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Californie et Texas : le e-boom et la ruée vers le gaz par Stéphane Loignon
1. CALIFORNIE ET TEXAS :
LE E-BOOM ET LA RUÉE
VERS LE GAZ Sur la vaste pelouse qui borde l’université
Le contesté gaz de schiste ressuscite
l’industrie dans le Texas républicain quand
les start-up réinventent l’économie des
services en Californie démocrate. Voyage
dans deux Amériques en plein essor.
PAR STÉPHANE LOIGNON, ENVOYÉ SPÉCIAL À FORT WORTH ET SAN FRANCISCO
PHOTOS COOPER NEILL, DAVID BUTOW ET ERIC KAYNE
Tarrant County College, à Fort Worth,
près de Dallas (Texas), Nghiep Tran,
mécanicien retraité et golfeur amateur,
peaufine ses swings sans se soucier de la
présence, quelques mètres plus loin, d’un
immense puits de gaz de schiste. Pour extraire cette
ressource enfermée à 1 500 mètres de profondeur
dans de minuscules poches, la compagnie Chesapeake
Energy, partenaire de Total, utilise une technologie
controversée, interdite en France : la fracturation
hydraulique. Elle envoie sous terre un mélange d’eau
et de produits chimiques sous haute pression pour
faire remonter à la surface les précieuses molécules
d’hydrocarbures. Mais Nghiep Tran ne s’en préoccupe
guère. « Ça peut occasionner de petits tremblements
de terre, mais c’est bon pour l’économie », tranche-t-il.
Contre un chèque de 14 000 euros, il a même cédé à
Chesapeake Energy le droit d’exploiter le sous-sol de
sa propriété, à dix minutes de voiture de là, comme
58 MAGAZINE DU VENDREDI 31 OCTOBRE 2014
pas. Malgré son opposition et celle d’une cinquan-taine
de voisins, Chesapeake Energy va forer dans son
quartier, North Richland Hills. « Une loi leur permet
d’exploiter le terrain malgré tout », s’offusque-t-elle.
Dans la ville voisine de Denton, à environ une heure de
route à travers de verts pâturages, certains puits sont
à moins de 60 mètres des habitations. Malgré les hauts
panneaux anti-bruit qui les entourent, ces installa-tions
produisent un vacarme assourdissant, doublé
d’une odeur peu rassurante d’émanations chimiques.
Menée par Rhonda Love, professeure d’université
à la retraite, une partie des habitants a obtenu l’or-ganisation
d’un référendum, début novembre, sur
l’interdiction de la fracturation hydraulique dans
cette métropole, parmi les plus polluées du Texas.
« Plusieurs personnes ont développé des problèmes
respiratoires », s’alarme-t-elle. En avril dernier, un
tribunal a condamné une compagnie énergétique à
verser 2,4 millions d’euros à une famille de la région,
victime de symptômes similaires.
Ecologie et croissance à San Francisco
Pour respirer de l’air pur aux Etats-Unis, mieux vaut
rejoindre la Californie, fer de lance de la révolution
écologique. Depuis les deux mandats du précédent
gouverneur, Arnold Schwarzenegger, cet Etat, frère
ennemi d’un Texas accro aux hydrocarbures, se veut
exemplaire pour ramener, d’ici à 2020, ses émissions
de CO2 à leur niveau de 1990. Près de 230 000 pan-neaux
solaires y sont dispersés, un record en
Amérique. A San Francisco, services municipaux,
entreprises et citoyens mettent tous la main à la pâte.
Les bus de la ville, hybrides, roulent au bio-diesel.
Pour faire disparaître les déchets dans six ans, le recy-clage
et le compostage des aliments sont obligatoires
et les sacs plastiques, interdits. Enfin, la mairie aide
gratuitement les sociétés à se conduire de façon plus
vertueuse. Depuis son bureau, un modèle du genre
(lumières LED, peinture sans produits toxiques,
meubles en bois recyclé), Anna Frankel, fonction-naire
qui dirige le programme San Francisco Green
Business, explique : « Nous les conseillons sur le choix
des produits d’entretien, le transport groupé de leurs
employés ou le financement de panneaux solaires. »
Pas question de renoncer à la croissance pour autant.
