près de 6 Milliards de dollars….Encore un exemple de gratuit qui rapporte gros.
Les chiffres impressionnants de Candy Crush 18
De nombreux autres cas démontrent que la gratuité est un véritable modèle économique
qui permet de créer des entreprises extrêmement rentables dans différents secteurs.
Linux le système d’exploitation crée en 1991 par Linus Torvald est un logiciel libre (ce qui
ne veut pas forcément dire gratuit..) qui est au centre d’un écosystème évalué à 25
milliards de dollars en 2008 . En 2018, IBM débourse 34 milliards de dollars pour 19 20
racheter Red Hat l’éditeur de logiciel open-source. Facebook est gratuit and “will always
be” selon son fondateur, Slack la messagerie d’équipe, WhatsApp, la plupart des
applications de rencontres et des jeux, la musique et les vidéos en streaming… Prés de
90% des applications disponibles sur l’appstore et le store de Google sont gratuites. Le
gratuit est donc sans conteste un business qui rapporte.
17
Impressionnant : les jeux Candy Crush Saga rapportent encore des millions par jour à leur éditeur. www.iphon.fr . Pierre
Otin. 4 Septembre 2018.
18
5 ans de Candy Crush en 5 chiffres hallucinants. www.tic-time.fr . Guillaume Huault-Dupuy. 14 Novembre 2018.
19
L’écosystème Linux a une valeur de 25 milliards de dollars. www.generation-nt.com. Jérôme G.. 22 Octobre 2008.
20
IBM. 34 milliards de dollars pour acheter le créateur de Linux. www.letelegramme.fr. 29 Octobre 2018.
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35. .
...Et de success story sur les marchés les premiers impactés.
La transformation digitale et les effets déflationnistes qui l’accompagne engendrent
beaucoup d’inquiétudes et d’angoisse auprès des secteurs directement concernés. ils
voient leurs modèles économiques bousculés, et des habitudes parfois anciennes
remises en cause. Mais force est de constater que cette révolution a des effets positifs en
permettant notamment d’élargir la base de clients potentiels que des tarifs élevés
tenaient à l’écart du marché, ou en apportant des solutions nouvelles à des situations
dans l’impasse depuis de nombreuses années.
Le secteur des taxis est emblématique des menaces et des opportunités de la
transformation digitale de l’économie. Cette profession a été profondément bousculée
partout où UBER, ou d’autres plateformes concurrentes se sont installées . Leur arrivée 21
et souvent venu faire exploser un système devenu inefficace mais difficile à réformer.
Pourtant, 10 ans après l’arrivée d’Uber en france, le bilan est plutôt positif :
● Le service s’est considérablement amélioré en qualité et en couverture des
besoins de la population
● De nombreux emplois ont été créés dans des zones où le chômage est endémique
● Tous les voyants sont au vert en terme économique 22
○ Le chiffre d’affaires des transports de voyageurs par taxis et VTC devrait
croître de 9,5% en 2019
○ les plateformes de VTC sont continuellement à la recherche de nouveaux
chauffeurs afin de satisfaire une demande grandissante
○ La consommation des ménages en transports par taxis et VTC continue de
progresser fortement avec une croissance attendue de plus de 8% en 2019.
● Enfin, les changements de réglementation se dirige vers une harmonisation entre
les VTC et les taxis et un nivellement par le haut des conditions de travail et de
rémunération des chauffeurs de VTC.
21
New York, Toronto, Paris : partout où passe Uber, l’industrie du taxi en sort bouleversée. www.ici.radio-canada.ca.
Vincent Champagne. 5 Avril 2019.
22
Ambrine Benyahia, Olivier Lemesle. Les services de Taxis.XERFI Février 2019.
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36. .
Plus directement en rapport avec notre sujet, l’irruption du gratuit sur le marché du jeu
dans le courant des années 2000 s’est accompagné également de nombreuses angoisses
et inquiétudes dans une profession qui, pourtant, avait déjà l’expérience nécessaire et
toutes les clés pour en tirer parti.
En effet, l’industrie du logiciel est une des premières à avoir utiliser le Freemium (bien
que ce mot n’existait pas encore) comme modèle économique et ce, dès les années 1980.
A cette époque, on utilisait plutôt le terme de Freeware , contraction de Free (gratuit) et 23
de Software (logiciel). Le premier Freeware “PC Talk” est créé en 1982 par Andrew
Fluegelman , alors éditeur de PC Magazine aux Etats-unis. Son idée est de distribuer 24
gratuitement son logiciel et de demander une rétribution uniquement si les utilisateurs
décident de le garder. Ce mode de distribution de software va alors très vite rencontrer
un grand succès et va bientôt être utilisé, notamment par l’industrie du jeu vidéo pour
promouvoir à l’aide d’une version limitée - en freeware - une version complète du jeu qui
elle est payante. C’est un premier pas vers le modèle Freemium appelé Free-to-play 25
dans le domaine du jeu, que nous définirons plus en détail dans la seconde partie de ce
travail.
