Entrecom (www.entrecom.com) a orchestré la demi-journée sur « les agences 2.0 et le strategic Brand Content » et a demandé à , Ivanne Rialland, enseignante-chercheuse à l' IUT de Marne La Vallée, de partager son expérience sur l'évolution des agences 2.0 .
Le débat portait sur la question suivante : "Le storytelling, fil intégrateur des stratégies de communication".
Synopsis :
Simple « customisation » éditoriale ou redoutable arme de persuasion ? Le storytelling peut-il en lui même induire une appropriation de valeurs ou se limite-t-il à l’habillage d’un dispositif de communication ? Entre exercice de rhétorique, placement de produits, intégration de la réalité sociale prise, toutes les pistes sont bonnes pour rentrer dans l’histoire de l’histoire.
Ivanne Rialland a débattu avec :
- Jean Yves Le Moine, Consultant transmedia lab de Orange, France
- Laurence Malençon, Directrice Planning stratégique, Rouge , France
- Luc Offerlé, directeur éditorial, Pressendo , France
- Elody Barety Bridges, Bridges Films, France
- Damien Douani, experts en médias sociaux et digitaux
Paris 2.0 : PARIS 2.0 : Les medias producteurs de contenus pour les marques, ...
Ivanne Rialland Texte
1. I. Rialland – 25 septembre 2009
Paris 2.0
J4 – Agences 2.0 : strategic brand content
Table ronde : le storytelling, fil intégrateur des stratégies de communication
Approche rhétorique du storytelling : la preuve par l’exemple
J’avais, au moment de sa parution, proposé sur le site de recherche en littérature
Fabula.org un compte rendu du livre de Christian Salmon, Storytelling, la machine à
fabriquer des histoires et à formater les esprits (2007). J’y établissais pour conclure un lien
entre storytelling et mythe, qui visent tous deux à imposer un comportement. Mais, à la
réflexion, ce parallèle me paraît tout à fait inexact, et c’est bien plutôt avec l’exemplum
médiéval que le storytelling entretient des liens de parenté. On est ainsi conduit à remplacer
l’approche narratologique du storytelling — son étude en tant que récit — par une approche
rhétorique du phénomène — son insertion dans une stratégie de persuasion. L’analyse
narratologique, parce qu’elle vise à rendre compte de tout récit, favorise en effet l’amalgame,
dans lequel Christian Salmon tombe parfois, sans que cela enlève à son ouvrage son intérêt : à
moins de dire que tout récit relève du storytelling, il est difficile de poser comme similaires
les jeux vidéo employés pour l’entraînement des soldats et l’usage d’histoires pour inciter au
changement dans l’entreprise ou faire vendre un produit. Dans le premier cas, ce qui est
exploité est une capacité cognitive de la fiction de créer des expériences virtuelles : si
l’illusion fictionnelle est utile au moment du jeu, elle n’a pas pour vocation de modifier la
vision du monde du soldat. Dans les autres cas, c’est la valeur persuasive de ces histoires qui
est utilisée : il ne s’agit pas d’apprendre un faire, mais d’adhérer à des valeurs, adhésion qui,
dans un deuxième temps, peut modifier le comportement.
C’est en cela que le storytelling se rapproche de l’exemplum. Celui-ci est un récit inséré
dans un sermon, afin de persuader les fidèles d’agir conformément aux préceptes chrétiens.
Ces exempla, réunis en recueils, sont l’un des trois types d’arguments à disposition des
prêtres, avec les auctoritates (la parole d’autorité de la Bible ou des Pères de l’Église) et les
rationes (le raisonnement logique). L’intérêt des exempla comme du storytelling est, en
favorisant l’identification à un personnage, de susciter l’adhésion affective aux valeurs et de
pousser à les convertir aussitôt en agir. Notons que les exempla mettent souvent en scène des
personnages et des histoires réels, ou présentés comme tels.
Prenons à présent un exemple actuel, avec la campagne d’EDF dont le slogan est :
« Changer l’énergie ensemble ». Les affiches, pour ne parler que d’elles, représentent toutes
un individu, employé d’EDF, entrepreneur ou particulier, et un texte expliquant comment ce
personnage tâche, avec l’aide d’EDF, de préserver l’environnement. L’histoire d’Emilia
Visconti est particulièrement frappante :
C’est en Autriche qu’Emilia a vu une éolienne pour la première fois. Elle avoue avoir
été séduite par son esthétique, sa simplicité et son intégration dans le paysage. Sept ans
plus tard, elle n’imaginait pas qu’en qualité d’ingénieur d’EDF Énergies Nouvelles, elle
serait en charge de la réalisation de centrales éoliennes comme celle de Campidano […].
1
2. I. Rialland – 25 septembre 2009
Vivant en Italie, mariée et maman depuis quelques mois, Emilia se sent de plus en plus
concernée par la protection de l’environnement1.
Après une citation des propos d’Emilia, on lit : « Découvrez les histoires de ceux qui
changent l’énergie dès aujourd’hui sur edf.com ». On est là face à un exemplum caractérisé :
la vie d’une personne est donnée en modèle, afin que le lecteur adopte son comportement.