En août, la Californie est devenue le meilleur
l’ont fait la plupart des 793 000 habitants de Fort
Worth. Si bien que plus de 2 000 puits y ont poussé
depuis 2001, bordant zones résidentielles, terrains
de jeu et écoles. Située au coeur du Barnett Shale,
un vaste réservoir sous-terrain de gaz de schiste de
13 000 kilomètres carrés, Fort Worth, ancien lieu
de rendez-vous des cow-boys venant vendre leur
bétail, est devenue la capitale prospère de cette
nouvelle manne énergétique. Avec ses routes au
bitume flambant neuf, ses trottoirs de briques rouges
impeccables et ses immeubles ravalés, le centre-ville
affiche son succès. « Le seul gisement de Barnett
Shale génère 9,3 milliards d’euros de PIB par an et a
créé 115 000 emplois permanents au Texas », affirme
Ed Ireland, porteparole
du Barnett Shale Energy
Education Council, le lobby des entreprises éner-gétiques.
En comptant les autres gisements texans
et ceux d’autres Etats, comme le Dakota du Nord, le
gaz et le pétrole de schiste devraient donner nais-sance
à 4 millions d’emplois au niveau national d’ici
à 2025, selon une étude de la société de conseil IHS.
« L’Amérique du Nord devient indépendante en éner-gie,
une révolution », commente Evariste Lefeuvre,
économiste chez Natixis.
A Houston, le secteur industriel
se frotte les mains
Le Texas, lui, est aux avant-postes de cette révolu-tion.
Avec un taux de chômage de 5,2 % en septembre
(contre 5,9 % aux Etats-Unis), il connaît presque une
situation de plein-emploi. Non seulement les géants du
gaz ont embauché à tour de bras, mais toute l’industrie
(chimie, métallurgie…), très consommatrice d’hydro-carbures,
a bénéficié de ce succès. « Un dollar dans
l’énergie en génère cinq autres ailleurs », évalue Robert
Dye, économiste chez Comerica Bank, à Dallas. Les
sous-traitants se frottent les mains, comme General
Electric Oil & Gas, qui fournit l’équipement néces-saire
à la fracturation hydraulique. Basée à Houston,
cette antenne de General Electric (GE) a vu son chiffre
d’affaires croître de 75 % entre 2009 et 2013, pour
atteindre 13,4 milliards d’euros. « Le boom bénéficie
aussi à nos autres activités, comme la production de
locomotives », complète John Westerheide, respon-sable
de cette filiale lucrative chez GE. « Tout le sec-teur
du forage pétrolier a crû ces dernières années »,
appuie Romain Chambault, directeur de projet forage.
Pourtant, le miracle texan ne fait pas que des heu-reux.
Les effets de l’extraction du gaz de schiste sur
la qualité de l’air, les nappes phréatiques, la consom-mation
des réserves d’eau et l’équilibre sismique en
inquiètent plus d’un. « Après plusieurs secousses,
l’aéroport de Dallas a fait fermer deux puits proches
de ses pistes d’atterrissage », note Don Young, habi-tant
de Fort Worth, qui mène la fronde des riverains.
Son amie Gretchen Demke, graphiste, ne décolère
Au Texas, le gisement
de Barnett Shale a créé
115 000 emplois stables
Ed Ireland, du lobby des entreprises
énergétiques de Barnett Shale
Le siège de la
riche start-up
Airbnb, à San
Francisco, en
Californie, et les
puits d’extraction
de gaz de schiste
à Fort Worth,
au Texas, deux
symboles
du rebond
économique
américain.
grand angle I spécial états-unis
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