Cependant, le véritable démarrage du modèle économique Freemium ou Free To Play va
avoir lieu bien des années plus tard en Asie. C’est en effet en Corée au début des années
2000 qu’apparaissent les premiers jeux gratuits comme Maple Story ou Fly For Fun. Ce
modèle va ensuite se populariser dans le monde entier notamment grâce à Second Life
de Linden Lab qui lancé en 2003 connaît le succès sur le marché américain à partir de
2005.
MapleStory 26
Est un jeu de rôle en ligne massivement multijoueur développé par la société coréenne
Widget et édité par Nexon. Le jeu sort le 29 avril 2003 et est entièrement gratuit à
télécharger et à jouer. On peut cependant utiliser des points achetés sur le site officiel de
chaque version du jeu pour obtenir des équipements et objets spéciaux
complémentaires. Le jeu s’est longtemps classé parmi les MMO coréens les plus
23
Freeware. Wikipédia
24
Historique du ware. www.waretheque.com. Octobre 2008.
25
Free To Play. Wikipédia.
26
Maple Story. Wikipédia.
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37. .
populaires en Asie et comptait 14 millions de joueurs dans le monde en octobre 2018 au
moment où MapleStory 2 prenait la relève. 27
Flyff (Fly For Fun)
Est également un jeu de rôle en ligne massivement multijoueur. Développé par la société
coréenne AeonSoft, il sort le 16 Août 2004. Il est également téléchargeable gratuitement
et aucun abonnement n’est nécessaire pour jouer. Une boutique virtuelle est intégrée au
jeu et permet d’y acheter des objets permettant de personnaliser son personnage ou de
l’améliorer.
Second Life (SL)
Quand à lui est un univers virtuel en 3D sortie fin juin 2003 et fondé sur le modèle du
Free To Play. Les utilisateurs peuvent y incarner des personnages virtuels dans un monde
créé par les résidents eux-mêmes. Ils peuvent créer le contenu du jeu : vêtements,
bâtiments, objets, animations et sons, etc., et acquérir des parcelles de terrain dont ils
obtiennent la jouissance en utilisant une monnaie virtuelle. Le jeu connaît un
engouement médiatique important à partir de 2005 mais décline aussi vite à partir de
2007 avec la crise des subprimes qui affectent les banques présentes dans l’univers. Il
27
Préparez-vous pour le lancement mondial aujourd’hui de MapleStory 2. www.boursica.com. 11 Octobre 2018.
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38. .
faut dire également que le succès commercial attendu n’était pas au rendez-vous
notamment parce que le jeu était trop complexe. La plateforme reste encore active
aujourd’hui et revendiquait 600 000 utilisateurs actifs en 2018.
Pour Baptiste Chardon, Directeur Business Performance d’Ubisoft, le Free To Play a
émergé sur les marchés de l'Asie du sud parce que les développeurs étaient confrontés à
une population qui n'était pas prête à “payer pour voir” mais qui était prête à dépenser si
l'expérience qu’on leur proposait leur plaisait.
“Les développeurs asiatiques ont compris ce paradigme et ont été les premiers à développer des
expériences autour du Free To Play. Certains développeurs en occident ont eu du mal à le
comprendre et quand Zynga a commencé à développer les premiers jeux en Free To Play ca a
été une vraie panique”.
Au final cependant, l’arrivée du Free To Play a révolutionné l’industrie du jeu vidéo et
ouvert une période de forte croissance à l’issue de laquelle cette industrie s’est imposée
comme la première industrie dans le domaine du divertissement devant le cinéma, la
musique ou le livre . En avril 2018, Newzoo prévoyait un chiffre d’affaires pour 28 29
l’industrie du jeu vidéo de près de 138 milliards de dollars dans le monde en
augmentation de 13,3% par rapport à 2017. Entre 2012 et 2018, le chiffre d’affaires de
l’industrie du jeu vidéo aura ainsi doublé !
28
L’industrie du jeu vidéo plus important que la musique et le cinéma réunis. www.cnews.fr. Lauren Clerc. 4 Janvier 2019.
29
Mobile Revenues Account for More Than 50% of the Global Games Market as It Reaches $137.9 Billion in 2018.
www.newzoo.com. Tom Wijman. 30 Avril 2018.
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39. .
Evolution du CA Mondial de l’industrie du jeu vidéo depuis 2012
C’est finalement près de 139 milliards de dollars qui auront été réalisés en 2018 et les
prévisions de Newzoo pour 2019 dépassent les 152 milliards (soit + 9,0%) pour un
nombre de gamers assez hallucinant de 2,5 milliards...
Prévisions d’évolution du CA mondial de l’industrie du jeu vidéo 2018-2022
L’arrivée du smartphone est évidemment un facteur majeur de cette explosion du chiffre
d’affaires de l’industrie du jeu vidéo et de la forte croissance du nombre des gamers dans
le monde : partout, désormais on se balade avec dans la poche un outil possédant une
puissance de calcul et un écran permettant des expériences de jeu de grande qualité. Le
Free To Play est le deuxième facteur à l’origine de cette forte croissance comme l’explique
Baptiste Chardon :
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