Mais pour comprendre le profit qu’en tire EDF, il faut remonter au-delà du Moyen Âge
chrétien pour revenir à la rhétorique grecque. La rhétorique, art de persuader par le discours,
distingue trois grands types de discours ou genres, dont le genre épidictique. Celui-ci
s’incarne dans les éloges funèbres des héros, dont Nicole Loraux2 a montré le caractère
central pour la communion de la cité grecque autour de ses valeurs. Le but du genre
épidictique est en effet de proposer des valeurs à l’adhésion et ainsi de créer un lieu commun,
un espace de partage de sens qui définit une communauté. Dans le cadre rhétorique dont le
Moyen-Âge hérite via la latinité, l’exemple fait partie des preuves que peut utiliser l’orateur
pour emporter la conviction. C’est bien sur ce principe que repose la campagne d’EDF : à
travers le comportement d’une personne exemplaire, le consommateur est invité à adhérer à
des valeurs et à intégrer de ce fait la communauté de ceux qui « changent l’énergie
ensemble ». Le site Internet concrétise ce lieu commun de partage de valeurs. Par ce biais,
EDF mène d’une part une politique d’image, en tâchant de s’identifier à des valeurs
écologiques qui prennent une importance grandissante dans la société, et d’autre part, incite à
rester ou à redevenir client, puisque le comportement du modèle est permis en tout ou en
partie par EDF.
Cette analyse rhétorique du storytelling permet également, pour conclure, de pointer le
glissement de la publicité du genre rhétorique démonstratif (convaincre de prendre une
décision) au genre épidictique (adhérer à des valeurs). Cette métamorphose rend le rôle de
l’exemplum crucial : c’est par l’imitation que le genre épidictique peut déboucher de façon
privilégiée sur une action — un achat, en l’occurrence. Elle permet aussi de comprendre le
recours à des histoires de « vrais gens » : la (prétendue) véracité de l’histoire renforce son
impact et la substitution des gens ordinaires aux saints ou aux héros pointent la tendance de la
société à passer d’un modèle pyramidal à un modèle en réseaux où le pair a un pouvoir de
persuasion plus grand que les anciennes « auctoritates » (autorités). Il est ainsi significatif que
la campagne d’EDF ne comporte qu’une seule personnalité, le nageur olympique Alain
Bernard.
1
Cette publicité est analysée de façon très amusante dans Le Tigre. Curieux magazine curieux, n° 33, septembre-
octobre 2009, p. 74-76. Le ton de conte de fées et la symbolique phallique du texte sont en effet frappants.
2
Nicole Loraux, L’Invention d’Athènes. Histoire de l’oraison funèbre dans la « cité classique », nouvelle édition
abrégée, augmentée d’une préface, Paris, Éditions Payot & Rivages, coll. « Critique de la politique Payot »,
1993.
2
3. I. Rialland – 25 septembre 2009
Relève du genre épidictique : partage de valeur. Ici, vs discours trad. adhésion aux valeurs ne
reposent pas sur une argumentation rationnelle, sur le logos, mais sur l’ethos, l’image de
l’orateur (les photos) : ethos comme comportement proposé à l’adhésion et dont conséquence
est une action. Du côté d’EDF, mettre en avant cet ethos = dire que partage de valeur +
constitution d’une communauté autour de valeur mais aussi autre point commun : client
d’EDF, qui manifeste l’adhésion à cette communauté et à ces valeurs.
Donc tout aussi rhétorique que logos et pas nouveau : le héros dans l’éloge funèbre, le
discours exemplaire. Différence = « les vrais gens »
exemplum : encyclopaedia Universalis : ressource de la rhétorique. Rhétorique distingue
signe, preuve matérielle, l’argument (raisonnement déductif) de l’exemple : fait ou dit d’un
personnage célèbre qu’il convient d’imiter, dont sous-genre est li’mage, incarnation d’une
vertu dans un homme. À l’usage école de rhéteurs, Valère Maxime rassemble 9 livres de faits
et dits mémorables dont beaucoup sont des exemples. dans MA chrétien, à partir 12e, manuels
de prédication soucieux de rapprocher le prédicateur de son public et de lutter contre hérésie,
proposent 3 types d’arguments à l’appui d’un sermon : auctoritates, rationes et exempla
exempla trouvent définition claire et forment un ensemble de textes bien définis à partir 13e :
Jean de Garlande définit exemplum dans son dictionnaire (1er tiers 13e siècl)e : « Dit ou fait
d’une personne sûre, digne d’imitation ». Recueil d’exempla apparaissent : historiettes de la
Bible, dans auteurs Antiquité classique, récits folkloriques
de tout bon exemplum on indique l’auteur (à qui est-ce arrivé, qui le raconte ?), la date ainsi
que le lieu, il sert moins à illustrer une vérité doctrinale qu’à pousser les fidèles à l’action, et
plus souvent à les retenir de mal faire
séparé de son cadre fonctionnel, le sermon, l’exemplum devient la nouvelle italienne
NB Dico rhétorique : exemple est un type de preuves techniques ( : qui ressortit de la
rhétorique, vs. extra-techniques, comme les serments, les lois…), raisonnement par induction
(du particulier à l’universel)
apologue est une figure (pour Aristote, se distingue de l’exemple car fictif, mais l’usage
confond histoires apparemment authentique et fables
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